Le départ de Louis Le Franc et l’arrivée Jacques Billant sont intervenus en début de mois, juste avant une intensification des discussions sur l’avenir institutionnel. L’État a sans doute voulu envoyer un signe.
La décision est rare, pour ne pas dire unique. Après deux ans et trois mois en poste à Nouméa, le haut-commissaire, Louis Le Franc, a quitté ses fonctions et la Nouvelle-Calédonie vendredi 2 mai. Soit en pleine visite ministérielle et juste avant des discussions cruciales sur l’avenir institutionnel du territoire à Deva, Bourail. Manuel Valls, ministre des Outre-Mer, a ainsi changé de haut-fonctionnaire à ses côtés lors de son séjour censé déboucher sur un accord global, selon le vœu formulé le 1er avril. Les plus prudents parleront d’« un hasard de calendrier ». Mais il est aussi possible d’y voir une volonté de rupture de la part de l’État.
Après avoir participé à la relance des discussions entre les forces politiques encore sous le coup de la contestation du troisième référendum, Louis Le Franc a accompagné le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer de l’époque, Gérald Darmanin, convaincu de sa stratégie : l’adoption du projet de loi constitutionnelle qui prévoyait d’élargir le corps électoral provincial. Le locataire de la Place Beauvau est alors accusé d’« un passage en force », tant par des formations de gauche en Métropole que par des partis indépendantistes en Nouvelle-Calédonie.
Cette cassure entre la représentation de l’État et les structures pro-Kanaky farouchement opposées au dégel du corps électoral est nettement renforcée lors des émeutes éclatées le 13 mai 2024. Le haut-commissaire et saint-cyrien est en première ligne sur les dossiers de sécurité publique. La CCAT estime les moyens déployés disproportionnés. Et les drames lors des affrontements, notamment du côté de Saint-Louis, durcissent les positions.
TOURNER LA PAGE
À l’heure du départ de Louis Le Franc, 64 ans, vers la préfecture du Finistère, en Bretagne, des élus non-indépendantistes ont salué le visage « humain » du représentant de l’État et son efficacité dans le rétablissement de l’ordre public, tout comme dans le déblocage d’aides financières post-insurrection. Le ton n’est pas vraiment le même du côté de l’Union calédonienne et du FLNKS nouveau format. Des dirigeants ont condamné son attitude « militaire » dans la gestion des émeutes et « partisane » dans des déclarations. Au point où des militants indépendantistes avaient demandé haut et fort son renvoi.
Au terme de l’insurrection 2024, le profil de l’ancien officier de l’armée active déjà passé sur le Caillou en 2003 en tant que secrétaire général adjoint au haut-commissariat, puis secrétaire général, divisait dans la classe politique. À l’aube de pourparlers décisifs sur l’avenir du territoire, et à l’approche de la date anniversaire du 13 mai, l’État a-t-il voulu ouvrir une autre page, sans l’empreinte des émeutes ? Un État qui veut fédérer, rassembler autour d’un projet institutionnel partagé par le plus grand nombre de Calédoniens ? Fort possible.
TROISIÈME « MILITAIRE »
Accueilli dès son arrivée, samedi 3 mai, à la 27e Fête du cerf et de la crevette, à Boulouparis, aux côtés de Manuel Valls, le nouveau haut-commissaire, Jacques Billant, est un ancien préfet de Guadeloupe et de La Réunion, mais n’a jamais effectué de séjour professionnel en Nouvelle-Calédonie. Le regard est donc neuf. Lui aussi est diplômé de l’École spéciale de Saint-Cyr. Le natif du Gers, 65 ans, passé par le ministère de la Justice à l’époque de Rachida Dati en tant que chef de cabinet, est donc le troisième représentant de l’État d’affilée à disposer d’une carrière militaire, après Patrice Faure et Louis Le Franc.
Certains y verront un signe en lien avec le maintien de la sécurité publique en des temps charnières de la Nouvelle-Calédonie. Jacques Billant arrive de la préfecture du Pas-de-Calais où de très gros dossiers ont dû être gérés : la crise migratoire avec la mort de migrants lors de tentatives de traversée de la Manche et la lutte contre les réseaux de passeurs ou encore la reconstruction après les inondations de la fin 2023 et du début 2024. « C’est quelqu’un de terrain, assure une source locale, et de très calme. » Louis Le Franc était aussi en poste dans le nord de la France avant sa mutation sur le Caillou. « À croire qu’il existe une liaison aérienne Arras-Nouméa », sourit un interlocuteur du Pas-de-Calais, un espace où s’imposent aussi des sujets très sensibles, médiatiques et avec une portée géopolitique.
Yann Mainguet