Changement climatique : « S’adapter dès maintenant »

En 2018, la question du changement climatique et de ses répercussions restera naturellement au cœur de l’actualité internationale et régionale. La semaine dernière, François Gemenne, spécialiste de géopolitique du changement climatique, s’exprimait à la CPS sur les enjeux de migration et de sécurité pour le Pacifique insulaire. Il est nécessaire, selon lui, d’imaginer dès maintenant des schémas globaux pour éviter les « déchirements » de l’urgence plus tard.

Le temps presse, selon François Gemenne, invité par la CPS en parallèle d’une mission du ministère de la Défense sur la sécurité régionale. Tandis que nous subissons aujourd’hui les répercussions des agissements des générations précédentes, nos actions détermineront la qualité de vie sur Terre dans 40 ou 60 ans.

Et nous le savons tous : les prévisions ne sont guère réjouissantes. Parmi les différents scénarios relatifs au changement climatique et considérant le manque d’ambitions pour réduire de manière drastique nos émissions de gaz à effet de serre, l’augmentation du fameux seuil de 2 °C à l’horizon 2100 est plus que probable. On se dirigerait même, disent certains scientifiques, vers 3 ou 4 °C supplémentaires avec une élévation conséquente du niveau de la mer de l’ordre de 80 cm (voire beaucoup plus si la fonte de la calotte polaire arctique se produit).

Si on espère encore que ce scénario catastrophe sera évité par des prises de position courageuses, les pays doivent néanmoins réfléchir aux moyens de sauver leurs territoires de la disparition et, dans le cas échéant, de replacer intelligemment les populations, estime François Gemenne. « L’un des choix cruciaux dans les pays étant maintenant de décider quels territoires protéger et quels territoires sacrifier… »

Adaptation

Dans ce contexte, les îles du Pacifique Sud sont dans une situation un peu particulière, a souligné le spécialiste. On sait qu’elles sont particulièrement vulnérables au point, dit-il, qu’elles incarnent désormais en Occident de « mini-laboratoires » des effets du changement climatique (lire encadré).

Concrètement, pour le Pacifique Sud-Ouest, les études récentes confirment l’ordre de grandeur évoqué plus haut sur l’élévation du niveau de la mer et tendent même à l’augmenter. Le niveau moyen de la mer, comparé à celui de 1990, pourrait monter d’un mètre, voire davantage selon le rapport de la commission Climat du gouvernement australien de 2011. Et l’on imagine ainsi facilement l’impact direct sur l’Océanie, ses nombreux atolls et îles basses…

En connaissance de cause, les populations et leurs représentants ont commencé à réfléchir à des stratégies d’adaptation. La notion de réfugiés climatiques est déjà une réalité en Papouasie Nouvelle-Guinée ou encore aux îles Torres. On évoque des visas de réfugiés, on imagine des « sauvetages » catastrophes en Australie, mais il y a aussi cette réalité d’achat de terre à l’étranger, de « migrations dans la dignité » par le développement des compétences (Kiribati) ou, plus simplement, le départ de nombreuses femmes qui rejoignent l’Australie et la Nouvelle-Zélande pour accoucher.

En moyenne 26,4 millions de personnes sont déplacées chaque année par des catastrophes naturelles (trois fois plus que par les guerres). La part à attribuer au changement climatique est difficile à établir mais « il est clair que les phénomènes vont s’intensifier et amener davantage de monde à migrer », prévient François Gemenne. 

Devancer, ensemble

La Nouvelle-Calédonie va devoir se poser elle aussi des questions. Les phénomènes ne toucheront pas que les espaces insulaires éloignés : le territoire est également concerné par l’élévation du niveau de la mer et le retrait du trait de côte avec des problématiques prégnantes, notamment au nord de la Grande Terre et sur la côte Est.

Cette vulnérabilité côtière a et aura des conséquences directes sur les questions foncières et d’aménagement (définition du domaine public maritime, réalisation d’ouvrages de protection littorale, classement de la bande côtière en zone inondable, constructible, etc.). Des recherches sont menées localement pour tenter d’anticiper et répondre aux problématiques futures d’habitabilité (construire davantage dans les terres ? Eviter certaines zones ?)

Et il y aura à la fin, comme partout, rappelle Francois Gemenne, ce choix politique fondamental à faire : savoir quelles populations pourraient être déplacées, quelle parties de terre pourraient être protégées. Et le spécialiste d’inviter « les gouvernements à mettre dès à présent en place les processus de choix démocratiques qui permettront de faire un choix collectif plutôt qu’un choix arbitraire qui sera forcément conflictuel ».

Plus riche et plus étendue que beaucoup d’autres îles, la Nouvelle-Calédonie doit aussi réfléchir, estime-t-il, à l’idée de devenir une terre d’accueil des réfugiés de la région, à l’instar de la Nouvelle-Zélande. À l’échelle de la région, tandis que l’adaptation au changement climatique se pense encore à l’échelle des familles, des villages ou par une « collection d’États indépendants », le chercheur plaide pour la mise en place de schémas régionaux d’organisation de ces migrations sur lesquels pourrait, par exemple, plancher la CPS.

Il s’agirait de mieux anticiper les éventuels mouvements de populations tout en acceptant l’idée qu’il serait plus simple pour les familles de migrer chez elles ou chez leurs voisins plutôt qu’à l’autre bout de la planète où d’autres personnes seront de toute façon attendues.

Le territoire va devoir se préparer à toutes ces questions et voir en même temps comment s’engager dans la voie d’un monde post carbone dans une logique de réduction des émissions de gaz à effet de serre.


La Terre, un enjeu à part entière

Le changement climatique pose de nouvelles questions dont celle de l’habitabilité. En effet des zones entières et parfois des pays entiers sont voués à disparaître. Selon François Gemenne, il faudrait idéalement « réfléchir ensemble la Terre et le monde, ce que nous avons toujours refusé de faire. Nous avons toujours considéré la Terre comme le décor des activités humaines, juge-t-il, comme un objet de politique sans débat de fond, mais nous sommes justement à un moment où l’histoire de la Terre se trouve déterminée par l’histoire des hommes. » Sa survie est désormais un enjeu à part entière qui va déterminer toutes les questions de santé publique, d’environnement, de migrations, etc. Et le plus intelligent, dit il, serait de travailler globalement et non de manière étatique sur le sujet.

Enfin, selon lui, le changement climatique pose la question du rapport à l’autre. « Sommes- nous capables de réduire nos émissions pour les autres humains ? Allons-nous être capables sur les migrations, par exemple, de penser que l’autre est une partie de nous mêmes au sein d’une seule humanité et de l’accueillir à bras ouverts ? » Pour lui deux visions du monde s’opposent désormais : l’universalisme et le souverainisme. À méditer…

À long terme, la montée du niveau des mers résultant d’un réchauffement de 2 °C pourrait entraîner la submersion de terres où vivent actuellement 280 millions de personnes. L’Onu appelle depuis plusieurs années les États à favoriser les migrations climatiques.


Les îles en « victimes »

Pour François Gemenne, les sociétés occidentales voient les espaces insulaires comme incarnant « des mini-laboratoires des changements climatiques à venir pour le reste du monde » avec des « premiers témoins », des « premières victimes ». « On s’intéresse d’ailleurs à ces îles uniquement dans la perspective de leur disparition ! Qui avait, en effet, entendu parler de Tuvalu ou Samoa, il y a encore dix ans de cela ? », claque François Gemenne. Il est généralement pensé que les îles sont d’une grande vulnérabilité et que les populations sont livrées à elles mêmes. Et s’il y a effectivement une part de vérité, estime-t-il, cette perception serait contreproductive : « On finit par ne pas s’intéresser à leur survie, mais plutôt à observer leur disparition ! »

Il ajoute que les représentants des « petits » États insulaires ont bien compris que cette représentation, cette « victimisation » pouvaient servir à avoir une voix dans les négociations internationales pour obtenir des financements. « Mais les moyens octroyés ne sont-ils pas autant d’alibis des pays riches pour ne pas réduire les émissions ?, interroge François Gemenne. Ne serait-il pas plus opportun de se remettre sur les objectifs de l’accord de Paris sur le climat ? »

Pour l’expert, enfin, il est surprenant de voir que les États insulaires du Pacifique manquent de détermination à l’Onu. S’ils savent s’affirmer sur les océans, ils se «prostituent» sur d’autres sujets contre des promesses de capitaux, quitte à se discréditer totalement en se positionnant, par exemple, contre la fin de la chasse à la baleine, contre la levée de l’embargo sur Cuba ou encore plus récemment sur le statut de Jérusalem. Répondre au chantage au portefeuille ne serait pas forcément la stratégie la plus productive dans le temps, prévient le spécialiste…

C.M. – Photos : C.M., Getty Images, AFP