« C’est vraiment un gâchis »

Le dernier numéro des Nouvelles Calédoniennes est sorti ce jeudi. La fin brutale d’une aventure de 52 ans, un drame social pour 120 personnes et la disparition du quotidien dans le paysage médiatique.

Ils accusent le coup. Sur la placette en face des locaux du Surcouf, au centre-ville de Nouméa, les visages sont défaits. Certains pleurent, beaucoup se prennent dans les bras, sidérés, abasourdis.

Les salariés de Melchior viennent d’apprendre sa mise en liquidation dans moins d’une semaine. « On a pris la nouvelle avec beaucoup d’émotion. Terminer comme cela, c’est terrible, témoigne Thierry Kremer, secrétaire du comité d’entreprise. Tout le monde s’est donné à fond et est très attaché à son outil de travail, être licencié de cette manière, on a du mal à l’accepter. »

Les employés n’ignoraient pas la mauvaise situation financière du groupe et l’éventualité d’une fermeture était dans toutes les têtes. « Ce qui surprend, c’est la soudaineté de l’arrêt de l’activité », souligne Baptiste Gouret, journaliste au quotidien depuis plus de trois ans. « On est tombé de très haut », renchérit Yann Mainguet, rentré aux Nouvelles en 2007. « On s’attendait à quelque chose, mais pas de cet ordre-là, ajoute Aurélia Dumté, des magazines. C’est violent. »

Cela laisse peu de temps ‒ trois jours ‒ pour « boucler les dernières éditions et récupérer nos données et nos archives », signale la Société des journalistes (SDJ) dans un communiqué, mardi 14 mars. Par « reconnaissance et respect » envers les lecteurs, les équipes s’attellent à ne rien laisser inachevé. Dans les couloirs, les souvenirs apportent un semblant de réconfort. « On parle des belles années vécues et on se serre les coudes. On en a traversé des événements et on s’est accrochés. » Jeudi 16 mars, après un ultime numéro spécial, 120 personnes ont cessé de travailler.

« SAUVER LE JOURNAL »

Déjà, à la veille du lancement de la nouvelle formule, le 27 décembre, la rédaction, inquiète, débraye et alerte la direction, entre autres, concernant un manque de moyens humains et des effectifs réduits au maximum. Des signes avant-coureurs, avec la fermeture des rotatives en décembre et les départs non remplacés. « Visiblement, cela fait des mois qu’ils le préparent », glisse Julien Mazzoni.

La tristesse laisse place à la colère. « Je n’ai pas l’impression que tous les leviers aient été actionnés », regrette le secrétaire de rédaction et rédacteur, évoquant le manque de transparence des actionnaires et de la direction. Pourtant, les employés sont prêts « à sauver le journal. C’est dur de travailler et de se dire qu’on a fait ça pour rien. » La sensation « d’avoir été roulé dans la farine, appuie Yann Mainguet. On nous dit qu’il faut mettre le paquet en fin d’année, et deux mois plus tard, on ferme. »

Pourtant, « le taux de conversion du papier au numérique était plutôt bon et les abonnements web augmentaient depuis la rentrée », indique Baptiste Gouret, qui voit dans le passage au numérique « une transition douce vers la fin. On a le sentiment que c’était joué d’avance. »


© C.M.

« ABSENCE DE STRATÉGIE »

Des erreurs de management n’ont pas aidé, regrette Baptiste Gouret. « Le tournant du web n’a pas été pris. On fait une formule 100 % numérique sans application et avec un site obsolète ». Yann Mainguet pointe du doigt « l’absence de stratégie » et la SDJ déplore « le refus des dirigeants d’écouter les propositions et les suggestions que nous avons formulées ces dernières années ». « C’est vraiment un gâchis », lâche Yann Mainguet.

Aux IRN, les imprimeurs ont sorti les derniers magazines lundi, Le Gratuit et le supplément L’Immo, et nettoyé les locaux mardi, avant l’arrêt, mercredi. « Je ne pensais pas que ça fermerait définitivement, j’imaginais plutôt une réduction des effectifs. Ça fait mal au cœur, exprime l’un d’entre eux. On manquait de personnes qualifiées pour assurer la maintenance et cela faisait des années qu’on n’avait plus les moyens d’entretenir le matériel. » Tout devrait être vendu, les tonnes de papier, les machines et le site. « Pour ceux qui ont fait ça toute leur vie, ça va être très dur. Une dizaine de personnes doit retrouver du travail. »

ET MAINTENANT

Les salariés s’interrogent sur la suite. Ils « n’ont, à ce jour (mardi, NDLR), aucune autre garantie que de recevoir leur salaire de mars », d’après la SDJ, et ne savent pas quand ils toucheront leurs indemnités de départ. « Une incertitude qui plongera la plupart des familles dans la précarité. »

Quel avenir ? Une vingtaine de journalistes vont notamment se retrouver sur le marché du travail dans un secteur étroit et concurrentiel. « Ça ne va pas être facile, considère Baptiste Gouret. Est-ce que je vais rester ici et changer de voie, ou continuer à faire mon métier en France ? Je pense à ceux qui sont plus âgés et pour lesquels ça va être plus compliqué. » Se reconvertir, Aurélia Dumté y réfléchit aussi. Mais la priorité reste « de retrouver du travail le plus vite possible ».

Les Nouvelles faisaient partie du quotidien des Calédoniens. « Il y avait un véritable attachement pour ce titre », estime Julien Mazzoni. Le support contribuait au lien social et à la pluralité de l’information, notamment en cette période de « construction d’un projet de société », insiste Yann Mainguet, une perte « pour la démocratie et pour la Nouvelle-Calédonie ». Ce qui ne semble pas tant émouvoir, remarque Julien Mazzoni. « Le seul journal du pays est en train de mourir dans l’indifférence générale. »

Anne-Claire Pophillat

Photo : Les salariés du groupe Melchior ont appris la fermeture du journal à la suite d’un comité d’entreprise extraordinaire, vendredi 10 mars. / © A.-C.P.

 

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