La Première ministre a demandé à l’Inspection générale des finances d’établir un diagnostic de la filière nickel, de voir dans quelle mesure elle est susceptible de constituer une source d’approvisionnement complémentaire pour la France et l’Europe et de proposer des pistes pour une stratégie à long terme. Voici les principaux points relevés dans ce document.
APPROVISIONNEMENTS
À l’échelle mondiale, la concentration des moyens de production de minerai et de transformation des produits intermédiaires de nickel de classe I, entrant dans la fabrication des batteries, s’accentue. En 2025, la Chine et l’Indonésie concentreront respectivement 11 % et 44 % des capacités de production de NHC, MSP et mattes de nickel et 37 % des capacités de raffinage de ces produits en sulfate de nickel. 90 % des projets de production de produits intermédiaires indonésiens sont contrôlés par des acteurs chinois, ce qui présente des risques pour leurs concurrents, estime l’IGF (restrictions à l’exportation, évictions des acteurs moins compétitifs, pratiques anti-concurrentielles, etc.)
MATIÈRE CRITIQUE
Dans ce contexte, l’Europe a mis à jour sa liste des matières premières « critiques » et « stratégiques », ces dernières étant « essentielles » à ses ambitions écologiques, numériques, spatiales et de défense, « mais dont l’approvisionnement futur n’est pas sûr ». Le nickel de qualité batterie figure dans ces deux listes. Pour l’heure, les capacités de production domestiques de l’UE ne couvrent que 10 à 25 % de ses besoins en nickel pour batterie (10 % en sulfate de nickel, 25 % en produits intermédiaires).
CAPACITÉS
Les capacités de la Nouvelle-Calédonie pourraient représenter jusqu’à 85 % des besoins des gigafactories françaises (quatre projets en cours) en 2030 et 14 % des besoins européens en 2035. Mais il faudrait pour cela que les volumes soient intégralement commercialisés vers l’Union européenne et que les moyens de production du territoire soient aménagés.
FERRONICKEL
Problème, deux des trois métallurgistes produisent du nickel de classe II (nickel pig iron ou ferronickel), principalement destiné au marché asiatique de l’acier inoxydable. Par ailleurs, aucun des opérateurs n’est en mesure de servir le marché européen dans des conditions viables en raison de coûts de production, notablement plus élevés que ceux de la concurrence internationale.
PLOMBÉES PAR LES COÛTS
Si l’activité d’exportation de minerai brut est bénéficiaire (petits mineurs), les trois métallurgistes présentent des résultats négatifs depuis plus de 10 ans. Ils sont très exposés à la volatilité des prix du nickel. Leur incapacité à atteindre leur production nominale pèse sur leurs coûts de production. La sous-production est elle-même due à la baisse de la teneur en nickel du minerai traité en raison de l’épuisement progressif des gisements les plus riches, et pour la SLN des difficultés réglementaires à exploiter certains sites. Les usines sont confrontées à des coûts d’énergie « deux fois supérieurs à ceux de leurs concurrents indonésiens » et de main-d’œuvre « cinq fois » plus élevés. S’ajoutent les problèmes techniques, le climat social et les conditions météorologiques.
DÉFAILLANCES
Les entreprises dépendent des financements privés et publics, ce qui les expose à des défaillances. En cas d’arrêt des activités métallurgiques, les activités minières pourraient être sauvegardées, ce qui permettrait de préserver environ la moitié des emplois directs, indirects et induits, selon l’IGF. Dans le scénario d’une défaillance simultanée des trois usines, le chômage augmenterait de 50 % et la Nouvelle- Calédonie perdrait 4 points de son PIB la première année.
MATTES
Les rapporteurs préconisent d’augmenter la production des usines pour atteindre leur capacité nominale tout en réduisant leurs coûts. Alors que le marché porteur des batteries échappe à la SLN et à KNS, l’IGF leur recommande de développer la production de mattes, un produit plus concentré en nickel utilisable dans les batteries après raffinage. La SLN doit engager une étude et KNS a déjà procédé à des tests.
MIX ÉNERGÉTIQUE
La transformation du mix énergétique est nécessaire pour abaisser les coûts et les émissions de CO2 des métallurgistes, et leur permettre d’exporter vers l’UE. Les investissements sont chiffrés à 4,15 milliards d’euros (près de 500 milliards de francs) pour la conversion des deux centrales à charbon en centrales à gaz, pour le développement de l’énergie photovoltaïque, des stockages et stations de transfert d’énergie par pompage.
EXPORTATIONS
Pour un meilleur équilibre entre l’activité minière et l’activité métallurgique, les rapporteurs préconisent de lever l’interdiction d’exporter le minerai brut situé en réserve géographique métallurgique (notamment pour KNS et Prony) et de remplacer le régime d’autorisation d’exportation par un régime de déclaration. Les indépendantistes se sont longtemps opposés à l’export, hormis aux usines offshore détenues par des intérêts calédoniens.
POLITIQUE
Les rapporteurs pensent que l’acceptabilité de l’activité pourrait être améliorée si l’on revoyait à la baisse la participation des collectivités au capital des usines (par le biais d’une seule agence), ce qui contredit la position en faveur d’une participation majoritaire des collectivités. Il faut enfin, selon l’IGF, encourager les initiatives telles que la réforme de la fiscalité minière engagée par le gouvernement (taxes à l’extraction et l’exportation). Quoi qu’il advienne dans le temps, de nouveaux financements paraissent « difficilement évitables » à court terme.
Chloé Maingourd
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