Catherine Ris : « La reconstruction passe aussi par la formation des hommes et des femmes »

Docteure en sciences économiques, Catherine Ris enseigne à l’UNC depuis 2003, avant d’en prendre la présidence en 2021. (© F.D.)

Les étudiants de l’UNC ont fait leur rentrée le 5 février à Nouméa et Koné. Lors des émeutes, le campus de Nouville a été épargné par la destruction, mais les enseignements ont été fortement perturbés. Catherine Ris évoque les conséquences de ces événements, ainsi que les défis à relever en 2025.

DNC : En ce début d’année, les effectifs sont-ils en hausse ou en baisse ?
Catherine Ris : Nous attendons la finalisation des inscriptions. Certains étudiants ont déjà commencé à suivre des cours, mais n’ont pas forcément finalisé leur dossier. Nous savons que les étudiants engagés dans le cursus de deuxième année sont quasiment tous réinscrits.
L’incertitude, comme tous les ans, c’est sur les premières années. Dans tous les cas, cela ne remet pas en cause l’ouverture et la continuité de la formation.

Et au campus de Baco, à Koné ?
Il y a une augmentation des effectifs en première année à Baco. Il y a eu plus de vœux orientés sur la licence à Baco sur Parcoursup et cela s’est concrétisé aussi par une augmentation sensible des inscriptions.
Les raisons peuvent être multiples. Peut-être que les familles ont préféré rester dans le nord plutôt que d’envoyer leurs enfants sur Nouméa. Il faut mettre aussi en corrélation avec les résultats du bac. S’il y a une augmentation du nombre de bacheliers dans les lycées du nord, mécaniquement, cela se répercute.

2024 a été une année particulière. Les post-bac sont-ils présents ?
L’université absorbe un peu plus de la moitié des néobacheliers. En nombre de titulaires du bac, nous avons eu les mêmes en 2024 que fin 2023. Mais nous pouvons nous attendre à ce que la situation de crise ait des effets contradictoires sur les poursuites d’études.
Il y a d’une part le fait que, soumises à des difficultés financières, de nombreuses familles vont chercher l’insertion professionnelle parce qu’elles n’ont pas la possibilité, même en ayant des enfants titulaires d’une bourse, de pouvoir subvenir à leurs besoins.
D’un autre côté, la situation de crise a aussi pour conséquence d’avoir considérablement rétréci le marché du travail et donc les opportunités aujourd’hui de trouver un emploi se réduisent pour les néobacheliers qui ne sont pas formés, sauf les bacs professionnels, à entrer dans le monde du travail.

Nous avons toujours cette problématique de l’échec en première année, avec en plus des bacheliers en 2024 qui ont obtenu leur baccalauréat dans des conditions particulières. C’est une génération qui n’a pas connu l’examen.

L’université propose-t-elle des nouveautés ?
Il y a un renforcement pour les premières années de l’accompagnement vers la réussite avec, tout de suite à la rentrée, des tests de positionnement. Ce n’était pas pour pénaliser les étudiants, c’était fait dans une démarche d’identification de leurs forces, mais aussi de leurs faiblesses pour pouvoir très vite mettre en place une remédiation, qui se fait essentiellement en ligne avec des exercices. Et puis, un accompagnement avec nos chargés d’enseignement et d’accompagnement se fait en parallèle des cours.
C’est important parce que nous avons toujours cette problématique de l’échec en première année, avec en plus des bacheliers en 2024 qui ont obtenu leur baccalauréat dans des conditions particulières. L’objectif est de les mettre assez rapidement en condition parce c’est une génération qui n’a pas connu l’examen, d’être assis pendant 4 heures pour valider un diplôme.

D’autres dispositifs ont-ils été mis en place ?
Depuis l’année dernière, nous avons généralisé des stages d’insertion en milieu professionnel pour tous les étudiants, qui sont évalués et valorisés dans leur cursus. Un point important est la valorisation de l’engagement étudiant. Nous leur donnons la possibilité de valider sous forme de crédit, puisque les diplômes s’obtiennent par la validation d’un certain nombre de crédits, leur engagement associatif, citoyen, que ce soit au sein de la communauté universitaire ou en dehors. Cela nous permet de travailler le citoyen en devenir que nous sommes chargés de former.
Et puis, tous les étudiants ont une sensibilisation aux enjeux de la transition écologique.

Vous avez aussi mis l’accent sur la formation continue.
L’université a la mission de la formation initiale de la recherche, mais également de la formation tout au long de la vie. Et donc nous avons une offre qui s’étoffe. Nous avons ouvert cette année un diplôme, qui existait déjà mais qui est renouvelé, en droit coutumier kanak, un autre en ethnomédecine qui forme les soignants aux pratiques de la médecine traditionnelle, et un dernier sur la prise en charge du handicap.
Les gens le savent rarement, mais tous nos diplômes sont ouverts aussi bien aux jeunes étudiants qu’à des personnes qui sont en reprise d’études ou des professionnels qui veulent se spécialiser.

Lors de votre discours d’accueil, vous avez rappelé qu’en 2024, « notre université n’a pas été épargnée ». Est-ce que des dégâts handicapent l’activité ?
Nos campus ont heureusement été préservés, ce qui a permis de reprendre les cours en présentiel, sur site. Mais l’université est aussi très tournée vers l’extérieur. Nous emmenons nos étudiants pour faire des visites, des séjours en tribu… Nos chercheurs ont des missions de terrain pour aller à la rencontre des populations, faire des prélèvements, des observations, etc. Il y a eu une longue période, durant toute la deuxième partie de l’année, où ces terrains d’études n’ont pas été accessibles.
En revanche, cette situation a affecté la mobi- lité internationale. Les étudiants étrangers ont été rapatriés au mois de mai et ne sont pas revenus en deuxième semestre. D’habitude, il y a une vingtaine d’étudiants en mobilité à cette période. Ils sont beaucoup moins nombreux cette année parce que la Nouvelle-Calédonie est encore inscrite sur les listes des territoires non sécuritaires pour certains pays et donc les étudiants ne sont pas autorisés à venir, et parfois également les chercheurs. Nous avons des chercheurs néo-zélandais et canadiens qui devaient venir et qui nous ont annoncé que leur université ne les y autorise pas.
Après, la conséquence essentielle qu’on ne mesure pas, ce sont tous ces étudiants qui étaient en cours l’année dernière et qui ne sont pas revenus. J’ai le sentiment, en parlant avec mes collègues, qu’ils n’ont pas tous repris les cours alors qu’ils avaient leur place. Cela veut dire que nous aurons peut-être une année ou deux de manque de formation dans la population calédonienne.

L’Université de la Nouvelle-Calédonie se veut être un lieu du débat, « de la neutralité », avez-vous déclaré. Pourtant, elle a été prise l’année dernière dans une polémique avec la suspension à titre provisoire de M. Chauchat. Où en est-on de la procédure administrative ?
Elle se poursuit.

Est-ce que cela veut dire concrètement que le professeur est toujours suspendu ?
Oui, il est toujours suspendu.

Lors des émeutes, les lieux d’éducation ont été touchés. L’enseignement a lui-même été remis en cause, notamment celui de l’histoire calédonienne. Quelles conclusions en tirez-vous ?
Je vois plus cela comme des demandes d’une partie de la jeunesse, parce que c’est essentiellement elle qui s’est exprimée sur ces questions. J’ai entendu nos étudiants parler du fait qu’ils ne connaissaient pas leur histoire. Ils l’ont découverte en arrivant à l’université, ils n’avaient jamais lu le préambule de l’accord de Nouméa. Je sens une très forte demande et une forte attente. Il faut être en mesure d’y répondre.
Les ressources existent sur l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, à nous de les utiliser, à nous de les mobiliser pour effectivement répondre à cette demande de nos étudiants et plus généralement de la jeunesse.

Dans les projets, il y a la préfiguration d’un Sciences Po Pacifique. Est-ce une réponse à ce besoin de formation ?
Oui, tout à fait. Nous avons commencé à y travailler en début d’année dernière. Les éléments du mois de mai ont un petit peu accéléré notre perception de la pertinence de monter ce type de formation. Sciences Po, ce sont des formations pluridisciplinaires qui forment à la réflexion, qui forment à l’esprit critique, qui ouvrent au monde. Nous avons deux universités françaises dans le Pacifique, donc c’est un projet qui peut bien être porté à l’échelle des deux établissements.
Cela nous paraît être une façon pertinente d’accompagner la Nouvelle-Calédonie et la région Pacifique dans les évolutions qui sont en cours.

Les ressources existent sur l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, à nous de les utiliser, à nous de les mobiliser pour effectivement répondre à cette demande de nos étudiants et plus généralement de la jeunesse.

L’UNC a fait réaliser une étude sur son impact socio-économique et son empreinte carbone. Quels en sont les résultats ?
Sur l’aspect socio-économique, l’université représente en termes de création de valeur presque 1 point de PIB et presque 1 % de l’emploi en Nouvelle-Calédonie. C’est relativement important. C’était nécessaire pour nous de faire cette étude. C’est la première fois que l’Université de la Nouvelle-Calédonie mesure son impact sur le territoire.
Après, l’étude est très restrictive puisqu’elle ne mesure pas toutes les retombées en termes de création de connaissances. Nous répon- dons aux besoins de la Nouvelle-Calédonie, de la région. Et c’est extrêmement important pour nous que ce soit reconnu, c’est notre raison d’être. L’université est née de l’accord de Nouméa, c’est quelque chose que nous revendiquons.
Et concernant le bilan carbone, c’est un exercice que je recommande à de nombreuses structures. Sans surprise, nous avons pu mettre en évidence que les déplacements et notamment les déplacements domicile-travail, domicile-université pour les étudiants, représentent les deux tiers de notre émis- sion de CO2.

Le campus favorise l’innovation et les passerelles. Comment peut-il s’inscrire dans la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie ?
La reconstruction passe aussi par la forma- tion des hommes et des femmes. C’est fonda- mental dans la construction d’une société. Par sa première mission de formation initiale et continue, l’université participe, même au-delà de la reconstruction, à la construction de la Nouvelle-Calédonie. Elle l’a toujours fait, peut-être encore plus maintenant dans un moment où nous avons besoin d’avoir des compétences, des forces vives et des personnes en mesure de réfléchir et de construire.
La Nouvelle-Calédonie dans son chemin de reconstruction s’inscrit dans de nombreuses transitions. Alors cela passe aussi par la repriorisation de nos projets, donc des formations en lien avec la décarbonation, notamment de l’industrie, l’accompagnement vers une alimentation durable, avec un pôle en agronomie tropicale que nous allons créer, et les métiers de la santé, du sanitaire et du social. À un peu plus long terme, l’université s’inscrit toujours dans la construction de cette vallée des sciences sur Nouville. Nous souhaitons mettre en place une nouvelle infrastructure qui sera dédiée à l’innovation de la valorisation des ressources bleues et vertes de la Nouvelle-Calédonie.

Dans un rapport publié en novembre, la Cour des comptes a pointé la bonne trésorerie de l’UNC. Malgré tout, avec les difficultés financières de la Nouvelle-Calédonie et de l’Hexagone, comment envisagez-vous cette année ?
Nous avons une grosse incertitude sur le montant de la subvention de l’État, de notre ministère de tutelle. Parallèlement à cela, l’université est soumise à l’évolution de la réglementation nationale en ce qui concerne le statut de ces personnels avec des augmentations de charges qui nous sont imposées, mais pour lesquelles l’université n’est pas compensée. Donc cela réduit les marges de manœuvre.
Évidemment, les difficultés de la collectivité Nouvelle-Calédonie et des provinces obèrent aussi la possibilité de développer des projets, notamment dans le cadre du Cresica [Consortium de coopération pour la recherche, l’enseignement supérieur et l’innovation] avec les autres organismes de recherche, dont certains dépendent des financements des collectivités locales.

Propos recueillis par Fabien Dubedout