La baisse des recettes fiscales perçues par la Nouvelle-Calédonie affecte l’ensemble des collectivités du territoire, dont la province Sud, contrainte de constituer un budget pour l’année prochaine qui devrait être amputé d’un tiers de ses ressources. Seule une aide de l’État pourrait permettre d’éviter le pire, estiment les élus.
« Nous avons un recul, lié à ce qu’il s’est passé le 13 mai, de vingt ans des recettes fiscales. Nous revenons au montant de 2004 », appuie Sonia Backès, présidente de la Maison bleue, lors du débat d’orientation budgétaire (DOB), jeudi 24 octobre, à l’assemblée de la province Sud. « Nous sommes en train de voir l’effacement de trente ans de rééquilibrage. La Nouvelle-Calédonie plonge dans le tiers-monde », ajoute Philippe Blaise, premier vice-président. Le résultat d’une réaction en chaîne. Les collectivités sont principalement financées par le budget de répartition. Or, le produit des impôts et taxes qui le constitue a dégringolé avec les exactions. Selon les estimations, cela ferait chuter le budget de la province de 57 à 39 milliards de francs en 2025. Soit un tiers en moins.
LA FIN DES SERVICES PUBLICS ?
Comment, dans ces conditions, équilibrer les comptes ? Pour Sonia Backès, il n’existe que deux solutions. La première consiste à couper les dépenses : fermer les internats, les centres médico-sociaux, les parcs provinciaux, mettre 30 élèves par classe, supprimer les bourses scolaires, le budget participatif, les subventions aux associations, diminuer les investissements de 75 %, etc. C’est-à-dire « l’arrêt des politiques qu’on a mis des années à construire, témoigne Gil Brial, deuxième vice-président. Dans la vie d’un élu, c’est super dur, c’est le service à la population qui disparaît. » Un scénario « tout simplement inenvisageable », insiste Philippe Michel (Calédonie ensemble) parce que « cela signifierait que le pays entier s’effondrerait ».
L’autre option repose, d’une part, sur l’économie de 6 milliards de francs en ne renouvelant pas les départs, en proposant aux agents de passer à 90 %, en augmentant la limite d’âge du minimum vieillesse de 61 à 67 ans voire plus, en suspendant plusieurs dispositifs… Et, d’autre part, sur la sollicitation de l’État pour une aide de 12 milliards. Seule issue possible afin d’éviter de bien funestes projections. La demande a déjà été adressée. Sans réponse pour l’instant. Si aucune ne parvenait avant le 5 décembre, jour prévu de l’examen du budget, les représentants voteraient un document insincère. Ce qui conduirait sans doute à une « mise sous tutelle » de l’institution, indique Sonia Backès.
« UNE CRISE SOCIALE PLUS VIOLENTE »
Ce soutien est nécessaire et attendu. Le gouvernement central « porte une responsabilité », juge l’élue, celle de « ne pas avoir mis assez de forces de l’ordre ». Et la Nouvelle-Calédonie étant « un territoire de la République », « la Métropole ne peut pas nous laisser mourir », renchérit Muriel Malfar-Pauga (Les Loyalistes), qui prédit une « crise sociale deux fois plus violente que ce qu’il s’est passé le 13 mai, parce que les familles n’ont plus rien, plus de quoi manger ».
Dans ce contexte, considère Philippe Michel, le plus important est de saisir l’opportunité « d’interpeller fortement, urgemment l’État sur la gravité de la situation. Il faut une aide à la hauteur des enjeux ». Bercy est particulièrement ciblé. « On apprend que l’aide attendue pour la fin de l’année serait conditionnée à une augmentation de la TGC et un point de plus de CCS. Bercy nous demande de prélever des milliards sur le dos des Calédoniens qui n’ont plus de revenus. »
Sonia Backès pointe du doigt le « décalage entre les déclarations politiques » et ce qu’il se passe avec le ministère, qualifié de « fossoyeur de la Nouvelle- Calédonie ». Plutôt que nous mettre « encore plus la tête sous l’eau avec de nouveaux emprunts qu’on ne peut pas rembourser, l’État doit accompagner en nous donnant des aides à l’investissement pour remettre les milliers de personnes au chômage au travail ».
Ce cri d’alerte, Philippe Dunoyer propose de l’acter avec un courrier signé par les chefs de groupe. Une « volonté d’unité » approuvée par Virginie Ruffenach. Seule intervention des indépendantistes, celle d’Alosio Sako (RDO), qui demande « de veiller à ce que les droits fondamentaux de chaque citoyen soient, autant que faire se peut, sauvegardés, concernant l’emploi, le logement, la santé et l’éducation ». Il n’y a pas le choix, répond Sonia Backès. « Sans aide de l’État », « on est obligés de tout arrêter ». La présidente l’invite « à signer le courrier, nous aurions peut-être ainsi la capacité collective de préserver nos droits fondamentaux ».
C’est la baisse que pourrait connaître le budget 2025 de la province, soit 31 % en moins.
L’enveloppe consacrée aux investissements en 2023, déjà revue à la baisse en 2024 à 7,5 milliards, pourrait être divisée par deux voire quatre l’an prochain.
C’est le montant de la masse salariale de la province.
C’est la part de l’assiette de répartition perçue par la collectivité, qui compte 75 % de la population du territoire.
8 milliards
C’est la somme due par la Nouvelle-Calédonie (6,9 milliards) et la Cafat (1,3 milliard) à la province au 1er octobre. Il s’agit d’une « problématique de trésorerie distincte de la construction du budget 2025 ». La province pourrait se retrouver en cessation de paiement dès le mois novembre.
Anne-Claire Pophillat