Yannick Slamet : « Comment se fait-il qu’un pays riche soit en quasi-faillite ? »

Le gouvernement sollicite auprès de l’État un prêt de 25 milliards de francs pour financer les investissements des trois prochaines années et boucler le budget 2022. Pour Yannick Slamet, son porte-parole également en charge du budget, des finances et de la santé, la situation impose d’« aller chercher de nouvelles ressources » sans « matraquer les gens » et en visant « la richesse ».

DNC : Comment jugez-vous la situation financière de la Nouvelle-Calédonie ?

Yannick Slamet : La situation est très compliquée, plus que jamais. Les ressources diminuent. On attendait 110 milliards de francs de recettes fiscales sur l’année 2021, c’est finalement 103 (à répartir entre les collectivités, NDLR). La Nouvelle-Calédonie est dans une situation de quasi-faillite.

Pour une collectivité, la faillite est loin d’être automatique…

Oui, bien sûr, on ne liquide pas une collectivité. Si le budget n’est pas équilibré, l’État devra le prendre en charge, comme l’an dernier. Mais il y aura des conséquences pour la population, il ne faut pas se leurrer, même si je crois à la réforme fiscale, aux économies, à la refonte du système de santé.

Vous jugez le recours à l’emprunt « impératif » pour équilibrer le budget 2022. Quel sera le montant ?

On espère un prêt de 25 milliards, de nouveau via l’Agence française de développement. Nous avons d’ores et déjà la garantie de l’État, mais nous négocions encore l’emprunt. C’est mieux dans ce sens-là. En 2020, (pour l’emprunt Covid) le gouvernement avait fait l’inverse : il avait d’abord obtenu les 28,6 milliards, puis Thierry Santa avait bataillé pour obtenir la garantie. Ce prêt a été consommé, il reste 0 franc pour le budget 2022.

 

Ce n’est pas avec des économies qu’on équilibre un budget à long terme, c’est impossible. »

 

En 2020, le prêt avait été obtenu au prix d’engagements financiers, comme l’augmentation des recettes fiscales, c’était la fameuse annexe 6. Est-il question de nouvelles obligations ?

Il y aura sûrement des conditions, mais il faut savoir que l’annexe 6 n’a pas été mise en œuvre puisque la réforme fiscale n’a pas encore été adoptée. En sollicitant l’aide de l’État une nouvelle fois, je me suis engagé, ainsi que le 17e gouvernement, à mettre en œuvre l’annexe 6. Et de toute façon, nous avions déjà lancé le chantier fiscal. Fin décembre, nous avons présenté un plan triennal pour crédibiliser la Nouvelle-Calédonie.

Sur les dépenses, quels engagements sont possibles ?

Le 16e gouvernement avait fait beaucoup d’efforts, nous en faisons encore, mais on ne peut pas aller au-delà du possible, ou le service public s’arrêtera. Ce n’est pas avec des économies qu’on équilibre un budget à long terme, c’est impossible, on ne peut pas faire croire cela aux gens. Aujourd’hui, il faut aller chercher de nouvelles ressources. C’est pour cela qu’on a sollicité ce prêt de 25 milliards, qui financera uniquement de l’investissement, de la relance, sur trois ans.

La Nouvelle-Calédonie est endettée de 62 milliards, soit 162 % de ses recettes annuelles, quand l’AFD préconise 90 % maximum. Revenir durablement en dessous de ce seuil, est-ce réaliste ?

Oui, c’est possible, à condition qu’il y ait de grandes réformes. Il ne s’agit pas de matraquer les gens, mais certaines choses demandent à être révisées. Et puis la Calédonie n’est pas un pays sans ressources. Il y a de la richesse. Comment se fait-il qu’un pays riche comme la Calédonie soit en situation de quasi-faillite ? Je ne suis pas socialiste ni communiste, mais je pose la question.

 

Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut arrêter de taxer le travail. »

 

La réforme fiscale fait l’objet d’une forte opposition de la part des organisations patronales…

Je suis étonné que le Medef ne soit pas plus favorable à cette réforme. L’impôt sur les sociétés passera de 30 à 25 %. Et puis actuellement, on taxe le travail : le Ruamm est basé sur les charges sociales. Alors que la santé, en principe, c’est de la solidarité, ça ne peut être financé que par la richesse. C’est le problème, aujourd’hui : quand on taxe le travail, les employeurs embauchent moins ou augmentent leurs prix. Au bout, ce sont les moins favorisés qui en souffrent. Est-ce que les charges sociales n’ont pas atteint leur niveau maximum ? Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut arrêter de taxer le travail. Il faut peut-être entrevoir une diminution et envisager une fiscalité plus directe, plus équitable. Et puis il y a tous les cadeaux fiscaux que l’on fait. La révision des niches fiscales, il faut s’y atteler cette année.

Si les provinces se délestent de l’aide médicale, la Nouvelle-Calédonie pourra-t-elle payer ?

Je ne vais pas préjuger de l’avis du Conseil d’État. On risque de se retrouver avec 13 milliards en plus à financer. Mais les provinces ont, elles aussi, des difficultés budgétaires. Dans une autre vie (à la province Nord, NDLR), j’étais le premier à questionner la légitimité de nos dépenses.

 

Propos recueillis par Gilles Caprais (© Archives DNC)