Brigitte Do, une force de la nature

Raconter son histoire est une manière pour Brigitte Do de remercier et de donner des nouvelles à toutes les personnes qui la soutiennent, en dehors de son cercle privé. / © B.B.

Après avoir été attaquée par un requin en janvier, Brigitte Do continue de se reconstruire au Centre de soins de suite et de réadaptation (CSSR) de Dumbéa, aidée par ses proches, sa famille et son incroyable résilience

Qu’elle raconte son terrible accident, les 18 passages au bloc opératoire en Australie ou le long travail de rééducation pour se réapproprier son corps qu’elle poursuit au CSSR, sa confiance en l’avenir ne la quitte pas. « Elle peut paraître tellement forte, qu’on se sent faible à côté, reconnaît son compagnon, Guillaume Soulard. Elle est déterminée à s’en sortir par elle-même. » Les lourdes séquelles physiques à la suite d’une attaque de squale en janvier n’ont pas entamé le moral de Brigitte Do. L’enseignante de 49 ans partage, sans ressasser, le souvenir de sa terrible et « incroyable » rencontre avec un requin bouledogue. « Des personnes n’osent pas me demander comment c’était, mais ça ne me dérange pas d’en parler », confie-t-elle simplment.

Son courage dissimule un impensable sens de l’humour propre à toute sa famille. Ses enfants lui ont offert une tasse avec l’affiche des Dents de la mer, célèbre film de 1975 qui a marqué de nombreuses générations de cinéphiles. Sa fille de 13 ans dessine affectueusement les aventures de sa « maman pirate », un crochet à la place de sa main manquante. Des requins au feutre décorent le plâtre de sa jambe opérée. « Dès le premier jour, on a imaginé des prothèses improbables, se souvient Guillaume Soulard. C’était une manière de se projeter. On a toujours eu l’habitude de se moquer les uns des autres, on n’a pas arrêté. Cela a permis de se maintenir hors du drame. »

De sa longue traversée en eaux troubles, Brigitte Do en tire une impressionnante envie d’aller de l’avant, épaulée par ses proches, sa famille et réconfortée par tous les soutiens anonymes ou non qu’elle a reçus. « Elle a perdu une partie de son autonomie, mais pas son moral, son plaisir d’être avec les autres », explique Guillaume Soulard. « Elle rayonne naturellement. Ça émane d’elle, s’étonne avec émotion Laurence, une amie de longue date. Quand je suis allée lui rendre visite en Australie, j’étais surprise de constater que rien n’avait changé. J’ai oublié la chambre d’hôpital et j’ai eu l’impression qu’on était chez eux à boire un verre. »

RETOUR À L’EAU

Sydney était pourtant une « sacrée épreuve », se rappelle la survivante. Pendant six mois, Brigitte Do a ressenti une « douleur énorme » sans pouvoir bouger à sa guise de son lit d’hôpital. « Le premier mois, je passais toutes les semaines au bloc opératoire, en anesthésie générale, pour laver les plaies et refaire les pansements, raconte-t-elle. Au départ, ils tentaient d’éviter les infections. »

Le difficile travail de reconstruction est venu ensuite. Les chirurgiens, en contact avec des spécialistes du monde entier, ont remodelé sa main droite, puis reconstitué les nerfs et les muscles de sa jambe gauche. Pour faire face à ces moments où son corps n’appartenait plus qu’aux médecins et quand la morphine prenait le dessus, elle s’est construit un « espace mental ». Dans ce refuge, elle a puisé toute son énergie et inventé des histoires invraisemblables pour commencer sa rééducation alors que les équipes soignantes hésitaient encore à lui amputer une jambe. L’impensable pour la nageuse quotidienne depuis de nombreuses années, qui ne rêve que de retrouver la mer.

Brigitte Do se laissait embarquer dans cet « incroyable voyage » intérieur toujours à travers la même porte « féerique » qu’elle traversait en écoutant Jean Gabin chanter Quand on s’promène au bord de l’eau. « Le mental y est pour beaucoup, je suis toujours restée positive. J’imaginais des scénarios pour marcher et des jeux créés par les soignants pour me faire des exercices. Il fallait que je bouge. » Elle a réussi à se relever et à surmonter les obstacles. Parfois, les larmes ont pu brouiller son sourire. Jamais pourtant l’apitoiement n’a pris le dessus sur la combat- tante. « On peut pleurer très rapidement, mais c’est l’émotion, le bouleversement », abonde Guillaume Soulard.

Pour la suite, son compagnon, leurs deux enfants et tous ceux qui la connaissent personnellement ne s’inquiètent pas. « Dans trois mois, elle va remarcher », affirme-t-il. La vie va continuer, différemment, avec des aménagements et quelques changements. Ensuite, quand le moment viendra, et il viendra forcément, Brigitte Do nagera à nouveau. En pleine mer bien sûr, pas en piscine où elle a toujours refusé d’y faire ses longueurs. « C’est important pour moi, martèle-t-elle. J’y allais tous les jours, tous les jours. » Un « lien vital » que rien ne l’empêchera de renouer.

Brice Bacquet

J’ai cette vision de sa gueule hors de l’eau
« C’est facile de raconter parce que je me souviens très bien de l’accident, du requin. J’avais conscience de ce qu’il se passait autour de moi. Pour moi, cela reste quelque chose d’incroyable qui m’est arrivé. Ce n’est pas du tout un traumatisme. C’est presque un privilège, entre guillemets, d’avoir vu un requin en face de moi. J’ai cette vision de sa gueule hors de l’eau. Je n’étais pas en train de nager, je venais de finir mon tour. J’étais à la verticale et c’est là que j’ai senti le grand choc. Je me suis demandé : « Qu’est-ce que c’est ? ». Je me suis retournée et je me suis retrouvée face à lui. Je n’étais pas si loin du bord, mais après le ponton. J’ai vu un homme [Frédéric Tanière, NDLR] sur son paddle, comme une apparition. Je l’ai appelé, j’avais l’impression qu’il ne se rendait pas compte de ce qu’il s’était passé. Je lui ai dit que je venais de me faire attaquer et c’est lui qui m’a emmenée jusqu’au bord. Je n’ai rien ressenti au moment de l’accident. Le cerveau coupe la douleur. On m’a demandé de garder les yeux ouverts. J’étais concentrée là-dessus. Je devais garder les yeux ouverts jusqu’à l’arrivée de l’ambulance. »

 

Victime du changement climatique ?

L’accident n’a pas changé son rapport à l’environnement. Après le drame, Brigitte Do ne rumine aucune rancune envers les requins. « L’animal n’a rien fait, il était là. » Elle a même du mal à entendre ceux qui veulent les tuer. Pour elle, son accident n’est qu’un énième signal que la Terre va mal. « On voit tellement de choses en ce moment, avec le dérèglement climatique, retrace-t-elle. Je me dis qu’on est en plein dans ce basculement auquel on a contribué fortement. Les animaux sauvages se rapprochent beaucoup plus de l’homme et cela crée des virus ou des accidents. » Et c’est cela qui l’inquiète, au-delà de son propre sort.