Bientôt la fin des épidémies de dengue à Nouméa grâce à Wolbachia ?

« Ce sont des résultats extrêmement encourageants », indique Nadège Rossi, cheffe de projet du World Mosquito Program, lors de la conférence de presse bilan mercredi matin, à l’hôtel de ville. 70 % des moustiques Aedes aegypti sont porteurs de la bactérie Wolbachia à Nouméa, première commune de France à tester ce dispositif, même si la situation diffère selon les quartiers.

Une tendance prometteuse

Après deux ans de lâchers – ils ont commencé en juillet 2019 et se sont terminés en juin – si Wolbachia est bien installée sur la capitale, 70 % des moustiques en sont porteurs, cela diffère selon les quartiers. Trois zones sont distinguées. Une où la bactérie est présente à plus de 70 %, une autre où l’installation attendue à court terme est de 50 % à 70 % et la dernière où l’installation attendue à moyen terme se situe entre 30 % et 50 %.

Baisse des cas de dengue

Depuis le début de l’année, 52 cas ont été recensés à Nouméa contre plus de 1 500 par an au lancement du World Mosquito Program. Sur l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie, ce nombre est passé de 3 918 en 2019 (dont deux décès et 357 hospitalisations) à 63 cas en 2020 et 114 en 2021. Et ce, malgré des conditions climatiques favorables. Est-ce grâce à Wolbachia ? « Il est encore trop tôt pour l’évaluer précisément, indique Nadège Rossi, cheffe de projet du WMP. Les frontières sont fermées, donc le nombre de cas importés est très faible et nous avons la dengue de type de 2 depuis plusieurs années, donc nous pouvons penser qu’il y a une certaine immunité de la population. » Mais, les conclusions sont encourageantes. « Il n’y a eu qu’un seul foyer épidémique au Motor-Pool depuis le début de l’année et pas de transmission active autour des autres cas. »

Efficace sur l’ensemble des arboviroses

Si c’est la dengue de type 2 qui est actuellement présente en Nouvelle-Calédonie, l’efficacité de Wolbachia a été montrée sur les quatre types de dengue ainsi que sur le chikungunya et le Zika. Tristan Derycke, adjoint à la mairie de Nouméa en charge de l’hygiène et de la salubrité publique, ajoute : « La bactérie fonctionne sur l’Aedes aegypti, seul vecteur de la dengue connu sur le territoire, c’est pour ça qu’elle est particulièrement intéressante chez nous. »

La surveillance continue

Si le WMP a livré son bilan mercredi, cela ne veut pas dire pour autant que son action s’arrête sur la capitale. Une surveillance du pourcentage de moustiques porteurs de Wolbachia ainsi qu’une surveillance épidémiologique, c’est-à-dire de mesure de l’impact de la méthode sur la dengue, vont être assurées pendant plusieurs années, notamment dans les zones où la mise en place de la bactérie est plus longue.

Prochaine étape ? Le développement du programme sur les communes de Dumbéa et du Mont- Dore (lire ci-dessous). Et, plus tard, dans les provinces Nord et des Îles. « On a déjà eu des échanges avec eux, précise Nadège Rossi. Les responsables sont intéressés, mais nous sommes limités au niveau de notre capacité à produire des moustiques. On ne peut pas aller partout en même temps, donc nous complétons d’abord avec les zones limitrophes de Nouméa, puis nous irons dans les communes les plus peuplées du Nord et des Îles, il faut progresser de façon cohérente et petit à petit. »

Un budget conséquent, mais amorti

Sur quatre ans, l’opération a coûté 430 millions de francs, dont 50 % d’apports en nature et 50 % en subventions. « Rapporté au nombre de Nouméens, cela fait 4 500 francs par habitant, sachant que la Dass a estimé le coût de l’épidémie de dengue survenue en 2012-2013 à 1,6 milliard de francs », détaille-t-elle.

Et les épandages ?

L’intérêt du WMP est également de réduire, voire d’arrêter les épandages. La ville poursuit, en cas de besoin, ceux de BTI – larvicide dit biologique parce que la bactérie qui le compose vit naturellement dans les sols – et d’un insecticide à base de deltaméthrine. La question devra être discutée avec les autorités sanitaires du pays, estime Tristan Derycke. « Si le but est d’éliminer les épidémies, il y aura toujours des cas sporadiques de dengue. Mais, il ne sera peut-être plus nécessaire de procéder à des épandages. Il y a des discussions à mener autour de cette politique avec la Dass. »

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Wolbachia doit se déployer au Mont-Dore et à Dumbéa d’ici la fin de l’année

C’est la suite logique du programme, estime Nadège Rossi, « étendre sur les zones densément peuplées les plus touchées par la dengue à Dumbéa et au Mont-Dore, là où il y a le plus de risques d’épidémie ». L’objectif est de pouvoir commencer avant la fin de l’année. « L’expérience à Nouméa devrait nous permettre de nous déployer plus efficacement et rapidement. »

Le projet passe en conseil municipal au Mont-Dore, ce jeudi soir. Un peu inquiet au départ, Eddie Lecourieux, est rassuré. « Au début, cela fait un peu peur de trafiquer les moustiques, mais l’institut Pasteur est venu nous expliquer. » Surtout, le maire voit de nombreux avantages à cette méthode qui va être déployée en même temps à Dumbéa, de Rivière-Salée à Nakutakoin, et au Mont- Dore, de Yahoué à Saint-Michel. « La lutte contre la dengue coûte cher. Elle nécessite des moyens financiers et a des conséquences sur l’environnement et la santé avec les épandages de deltaméthrine que l’on souhaite limiter, voire arrêter. »

Budget de l’opération ? 147 millions de francs pris en charge par l’institut Pasteur, la Nouvelle-Calédonie, l’État, la province Sud, l’université Monash et les communes de Dumbéa et du Mont-Dore à hauteur de 30 millions de francs dont 10 millions en nature (matériel et personnel). « Cela reste supportable financièrement pour nous, et puis on voit les résultats à Nouméa, donc on sait qu’on ne jette pas l’argent par la fenêtre. » Les lâchers, qui doivent commencer en décembre ou en janvier, sont prévus sur mois. Ils seront suivis d’une période de surveillance de six mois.


EN CHIFFRES

12 millions de moustiques porteurs de la bactérie Wolbachia relâchés. « Cela peut paraître beaucoup, mais en
fait ça correspond à environ 150 000 moustiques par semaine, ce qui reste faible par rapport à la population naturelle », explique Nadège Rossi.

318 volontaires pour accueillir les pièges à moustiques à domicile. « Le soutien de la population était nécessaire
pour que le programme soit efficace, souligne-t-elle. D’après un sondage, c’était le cas d’environ 94 % des Nouméens. »


DANS LE PACIFIQUE

Outre l’Australie, l’université Monash, à Melbourne, a développé le World Mosquito Program à Kiribati, au Vanuatu et à Fidji. « Les résultats sont concluants, note Cameron Simmons, de l’université Monash, qui était en visioconférence depuis Melbourne. Cela permet de protéger environ 300 000 personnes sur ces îles. »

A.-C.P.

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