Bascule au Congrès

Roch Wamytan a donc été réélu à la tête du Congrès avec l’appui de l’Éveil océanien qui siège désormais au sein du groupe UC-FLNKS et nationalistes. Une élection dès le premier tour de scrutin avec une majorité de 29 voix sur 54, mais qui suscite beaucoup d’interrogations et de réactions.

Une chose est sûre : d’un point de vue purement politique, cette réélection a été habilement et discrètement menée par le nouveau groupe indépendantiste au Congrès, et ce, préparée depuis déjà quelques semaines, selon l’aveu de Pierre-Chanel Tutugoro, le secrétaire général de l’Union calédonienne, lundi, sur les ondes de RRB. Au final, si les loyalistes parlent de traîtrise, quoi qu’on dise, les indépendantistes profitent de ce calcul évident du président de l’Éveil océanien pour asseoir un peu plus leur position aux yeux de la communauté internationale et d’un Paris qui, fort heureusement, n’est plus dupe.

Mais pour Milakulo Tukumuli, auteur de cette manigance, il ne s’agit que d’une question « d’équidistance ». Pour lui, il y a deux institutions : « Le Congrès et le gouvernement, et les élections municipales ont conforté deux mouvements politiques, l’UC et l’Avenir en confiance. L’UC préside le Congrès, l’Avenir en confiance préside le gouvernement, et nous, on veille à ces équilibres. »

Si cette réponse peut satisfaire certains électeurs, elle peut aussi faire bondir. La communauté océanienne va t-elle continuer à suivre Milakulo Tukumuli ou s’en dissocier ? Car après Païta et le Congrès, la remarque est évidente : le président de l’Éveil océanien fait et fera tout pour asseoir son parti dans les institutions, quelles que soient les alliances à prendre, à la manière du coucou, cet oiseau qui pond dans le nid des autres oiseaux pour leur faire couver ses propres œufs et nourrir sa progéniture.

Une stratégie, des objectifs

Mais au fond, pourquoi Milakulo Tukumuli agit-il de la sorte ? Pourquoi entend-on dire qu’il vend son âme au plus offrant ? Est-ce qu’il ferait tout, comme certains le disent, pour avancer ses pions dans le but de devenir le premier président d’une hypothétique Nouvelle-Calédonie indépendante, comme avait pu aussi le rêver un autre calculateur avant lui ? En tout cas, plus qu’un homme, c’est l’Éveil océanien qui dévoile ses ambitions. Si le parti affiche cette posture à choix multiples, en rejoignant le groupe UC- FLNKS et nationalistes au Congrès, il obtient ce qu’il voulait depuis les provinciales : des postes pour ses collaborateurs, ce qu’il n’avait pas jusqu’alors avec seulement trois élus au Congrès.

Une posture qui déplaît

En tout cas, ce jeu de pouvoir commence vraiment à déplaire. Et en premier lieu à la présidente de la province Sud, Sonia Backes, qui se sent trahie. Si en tant que représentante de l’Avenir en confiance, elle a pu expliquer que le positionnement de l’Éveil océanien était fort et que Milakulo Tukumuli partageait la vision des indépendantistes, c’est sous sa casquette de présidente de la province Sud qu’elle est le plus affectée. Cela pose un « problème de légitimité, mais aussi de confiance envers celui qui est le troisième vice- président de la collectivité », a-t-elle déclaré avant d’avouer, concernant le Congrès, que « des discussions ont eu lieu entre l’Éveil océanien et l’Avenir en confiance sur une majorité loyaliste qui aurait pu être constituée et ils ont fait le choix, malgré tout, d’aller avec les indépendantistes. Donc, forcément, ce choix-là, ils l’assument et j’imagine qu’ils savent où ils vont en faisant cela ! »

Alors que risque Milakulo Tukumuli à la province ? Va-t-il perdre la troisième vice- président ? Non : il est assuré de conserver son poste, mais comme il n’agit que par délégation de signature de la présidente, celle-ci peut lui retirer ses prérogatives. C’est-à-dire qu’il peut ainsi perdre l’ensemble de ses délégations de signature (santé et action sociale, culture, transports, emploi et de l’insertion) et les quatre collaborateurs provinciaux qui lui sont rattachés.

Pour l’heure, rien ne semble transpirer en ce sens tout comme l’idée d’un possible renversement du gouvernement. En effet, le représentant de l’Éveil océanien dans l’exécutif, Vaimu’a Muliava, tient fermement à conserver un fauteuil qui lui avait été donné par l’Avenir en confiance. Et puis la situation institutionnelle actuelle répond complètement à l’idée « d’équidistance » évoquée par Milakulo Tukumuli.

La position indépendantiste

Le ralliement de l’Éveil océanien dans le groupe UC-FLNKS et nationalistes est plus qu’une aubaine pour le camp indépendantiste qui tient pour autant à préciser par la voix du président du Congrès, Roch Wamytan : « nous avons des convergences au niveau de nos positionnements politiques, de nos idéaux, de nos valeurs, donc l’Éveil océanien nous a rejoints. On bénéficie du même groupe, avec les mêmes moyens. Mais politiquement, au niveau de la stratégie, chacun garde sa propre autonomie ». Un président qui, lors de son discours de réélection, a pourtant beaucoup insisté sur le peuple océanien, sur ses particularités, ses difficultés et ses forces.

Pour Roch Wamytan, « c’était important de le souligner parce qu’avec le mouvement indépendantiste et l’Éveil océanien, il y a certes l’équilibre politique, mais nous appartenons tous au monde océanien. Nous avons les mêmes origines ethniques parce que nous venons tous des Austronésiens et des Papous, et nous partageons les mêmes valeurs ». Enfin, pour Louis Mapou, chef de l’UNI au Congrès, la configuration dans laquelle on est aujourd’hui « bouscule notre pays, bouscule les conforts, interpelle tout le monde. C’est la manière dont on travaille sur les affaires du pays. Je suis content que l’Éveil océanien ait choisi le camp de ceux qui sont les plus capables d’écouter, d’entendre ».

Au final, un nouveau groupe politique s’est créé boulevard Vauban, un groupe constitué des indépendantistes et de l’Éveil océanien. Et comme l’a précisé Sonia Backes : « Ce qui s’est passé au Congrès est un acte politique fort de l’Éveil océanien. Comme la FNSC (Fédération pour une nouvelle société calédonienne) en 1982, ils font basculer l’assemblée délibérante du côté indépendantiste alors que la majorité des Calédoniens est contre l’indépendance. » Avant de conclure : « Nous entrons donc à l’échelle du Congrès en situation d’opposition, voire de résistance, face à un discours communautariste et de repli sur soi du président Wamytan, un discours militant qui nous éloigne du vivre-ensemble attendu par tous. »

D.P.

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