Le retour des indépendantistes a permis à Gérald Darmanin de faire des propositions de négociation pour parvenir à esquisser rapidement un nouveau statut. Le corps électoral provincial constitue un obstacle majeur.
Trois jours valent mieux que quinze mois. Pour la première fois depuis le troisième référendum, l’État a retrouvé tous ses interlocuteurs calédoniens, même si pour l’heure, indépendantistes et non-indépendantistes sont vus séparément : le ministre de l’Intérieur, accompagné du ministre délégué aux Outre-mer Jean-François Carenco, a pu mener deux rencontres bilatérales avec les premiers, une autre avec les seconds.
Cela concerne le dossier institutionnel puisqu’une réunion improbable, à forte portée symbolique, a pu se tenir avec Paul Néaoutyine et Sonia Backes sur le nickel.
TOURNER LA PAGE
Quels enseignements tirer de cette visite ? D’abord, l’État n’entend pas être passif dans la négociation. Gérald Darmanin a proposé un calendrier resserré sur cinq mois : la poursuite des bilatérales à Paris en avril, à Nouméa en mai-juin et, espère-t-il, des trilatérales « quand on aura progressé ».
Le ministre l’a indiqué à la délégation du FLNKS tout juste formée (par Jean-Pierre Djaïwé, Victor Tutugoro, Gilbert Tyuienon, Roch Wamytan, Adolphe Digoué, Aloisio Sako et Jean Creugnet) : il faudra rapidement parler aux non-indépendantistes. Ce calendrier implique aussi un travail sur les problématiques connexes les plus urgentes, comme la stratégie nickel ou toutes autres démarches qui peuvent aider comme les audits (décolonisation, Accord de Nouméa), objets d’un compte rendu à Paris en avril, le foncier, la souveraineté économique, alimentaire, etc.
Le ministre attend des Calédoniens leur souhait pour le statut, sinon l’État « prendra ses responsabilités ». Quelle est la volonté de la République ? C’est désormais clair : une Nouvelle-Calédonie dans la France sur la base du résultat des référendums, possiblement plus autonome avec l’intégration de compléments de compétences (ex : relations extérieures), un fonctionnement plus efficace des institutions, sans effacer les provinces ou le gouvernement, et en renforçant les communes. Une Nouvelle-Calédonie qui soit aussi le « porte-avions » de la France dans le Pacifique.
L’idée est de parvenir à définir un nouveau statut en septembre, après une visite d’Emmanuel Macron souhaitée à l’été. Cela permettrait de profiter de la « fenêtre de tir » de la réforme constitutionnelle prévue début 2024. Et au président, de boucler ce dossier confortablement à mi-mandat.
UN PION AVANCÉ
Mais les obstacles ne manquent pas. Alors que la petite musique laissait entendre localement une volonté de report des provinciales, le ministre a annoncé que l’échéance serait maintenue en mai 2024 (« En démocratie, les élections se tiennent à l’heure »). Il affirme aussi qu’elles ne peuvent se tenir sur le même corps électoral, gelé depuis 1998, les trois référendums ayant mis un terme à ce point de l’Accord de Nouméa. « Ce ne serait pas démocratique ».
Gérald Darmanin appelle les élus à trouver un accord et agite, dans le cas contraire, le spectre d’un corps général imposé par l’État, option ingérable, que même les non-indépendantistes ne souhaitent pas. Où placer le curseur sur un corps plus ouvert mais restreint et surtout, les indépendantistes l’accepteront-ils ?
Car qui dit corps glissant, dit davantage d’électeurs, une composition aux provinces et au Congrès différente, avec éventuellement un impact sur le déclenchement du fameux droit à l’autodétermination, immuable car inscrit dans la Constitution française. La position de la France est qu’il ne puisse pas être déclenché demain – les référendums ayant à la fois déjà donné une réponse et bien clivé les Calédoniens – mais pourquoi pas « à l’échelle d’une génération ». On ignore en revanche sa position sur la manière de le déclencher qui sera déterminante.
Sur le corps électoral, les indépendantistes disent que l’Accord de Nouméa n’est pas terminé. Les questions juridiques pourraient aussi surgir sur l’instauration d’un corps général. Mais la manœuvre ne manque pas d’imagination. Elle « cornerise » quelque part les indépendantistes, jugés comme étant partis sur la ligne la plus fermée à l’issue de leur congrès.
Chloé Maingourd
Photo : © Delphine Mayeur / Hans Lucas via AFP
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