[DOSSIER] Avec ses mouches, Neofly développe l’alimentation animale du futur

Où trouver les matières premières pour nourrir les élevages de porcs, de poulets, de crevettes ou les animaux de compagnie sans dépendre de l’extérieur ? L’entreprise Neofly pourrait couvrir, d’ici quelques années, 50 % des besoins en protéines grâce à la bioconversion de déchets organiques à partir de mouches.

Dans le container Neofly installé à l ’ Institut agronomique néo-calédonien (IAC) à Port-Laguerre, on entend littéralement les mouches voler. La start-up, fondée fin 2020 par trois ingénieurs agronomes, Nicolas Guillemot, Régis Bador et Matthieu Marcellier, élève des larves de « soldat noir »*, une souche présente à l’état naturel sur le territoire depuis les années 1950.

Ces insectes sont nourris de biodéchets organiques en provenance de l’industrie agroalimentaire locale (végétal, ovoproduits, lactose, malt des brasseries) suivant les directives de la réglementation européenne. En les digérant, les mouches les convertissent à grande vitesse et en grand volume en nutriments de haute qualité. « À dix jours d’âge, on les transforme. Elles sont séchées, broyées, mises en poudre, pressées ; ce qui permet d’obtenir une farine riche en
protéines et de l’huile d’insecte (lipides). Les restes servent à produire un fertilisant (compost) pour les sols », explique Nicolas Guillemot.

PROTÉINES D’AVENIR

Ces produits ont vocation à se substituer aux éléments importés, généralement du poisson ou du soja. Ici, comme ailleurs, les filières agricoles et agroalimentaire dépendent exclusivement des importations pour les nutriments. Un vecteur de vulnérabilité pour l’élevage aquacole ou terrestre, notamment sur l’apport en protéines qui représente une part majeure de l’alimentation.

« Pour la crevette calédonienne par exemple, les protéines viennent d’une farine de poisson sauvage pêché en Amérique latine, souligne Nicolas Guillemot. C’est une catastrophe au niveau environnemental ! Ça se répercute forcément sur la qualité des produits. Et c’est aussi une catastrophe au niveau économique, puisque les fabricants d’aliments locaux et toutes les filières en aval sont tributaires des fluctuations du marché, avec toutes les difficultés que cela représente avec les crises successives, le Covid et l’Ukraine. »

 

Les larves sont des « usines à nutriments » : elles grossissent (10 000 fois leur poids en une semaine) et elles fabriquent des protéines et des lipides.

 

Sans compter le poids de l’augmentation démographique sur les stocks de poisson. « Il y a donc un vrai besoin à trouver des alternatives, avec une problématique décuplée en milieu insulaire. » Ce type de production émerge mondialement sous différentes formes pour faire face à ce nouveau contexte. Et elle a de quoi séduire : pour un kilo de protéines d’insectes et un kilo de protéines de boeuf, la première filière nécessite, selon Neofly, « 400 fois moins d’espace, aucune terre fertile, 20 fois moins d’eau et produit 100 fois moins de gaz à effet de serre sans polluant, ni déchet ».  Une « protéine d’avenir ».

UNE USINE EN 2025-2026

Pour l’heure, Neofly en est au stade Recherche et développement, avec une démonstration de production à petite échelle évaluée à 20 kilos de larves fraîches par semaine. « Il s’agit pour l’instant de tester tous nos process, pas de commercialiser, mais on est très bien partis, et bien vus aussi », signale Matthieu Marcellier. Neofly bénéficie du soutien de nombreux partenaires : l’Adecal en tant qu’« incubateur » (accompagnement pour les financements), l’IAC (accueil et mise à disposition d’un technicien), le Cirad (chercheur), BPI France, la province Sud, le programme PROTEGE de l’Union européenne (essais sur la crevette et la volaille) et l’opération Tech for Good by NC 2022 du gouvernement, au cours de laquelle l’entreprise a reçu le prix Accélération.

Les filières auxquelles Neofly s’adresse, montrent aussi un très grand intérêt pour leurs recherches. Les éleveurs et aquaculteurs ont hâte que le concept passe au stade industriel, même si les clients directs de Neofly sont les deux provendiers du territoire (MSV, Sica) également impliqués. Il en est de même pour les fournisseurs qui payent habituellement pour se débarrasser de leurs rejets à Gadji. « Ils sont ravis que ces biodéchets soient utiles », commente
Matthieu Marcellier.

Neofly a pour ambition d’ouvrir une usine en 2025-2026 avec un objectif de production annuelle de 500 tonnes de protéines, 100 tonnes d’huile et 1 600 tonnes de fertilisant, de quoi couvrir « 50 % des besoins » en protéines pour de
l’alimentation animale. L’année 2023 servira à sécuriser les financements. À plus long terme, ils prévoient d’exporter leur modèle de production dans la région qui affiche un certain retard en la matière. Ils envisagent aussi l’ouverture de ce marché à l’alimentation humaine.

Chloé Maingourd

Photos : Nicolas Guillemot et Matthieu Marcellier, fondateurs avec Régis Bador de Néofly, une entreprise innovante et durable, promise à un bel avenir. / © C.M.