Aux Salomon, la guerre d’influence américano-chinoise se déroule dans l’indifférence

L’École de Gilo sur l’île de Guadalcanal. © Charlotte Mannevy

Sauf surprise, les Salomon devraient rester dans le giron de Pékin au lendemain des élections générales qui ont vu Jeremiah Manele succéder à Manasseh Sogavare. Mais dans l’un des pays les plus pauvres Hdu monde, la guerre diplomatique que se livrent les grandes nations laisse indifférent.

Honiara est une ville d’à peine 80 000 habitants, mais il suffit de lever les yeux pour entrapercevoir la guerre internationale qui s’y livre. Près du port, c’est le drapeau américain de l’ambassade nouvellement rouverte qui flotte au vent. Un peu plus loin, les couleurs britanniques et néo- zélandaises sont levées côte à côte ‒ les consulats occupent le même bâtiment ‒, tandis que de l’autre côté de la rue le drapeau rouge aux étoiles d’or de la République populaire de Chine surplombe l’immeuble récent qui abrite l’ambassade chinoise.

Depuis 2019, l’archipel aux 900 îles et sa position stratégique entre la Papouasie- Nouvelle-Guinée au nord et le Vanuatu au sud sont réapparus sur la carte du monde. Centre névralgique de la bataille du Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale, le pays avait sombré dans l’oubli avec la fin de la guerre froide.

Mais il y a cinq ans, le Premier ministre d’alors, Manasseh Sogavare, opérait un virage à 180 °C en reconnaissant Pékin au détriment de Taïwan. Un partenariat poussé encore un peu plus loin en 2022 avec la signature d’un pacte de sécurité entre Pékin et Honiara tenu secret, mais dont les grandes lignes ont été révélées sur internet. L’accord prévoit le droit pour la Chine de stationner ses navires, voire d’établir une base militaire dans l’archipel, ainsi que d’intervenir sur le sol salomonais en cas d’atteinte à ses intérêts ou ses ressortissants. Une situation suffisamment préoccupante pour que les États-Unis décident l’an dernier de rouvrir leur ambassade, fermée depuis 30 ans.

Chemin de croix

Mais si les élections générales du 17 avril se sont déroulées sous l’œil attentif de la communauté internationale, le jeu de go auquel se livrent les grandes nations ne passionne guère les Salomonais. Contrairement aux problèmes du quotidien, comme l’état de déliquescence avancée du réseau routier. Si rouler à plus de 50 km/heure hors d’Honiara est une gageure pour le visiteur, c’est un chemin de croix quotidien pour les communautés rurales qui souhaitent vendre leur production à la capitale. « Il faut jusqu’à 8 heures pour se rendre des montagnes du centre de l’île à Honiara. Résultat, les agriculteurs dorment sur leur stalle au marché, souvent avec leurs enfants », s’inquiète Debbie Lukesi, originaire du village de Sobuko qui voudrait voir sa communauté bénéficier d’un peu plus d’attention des pouvoirs publics.

La Chine ? « Ce n’est pas un problème pour nous tant que l’on a des écoles, des routes, des soins. En gros, tout ce qui nous manque aujourd’hui dans les communes rurales », soupire John Ben, rencontré à Ngalimbiu, village situé à moins d’une cinquantaine de kilomètres de la capitale, mais atteint en une heure et demie de route.

La vie n’est guère plus facile à Honiara, ville champignon qui croît de près de 5 % par an, sans que les infrastructures ‒ évacuation des eaux usées, transports, écoles ‒ ne suivent. La moitié de la population a moins de 25 ans. Alors à Honiara aussi, ce que les Salomonais attendent, c’est « du changement », et pour l’obtenir, les électeurs se sont mobilisés en nombre : la participation a atteint 82 %.

L’opposition toujours là

Soupçons de corruption, bilan mitigé, notamment sur le plan économique : malgré l’appui chinois, les considérations de politique interne l’ont emportées et le parti de Manasseh Sogavare n’est arrivé en tête que d’une seule voix. Pour bâtir la coalition nécessaire à la constitution d’un gouvernement, l’homme fort d’Honiara a décidé de céder son poste de Premier ministre à Jeremiah Manele. Un échec pour Sogavare, mais pas pour Pékin. Ministre des Affaires étrangères sous Sogavare, Manele est acquis à la cause chinoise. « Il n’y a pas de doute qu’il poursuivra la politique prochinoise, estime Meg Keen, directrice du programme Pacifique Insulaire au centre des recherches australien Lowy Institute. Mais il est aussi moins provocateur que son prédécesseur, il est donc possible que les relations avec les partenaires traditionnels s’apaisent. »

Reste que l’opposition n’a pas dit son dernier mot et les élections provinciales, qui se sont tenues en même temps que les législatives du 17 avril, pourraient voir revenir sur le devant de la scène Daniel Suidani, opposant historique à Sogavare, dont l’activisme antichinois avait conduit à sa destitution du poste de président de l’assemblée de la province de Malaita. Arrivé en tête du scrutin, il pourrait donc reprendre les rênes de cette île très peuplée et acquise à la cause taïwanaise. Or, à chaque fois, en 1998, 2006 et 2021, c’est de Malaita la rebelle qu’étaient parties les contestations du pouvoir central et, systématiquement, des morts ont été à déplorer.

Charlotte Mannevy