Autonomisation des provinces, les partenaires disent « non »

La présidente de la collectivité lors de son allocution. Photo : Capture d'écran

Dans une allocution prononcée dimanche 14 juillet, la présidente de la province Sud a plaidé pour l’autonomisation des provinces, solution selon elle pour un avenir pacifique en Nouvelle-Calédonie. Indépendantistes et autres non-indépendantistes s’opposent catégoriquement à cette idée.

Après la différenciation provinciale, puis l’hyperprovincialisation défendues tour à tour par Sonia Backès et Pierre Frogier, la présidente de la province Sud revient avec cette même idée sous un autre nom, l’autonomisation des provinces, sorte de partition.

« Au même titre que l’huile et l’eau ne se mélangent pas, je constate à regret que le monde kanak et le monde occidental ont, malgré plus de 170 années de vie commune, des antagonismes encore indépassables », a déclaré Sonia Backès, plus solennelle que jamais, avant de citer tout ce qui sépare ces deux mondes, avec des formules sans ambages pour catégoriser les « autres ». Pour la présidente, désormais, « deux camps se retrouvent face à un choix simple, celui de s’affronter jusqu’à la mort de l’un des deux ou se séparer pour mieux vivre ».

« NÉCESSAIRE ÉVOLUTION »

« L’idéal d’un peuple calédonien a été rejeté par une partie majoritaire de la population indépendantiste », juge-t-elle après les récentes élections (« nos adversaires prônent une identité propre ») et, à partir de ce constat, il ne convient plus « de tenter de convaincre ». Elle regrette d’ailleurs ces dernières semaines n’avoir entendu « aucune condamnation des actes barbares. Aucune tentative d’arrêter cette folie destructrice. Aucune main tendue acceptée ».

Pour elle, le projet d’une Nouvelle-Calédonie institutionnellement unie et fondée sur un vivre ensemble est révolu, « les indépendantistes radicaux l’ont tué », et le vivre ensemble est un échec.

L’autonomisation des provinces se présente comme une nécessaire évolution. Elle consisterait en « plusieurs entités distinctes mais complémentaires, où chacun des peuples pourra enfin s’épanouir selon ses propres aspirations ». La Nouvelle-Calédonie maintiendrait son unité par des valeurs, un drapeau commun. Mais les provinces récupéreraient les compétences fiscales, sociales, du travail. La province Sud serait fondée sur trois piliers : l’ordre, le mérite et le progrès. Et « il serait injuste que le travail et les efforts de certains profitent à ceux qui, oisifs, ne font rien ».

La présidente s’interroge sur le nombre de milliards « passés dans les aides sociales, les quartiers sociaux », aujourd’hui « épicentres des émeutes ». La responsable loyaliste veut aussi « davantage de moyens » pour faire appliquer l’ordre public. Certains y voient une volonté de récupérer cette compétence régalienne.

« PITOYABLE »

Les indépendantistes s’opposent totalement à cette idée qui consiste selon eux à « refouler » les indépendantistes aux provinces Îles et Nord. Réuni devant la presse mercredi 17 juillet à Dumbéa, le bureau politique du FLNKS y voit un « aveu de faiblesse de l’opposition, qui n’a eu de cesse de cumuler les échecs politiques en s’enfermant dans des discours rétrogrades, prouvant leur méconnaissance flagrante de l’histoire et démontrant leur déni de la culture kanak et océanienne ». Le Front dénonce même une volonté de « reproduire à l’échelle du territoire, l’apartheid social qui sévit à Nouméa ».

Dans un communiqué, le Palika évoque des propos « irresponsables et dangereux pour l’unité et la cohésion de notre pays ». Il y voit une tentative de sauvetage du « dernier bastion électoral » loyaliste. « En cette période grave et déterminante pour le futur de Kanaky Nouvelle-Calédonie, qui aurait cru qu’un tel discours d’un niveau aussi pitoyable aurait pu émaner d’un responsable politique local. » Pour le Palika, « bien que ces événements aient pu mettre notre pays à terre par des actes que tout le monde se doit de condamner, ils n’ont pas sonné le glas du vivre ensemble bien au contraire ». Ils défendent toujours une solution consensuelle qui permette de nous projeter collectivement.

L’autre partie des non-indépendantistes n’en pense pas moins. Calédonie ensemble évoque aussi un « apartheid », « le développement séparé des races ou plutôt ici des peuples ». Il s’agit, selon Philippe Dunoyer, de « sauver le sud à défaut de sauver le pays ». D’en faire une « sorte de principauté de Monaco », où les non-indépendantistes pourraient continuer à exercer le pouvoir.

Pour Philippe Gomès, ce projet n’a « aucune chance d’aboutir », il est « impossible constitutionnellement, politiquement, humainement, culturellement, historiquement ». La partition, rappelle-t-il, est notamment exclue par l’Accord de Nouméa et du document d’orientation du Oui et du Non. Le destin commun et la formation d’un peuple ont été soutenus par Emmanuel Macron jusqu’en 2024. « L’antithèse du discours de Backès. » La moitié de la population kanak vit en province Sud, c’est le plus important pôle indépendantiste, la population est largement métissée… Ce serait aussi renier 36 ans de travail et tous les projets de ce type ont échoué (Afrique du Sud, Nouvelles-Hébrides…).

Côté Républicains LR, le sénateur Georges Naturel reste opposé à cette idée. Il défend une Nouvelle-Calédonie unie et indivisible. Pas très adepte de « l’eau et l’huile », il « préfère la vinaigrette ». Et il y a, au contraire, « plus que jamais un besoin d’apaisement et de rassembler les Calédoniens ».

Chloé Maingourd