Au Mont-Dore Sud, l’étau ne se desserre pas

Chaque jour, 3 800 personnes en moyenne montent à bord des navettes affrétées du Vallon-Dore jusqu’à Boulari et Nouméa. (© N.H.)

Depuis le déclenchement de la crise et l’impossibilité d’emprunter la RP1 au niveau de Saint-Louis, les habitants du Mont-Dore Sud font face à des problèmes de nature différente. Des contraintes que connaissent également les habitants de Saint-Louis, depuis la mise en place de verrous en juillet.

Les jours se suivent et se ressemblent dans la partie sud du Mont-Dore. Sans l’ombre d’une quelconque évolution, chaque matin, environ 3 800 personnes empruntent les navettes maritimes, du wharf du Vallon-Dore à destination de Boulari ou de Moselle. « C’est navette-boulot-dodo », décrit Quentin*, habitant de La Coulée. Jusqu’il y a peu, le Mondorien réalisait ce trajet tous les jours pour se rendre à son travail, avant de se rendre compte que « c’était juste invivable ». Désormais, il réside chez un proche la semaine à Nouméa et revient chez lui les week-ends.

LE SUD SE VIDE DE SES HABITANTS

Une alternative adoptée par bon nombre de personnes. Dont Marielle, résidant au niveau de l’école de La Briqueterie et travaillant en centre-ville. « Se lever tous les matins à 4 heures pour que le bateau arrive à 7 heures, c’était plus possible », partage-t-elle. Depuis juin, la jeune femme est donc hébergée chez sa sœur à Nouméa, en compagnie de son conjoint. Pourtant, même en ayant trouvé cette solution, leur quotidien reste compliqué. « Il faut vraiment être organisé quand on est habitant du Mont-Dore Sud. […] Nous avons dû faire venir notre voiture par barge, ce qui nous a coûté très cher, mais il faut aussi prévoir la nourriture pour nos animaux qui restent sur place la semaine, pouvoir rentrer chaque week-end, se recharger suffisamment en gaz et en essence… C’est tout un trafic, et honnêtement, au bout du cinquième mois, ça commence à se sentir au niveau de la fatigue. […] On se dirige vers les fêtes, ça va être pesant si ça n’évolue pas », confie-t-elle.

Une situation également ardue pour les entrepreneurs et entreprises de la zone, qui voient leur chiffre d’affaires s’écrouler. Garagiste depuis 1997 sur Nouméa, André* dépeint une « catastrophe totale » depuis le 13 mai et l’impossibilité de traverser la RP1. « Tout le monde pense que les navettes ça sauve les gens, mais absolument pas. Avant, je pouvais faire des journées en continu. Maintenant, il faut que je sois à 16 h 45 au plus tard à Moselle pour rentrer au Mont-Dore. Puis, dans le cadre de mon travail, je vais régulièrement chercher des pièces à Ducos. Là, je ne suis pas véhiculé, donc ce n’est pas pratique. » En plus, la baisse des demandes des particuliers a fait chuté son chiffre d’affaires de 70 % depuis les émeutes. « Entre les gens qui partent et ceux qui n’ont plus d’argent, les appels sont très aléatoires. »

Un désarroi dans lequel se retrouvent Reine-Claude et son mari, tous deux à la tête d’une entreprise spécialisée dans la vente de matériaux de construction, entièrement brûlée le 14 mai. Depuis, le couple essaie tant bien que mal de reprendre prochainement son activité au même endroit, c’est-à-dire à La Coulée. Seul bémol, alors que « les aides de l’État » comblent à peine les déficits de l’entreprise, « on ne peut pas mettre sur barge du ciment, du sable ou d’autres matériaux que nous vendons ici. Ça coûte beaucoup trop cher », estime Reine-Claude. Avec trois salariés placés en congé, la cheffe d’entreprise n’espère qu’une chose : « que la route de Saint-Louis rouvre. Si ça ne se fait pas très vite, on sera obligés de les licencier ».

Des verrous ont été installés par les gendarmes sur la route à hauteur de la tribu de Saint-Louis, après des atteintes aux automobilistes et aux forces de l’ordre. (© Y.M.)

DU « 24 H/24 » À SAINT-LOUIS

Plus au nord, la situation des habitants de Saint-Louis n’est guère meilleure. Encadrée de part et d’autre par deux verrous (installés par les gendarmes le 20 juillet), la tribu vit au rythme des relèves des forces de l’ordre, présentes continuellement. Un dispositif mis en place pour couper la circulation à ce niveau et ainsi éviter d’autres incidents (carjackings, agressions, etc.), mais qui contraint de façon importante ses résidents. À chaque entrée ou sortie de la tribu, « on doit montrer notre pièce d’identité et nos affaires sont fouillées. Si tu n’as pas de carte d’identité, tu ne rentres pas », explique Nathalie*. « Aussi, nous n’avons pas le droit d’entrer avec de l’essence ni avec du gaz. C’est embêtant, car on ne peut pas se permettre de faire du feu tout le temps pour se nourrir. Ça fait déjà quatre mois... »

Outre ce fonctionnement jugé « arbitraire », la liberté de circuler est également compromise. La traversée en voiture n’étant pas possible, « on fait les courses à pied, ou quelqu’un vient nous chercher », indique Sandrine*. À cause d’un problème de santé, celle-ci n’a pas la possibilité de prendre les navettes maritimes et marche par conséquent chaque matin jusqu’à son travail. « Ça va parce que c’est à La Conception, puis j’ai besoin de faire du sport. […] On s’adapte, on n’a pas le choix. » Un fonctionnement qui, de facto, engendre des contraintes sur le plan professionnel. « En semaine il y a la queue, donc tous les jours on met une heure pour sortir [des verrous, ndlr], ce qui fait qu’on arrive souvent en retard au travail. […] Il faut nous comprendre, c’est 24h/24 tout ça, donc ça arrive que dès le matin, on s’énerve. […] On essaie de rester debout pour nos enfants, mais c’est compliqué », s’exaspère Nathalie*, dont le bureau se situe à Nouméa.

Un mode de vie altéré qui a poussé Yasmina* ‒ habitant normalement au sein de la tribu avec ses parents ‒ à déménager temporairement à Pont-des-Français, chez son conjoint. « Je ne pouvais pas me permettre d’être tout le temps en retard au travail, raconte la jeune femme. […] Du coup, je reviens sur place tous les week-ends pour rendre visite à ma famille et leur apporter de la nourriture. »

*Les prénoms ont été modifiés

 

Une compensation possible pour les habitants

Les habitants du Mont-Dore Sud, estimant avoir subi des préjudices « anormaux » du fait du blocage de la RP1, ont désormais la possibilité de faire appel à un cabinet d’avocats afin d’obtenir une compensation de la part de l’État. Cette démarche individuelle doit respecter trois conditions : pouvoir prouver que l’État a essayé de rétablir l’ordre mais que ses efforts ont échoué, montrer que le dommage subi est anormal (par sa durée ou son ampleur) et spécifique à quelques personnes seulement, et pouvoir certifier que le blocage de la route est la cause directe de ce dommage.

Résultat d’un travail de plusieurs semaines mené par l’association citoyen mondorien, cette démarche doit permettre de faire en sorte que les habitants de la zone « aient des réponses à leurs questions », souligne son président, Florent Perrin. « Les gens nous demandaient pourquoi nous ne faisions pas d’attaque en justice. […] De cette manière, cela nous permet de créer un lien entre les habitants et le cabinet d’avocats, c’est déjà ça ». Le premier rendez-vous (devant permettre d’évaluer la faisabilité du projet) est gratuit. Pour le moment, « une quarantaine » de personnes ont réalisé cette démarche.

 

« Un véritable permis de tuer dans le Pacifique »

Quelques jours après la mort de deux hommes à Saint-Louis, jeudi 19 septembre, le collectif de défense des intérêts des habitants de la tribu de Saint- Louis, représenté par Eugène Décoiré (président du conseil des chefs des clans de la tribu) et Yohann Wamytan (membre de ce conseil), a dénoncé, au travers d’un communiqué, « l’attitude de l’État envers la tribu de Saint-Louis ».

« Sans gêne aucune, et face à des rapports de force déséquilibrés, l’État agit comme s’il avait affaire à 1 200 criminels qu’il s’agirait de neutraliser et de réduire au silence », est-il rapporté au sein de ce document, signalant une transformation du « concept de légitime défense en un véritable permis de tuer dans le Pacifique ».

Pour rappel, depuis le début de la crise, trois personnes originaires de la tribu ont trouvé la mort, dans le cadre d’affrontements avec les forces de l’ordre. « Ces jeunes ont été tués pour avoir défendu, avec courage, un idéal politique, jugent-ils. Armés seulement de fusils de chasse, de lance-pierres et chaussés de simples claquettes, ils ont vu leur combat se solder par la mort sous les balles du GIGN, sans qu’aucun dialogue ne soit ouvert ». Le collectif estime que « la tribu de Saint-Louis est, malgré elle, au cœur d’un jeu cynique et macabre orchestré par l’État ».

 

Nikita Hoffmann