Le déplacement et les déclarations de Mickaël Forrest à Bakou questionnent, jusqu’à sa présence au sein du gouvernement.
♦ MANDAT DE REPRÉSENTATION
Le membre du gouvernement Mickaël Forrest (UC) et les trois élues du Congrès qui l’accompagnaient, Isabelle Kaloi-Bearune (UC), Marie-Line Sakilia (ancienne UC, non inscrite) et Maria Isabella Saliga-Lutovika (ex-Éveil océanien, ex-Les Loyalistes, non inscrite), ont été présentés, le 17 juillet, premier jour du Congrès des colonies françaises organisé par le Groupe d’initiative de Bakou, comme envoyés au nom de leur institution respective. Or, aucun d’entre eux n’avait reçu de mandat. Le président de l’exécutif, Louis Mapou, l’aurait rappelé à Mickaël Forrest, d’après un élu.
Certes, cette représentation ne constitue ni une infraction pénale, ni une infraction juridique, mais relève d’une question politique et diplomatique. L’adhérent de l’UC explique que l’organisation a commis une erreur. « Après le premier panel du 17 au matin, j’ai fait changer mon titre comme celui de tous les autres élus. » Victor Tutugoro (UPM) estime que ce déplacement « met le président et le gouvernement en difficulté. Il aurait pu ne pas s’y rendre lui-même ».
♦ LÉGITIMITÉ
Mercredi 24 juillet, jour de notre bouclage, aucun homologue de Mickaël Forrest n’avait officiellement demandé sa démission. Mais des voix s’élèvent. Dans un communiqué commun, le 19 juillet, les non-indépendantistes Christopher Gygès, Isabelle Champmoreau, Yoann Lecourieux et Thierry Santa affirment « condamner fermement sa participation à cette rencontre » et jugent « intolérable qu’il engage l’exécutif dans un congrès organisé par une dictature ».
« C’est indécent, irrespectueux et en total décalage avec la réalité des Calédoniens », ajoute Christopher Gygès. En conséquence, les quatre membres attendent du président qu’il effectue un rappel à l’ordre et exigent une discussion. « Il doit s’expliquer en collégialité. » Surtout, les propos de Mickaël Forrest dérangent, car ils « cautionnent les actions de la CCAT ». « Cela discrédite l’institution. »
L’homme politique doit-il conserver son poste ? L’épisode azerbaïdjanais et ses « déclarations limites » « interrogent sur sa présence », remarque Victor Tutugoro. Christopher Gygès est plus radical. « Il a franchi une ligne rouge. Selon moi, sa responsabilité serait de démissionner. Clairement, sa place n’est plus là. »
♦ LE GOUVERNEMENT EN PÉRIL ?
Plus globalement, cet énième trouble met-il en cause la capacité de l’exécutif à perdurer, si ce n’est dans l’immédiat, dans les semaines, voire les mois à venir ? C’est une possibilité, pour Victor Tutugoro, qui parle d’un climat « très tendu ». Christopher Gygès, lui, est convaincu de sa capacité à tenir. « Le gouvernement va passer cette crise, on travaille bien avec Louis Mapou pour trouver des solutions. » Et puis, considère le loyaliste, ce n’est pas l’ensemble de l’UC qui est concerné. « Les autres, comme Tyuienon, n’étaient pas à Bakou. »
Visiblement, au vu de la violence des événements qui traversent la Nouvelle-Calédonie depuis plus de deux mois, la priorité serait d’assurer le maintien de ce que d’aucuns voient comme le seul îlot de stabilité du pays : la collégialité. Sa chute pourrait ajouter d’inutiles difficultés au désordre actuel.
♦ L’AVENIR DU FLNKS
Mickaël Forrest assure avoir exposé la démarche à l’animation du bureau politique du Front. « Elle a été validée en commun. » « C’est un déplacement au titre de l’UC », réplique Victor Tutugoro ‒ le drapeau du parti s’affichait d’ailleurs à Bakou comme celui du FLNKS. Si le président de l’UPM reconnaît le besoin, pour le Front, d’entretenir des relations avec les pays non alignés, « qui portent la question de la décolonisation et de celle de la Nouvelle-Calédonie », dont l’Azerbaïdjan qui en a assuré la présidence tournante jusqu’au mois de janvier, Victor Tutugoro qualifie « tout ce qui est fait » actuellement « d’embêtant », de « gênant » pour le FLNKS.
Au sein du bureau politique, l’ambiance en deviendrait conflictuelle, intenable même. Certains avancent que le Front pourrait ne pas s’en sortir indemne et qu’une recomposition est inévitable. « Il faut éclaircir les choses. »
C’est loin d’être la première fois que les relations entre le Palika-UPM et l’UC sont mises à mal ‒ nul n’ignore que les approches stratégiques des deux partis pour parvenir à l’indépendance divergent. Mais avec la création de la CCAT l’année dernière et les exactions en cours depuis le 13 mai, les derniers agissements de l’UC peuvent-ils sonner le glas du mouvement indépendantiste tel qu’il existe depuis 1984 et faire imploser le Front, qui s’apprête à célébrer son quarantième anniversaire ?
À SAVOIR
• Le président, en application du principe de collégialité, n’a pas de pouvoir décisionnaire sur un autre membre de l’exécutif, et ne peut donc pas le déchoir de son poste. Un représentant peut, en revanche, être destitué de ses fonctions par l’ensemble de son groupe, dans le cas, par exemple, d’une faute grave. Cela ne s’est jamais produit.
• Pour rappel, la chute du gouvernement est possible de trois façons. La première, le Congrès vote une motion de censure à la majorité (28 voix). La deuxième, le président démissionne. La troisième, un membre et tous les suivants de liste se retirent, ce qui entraîne la démission collective.
Anne-Claire Pophillat