[DOSSIER] Au Congrès, changement de majorité ?

La cérémonie de passation de pouvoir entre Roch Wamytan et Veylma Falaeo s’est tenue mercredi 4 septembre en présence de l’ensemble des agents de l’institution. (© N.H)

L’élection de Veylma Falaeo en tant que présidente de la première institution de Nouvelle-Calédonie, jeudi 29 août, a créé la surprise. La réponse des groupes non indépendantistes aux événements depuis le mois de mai : « tout sauf Roch Wamytan ».

En 2019, à la suite des provinciales, un nouveau parti émerge sur la scène politique locale. À la Maison bleue, les quatre voix de l’Éveil océanien (EO) permettent à Sonia Backès (Les Loyalistes) d’accéder à la présidence. Au Congrès, les trois représentants donnent une majorité à Roch Wamytan (UC-FLNKS et Nationalistes), défendant une vision d’équilibre dans les institutions. Les prémices d’une majorité océanienne, estime alors l’élu indépendantiste. « Le temps est venu d’imprimer dans ce pays du Pacifique le sceau historique du marqueur océanien. »

Le parti charnière contribue à asseoir les indépendantistes à la tête de la Nouvelle-Calédonie en 2021. Et participe, à chaque scrutin pendant quatre ans, à faire réélire Roch Wamytan. Un « accord de stabilité institutionnelle » est même signé entre l’UNI, l’UC-FLNKS et Nationalistes et l’Éveil océanien. Mais, l’alliance connaît des moments difficiles qui affectent « le chemin parcouru ensemble depuis 2019 », regrette Milakulo Tukumuli en 2022. Finalement, la majorité océanienne, affaiblie par la difficulté à réformer et les prises de position de chacun, ne survit pas au cataclysme des émeutes, qui laissent le pays meurtri. « Un point de rupture », affirme Vaimu’a Muliava, démissionnaire du gouvernement mercredi 28 août, la veille de l’élection.

« UN CHOIX HISTORIQUE »

L’EO reprend ainsi sa place « centrale » dans l’hémicycle avec trois voix, évinçant la suivante de liste, Maria Isabella Saliga-Lutovika, qui vote désormais aux côtés des indépendantistes. « Notre histoire a commencé au Congrès, nous terminons là. Nous retrouvons notre liberté et notre indépendance. » Une façon également de conforter le parti en tant que « troisième force politique de la Nouvelle-Calédonie » (11 000 voix aux législatives contre 6 000 aux provinciales de 2019), selon Veylma Falaeo. Contre toute attente, la première femme présidente du Congrès a bénéficié du retrait des candidatures de Naïa Wateou (Les Loyalistes et Le Rassemblement) et de Philippe Dunoyer (Calédonie ensemble) dès le deuxième tour. « Un choix historique de considérer l’existence de la voie médiane et de lui confier l’organisation » de l’institution.

La volonté, avant tout, de sanctionner la politique de Roch Wamytan et la signature du mémorandum de coopération avec le Parlement de l’Azerbaïdjan en avril. « Ce n’était pas concevable qu’il continue de porter la voix des Calédoniens alors qu’il est incapable de condamner les exactions », appuie Gil Brial (Les Loyalistes). « La “majorité océanienne” était une majorité ethnique et elle a démontré ses limites », pose Nicolas Metzdorf.

L’Éveil océanien, déterminé à présenter sa candidate jusqu’au troisième tour, ce qui aurait amené à la victoire de Roch Wamytan, apparaît ainsi comme la seule solution afin d’éviter « d’aller dans le mur », selon Philippe Dunoyer (Calédonie ensemble). Pas de doute, pense Pierre-Chanel Tutugoro (UC-FLNKS et Nationalistes), le « scénario [était] prévu depuis deux – trois semaines ». Une stratégie niée par les principaux intéressés.

« UNE MAJORITÉ DE RECONSTRUCTION »

La majorité de circonstance va-t-elle perdurer ? Les partis non indépendantistes peinent à s’entendre. Et les relations entre Les Loyalistes, Le Rassemblement et l’Éveil océanien ont été parfois plus que houleuses, particulièrement lors de la réforme du Ruamm. « Il va falloir être meilleurs demain que nous ne l’avons été hier, juge Gil Brial. Nous voulons que ce soit la première étape de la mise en place d’une majorité de reconstruction opposée à celle de la destruction. »

Philippe Dunoyer milite pour cette « dynamique transpartisane ». « Nous n’avons pas d’autre choix que de se retrouver unanimement autour des textes. » Sortir le pays de l’ornière reste la priorité du Palika. Jean-Pierre Djaïwé espère que « les conditions pour adopter les réformes préparées par le gouvernement collégial » soient mises en place. « C’est l’urgence. Il faut trouver une majorité. » Pierre-Chanel Tutugoro assure la participation de son groupe. « Nous allons accompagner le travail au niveau du gouvernement et du Congrès comme nous l’avons fait avec la proposition de résolution de Calédonie ensemble. »

Qu’en sera-t-il une fois dans l’hémicycle ? Veylma Falaeo s’attachera à favoriser le « consensus nécessaire aux réformes que nous devons prendre collectivement ». Non plus dans un esprit de majorité mais, cette fois, « d’unité océanienne, républicaine, calédonienne », c’est-à-dire « avec tout le monde ». Son parti annonce qu’il « votera en fonction des textes », indique Milakulo Tukumuli. Mais, l’hémicycle pourrait à nouveau être perturbé par d’éventuelles répercussions des bouleversements politiques extérieurs, et voir ses alliances redessinées.

Anne-Claire Pophillat

LE GOUVERNEMENT FRAGILISÉ

Le résultat du scrutin met l’exécutif « quelque peu en difficulté », analyse Jean-Pierre Djaïwé. Le gouvernement collégial n’aura sans doute pas la tâche facile pour faire voter ses textes. Mais, il semble que la volonté de maintenir cet îlot de stabilité prédomine. « Nous avons besoin de continuité », poursuit le président du groupe UNI au Congrès. « Il n’est pas question d’engager une quelconque stratégie de crise institutionnelle », affirme Pierre- Chanel Tutugoro, chef de file de l’UC-FLNKS et Nationalistes. Pas de motif non plus, du côté des loyalistes, de déstabiliser l’exécutif, confirme Christopher Gygès. « Nous avons besoin de calme. Il n’y a pas de raison que cela change, nous nous entendons bien avec le Palika. » La démission de Vaimu’a Muliava (entré au gouvernement en 2019) modifie le visage du gouvernement avec l’arrivée de Laurie Humuni (RDO). L’UC gagne un allié, ce qui lui en fait trois, autant que le Palika.