Ataï, un symbole pour toute la Nouvelle-Calédonie

Cela fait maintenant un an que le grand chef Ataï et son sorcier sont rentrés sur leurs terres du pays Cîrî. Après une première année qui a permis de créer un comité mémoriel Ataï, les représentants de chaque aire coutumière et de chaque institution de la Nouvelle-Calédonie se sont retrouvés pour affirmer solennellement leur volonté de faire de ce projet un symbole de paix et de construction du destin commun.

à force de l’entendre, le terme de destin commun a peut-être un peu perdu de sa force et de son sens. Accommodé à toutes les sauces, il est devenu une marotte à laquelle plus personne ne croit vraiment. Enfin presque. Après avoir longtemps cristallisé les tensions entre l’État et les autorités coutumières, les restes d’Ataï et de son sorcier, Méche, se chargent d’une symbolique nouvelle et pourraient redonner un peu de consistance au projet de destin commun.

Un peu plus d’un an après le retour du grand chef à Sarraméa, les représentants de chaque aire coutumière, de chaque institution, des maires de la région, de l’État ainsi que des délégations d’associations, des communautés wallisienne et futunienne, chinoise ou encore vietnamienne, se sont retrouvés, le samedi 19 septembre, afin de nouer des étoffes de tapa sur un bois sacré pour marquer leur engagement à faire du projet mémoriel autour d’Ataï, un projet « pays ».

Car l’ambition est désormais de faire des reliques du grand chef un symbole de l’unité kanak, tout d’abord, mais aussi de la Nouvelle-Calédonie toute entière. « Ce nom dépasse le cadre trop étroit d’un seul individu et d’une seule année. Désormais, le nom Ataï est à lui seul un symbole », soulignait le haut-commissaire, Vincent Bouvier, après avoir rappelé le parcours du retour des reliques, engagé par un courrier du Sénat coutumier au ministre des Outre-mer le 7 novembre 2003.

« Un symbole de paix »

« Il rappelle aussi le symbole de la construction d’une unité d’un peuple et d’un pays et je n’hésite pas à dire qu’il est devenu aussi un symbole de paix. Il est un exemple, un de plus, avec la signature des accords de Matignon, de Nouméa, de la capacité des habitants de cette terre à cheminer ensemble malgré ce qui a pu, par le passé, les opposer. Une preuve supplémentaire de leur capacité à regarder leur histoire en face et à travailler ensemble à la construction d’un avenir apaisé. »

Mais si l’ensemble des officiels ont insisté sur le chemin parcouru, citant au passage quelques extraits du préambule de l’Accord de Nouméa, il reste encore du chemin à parcourir, c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles le projet mémoriel porté par un comité technique est étalé sur trois années (lire par ailleurs).

La première étape, qui a commencé le week-end des 9 et 10 septembre, consiste à réconcilier le clan Daweri de Sarraméa avec les clans de Canala dont est originaire Ségou, un des supplétifs engagés par l’armée coloniale, qui tua Ataï avant que sa tête ne soit tranchée puis envoyée en métropole. Pour la première, des représentants des grandes chefferies de Gélima, Kake et Nondo de Canala étaient présents officiellement en pays Cîrî. Une présence importante qui ouvre néanmoins un long travail car avant l’année prochaine, les chefferies devront également parvenir à mettre de l’ordre entre les clans de Canala eux-mêmes.

La réconciliation, préalable indispensable posé par l’État au retour des reliques, se situe également à un autre niveau. Comme l’a souligné Raymond Guépy, le président de la Fondation des pionniers, « L’histoire avec un grand H nous incite tous à participer à l’œuvre de la réconciliation. Les mots qui sont déposés sur mon cœur pour ce que nous partageons tous aujourd’hui dans l’aire Xaracûû, sont reconnaissance, pardon et amour fraternel. Ce moment est un symbole de ce qui pourra être un exemple pour tout le pays, libérer le pardon et se reconnaître en vue de bâtir notre avenir. »

Reconnaissance

et partage

Et c’est précisément une vision et une manière de construire cet avenir qu’a proposé Franck Bonnard, éleveur et propriétaire terrien descendant de colons parmi les premiers de la région. « Un nouveau départ s’offre à nous, celui de la reconnaissance de chacun et notamment celle du peuple premier. (Nous devons faire naître) une nouvelle façon de se considérer les uns avec et envers les autres. Notre regard porté entre nos différentes communautés doit changer. Le mot respect doit en être le poteau central. Nous avons pu acquérir du foncier. Cette terre, nous ne l’avons pas volée et nous n’avons spolié personne, du moins pas directement. […] Je ne prône pas la régression ou l’abolition de la propriété privée mais simplement le droit à la sanctuarisation de certains lieux, lieux importants pour le peuple premier car signe de reconnaissance. »

Joignant le geste à la parole, Franck Bonnard a décidé de donner « à titre gracieux » dix hectares au clan Daweri. C’est cette parcelle qui accueillera les restes d’Ataï, à proximité de la grande chefferie de Petit-Couli. Pour Bergé Kawa, ce don symbolique doit être un exemple à suivre pour les Calédoniens. Non pour obliger les propriétaires à céder leurs terres, mais bien pour inciter les différentes communautés à se connaître et se reconnaître sur le plan culturel mais aussi économique. Un volet important pour l’éleveur qui, outre ce don, a décidé de proposer une partie de ses terres au classement en Zodep (*). « Pour moi, explique Franck Bonnard, partager, ce n’est pas donner ce qui dépasse du bol, cela s’appelle de l’aumône. Partager, c’est donner une part de ce qu’il y a dans le bol. »

(*) Zone de développement prioritaire. Certaines activités sur ces zones peuvent bénéficier d’un régime fiscal privilégié si elles concernent l’habitat, le développement économique, l’implantation d’infrastructures publiques et la valorisation de la terre.