Les acteurs économiques plaident pour un versement plus rapide des dédommagements par les assurances, particulièrement sollicitées depuis deux mois. Des financements nécessaires en vue d’une reprise de l’activité.
Onze semaines après le début des exactions, les paiements des assurances se font attendre. Au 18 juillet, environ 1,3 milliard de francs auraient été versés sur une estimation des sinistres de 122 milliards, soit à peine 1 %. « C’est très faible », évalue David Guyenne, président de la Chambre de commerce et d’industrie.
Ces derniers jours, les remboursements se seraient accélérés pour atteindre 4 milliards. Sous la pression de l’État, visiblement. Un point d’étape est réalisé chaque vendredi avec le ministère des Finances et les acteurs du monde économique. « Bruno Le Maire a donné sept jours pour accélérer les versements », indique David Guyenne.
Il faut dire que le nombre de dossiers s’accumulent sur les bureaux des assureurs. « C’est compliqué, les expertises traînent, cela prend du temps. » Résultat, moins d’une évaluation sur six est considérée comme « finalisée », c’est-à-dire arrivée au stade du prérapport, qui permet d’obtenir des avances « pour déconstruire, nettoyer les sites, payer des fournisseurs, lancer des études afin d’évaluer les possibilités de reconstruction, etc. », développe le président de la CCI.
Sachant que 800 entreprises sont concernées, la moitié totalement détruites et l’autre partiellement. Les indemnisations constituent une ressource vitale. De fait, l’attente des entrepreneurs envers les assureurs est très forte. « Ils représentent la provenance d’argent le plus sûr, le plus massif et le plus rapide, on ne peut pas reconstruire sans eux. » Les assurances doivent assumer leur rôle « pour aider à remettre l’économie en place, poursuit Franck Defendini, expert d’assuré métropolitain. Il faut peut-être éviter de chipoter pour certaines choses ».
LA GARANTIE ÉMEUTES EXCLUE DE CONTRATS
Autre problématique : la prise en charge de la garantie émeutes, qui commence à être remise en cause. « On attend un engagement très clair sur le sujet, avoir différents discours n’est pas entendable. » Le ministre des Finances l’a pourtant exprimé à plusieurs reprises depuis le mois de mai, sollicitant une « application des contrats avec la plus grande bienveillance pour les PME et TPE, notamment s’agissant de la non-exclusion du risque émeute ». Pas vraiment suivi, semble-t-il, sur ce point-là également, Bruno Le Maire aurait fortement enjoint les compagnies à prendre position. « Sinon, il a annoncé qu’il nommerait celles qui ne jouent pas le jeu. »
Cette clause qui les dérange tant, les assureurs souhaitent désormais la supprimer de leur contrat. Les entrepreneurs dont l’outil de travail n’a été qu’en partie abîmé et qui souhaitent rouvrir se retrouvent coincés. « Les assurances disent de ne pas le faire parce que s’il y a des incidents, on ne sera pas couverts », déclare David Guyenne, qui insiste sur la question de la sécurité, un impératif pour la reprise de l’activité.
In fine, cela affecte l’ensemble des personnes qui envisagent de souscrire un prêt, que ce soit à titre personnel ou professionnel, car « la banque n’en octroie pas sans assurance, c’est le serpent qui se mord la queue », note Stéphane Champromis, expert d’assuré. Ces atermoiements pourraient affecter la volonté de ceux qui désirent se relancer. « Environ 80 % des chefs d’entreprise voulaient reconstruire il y a quelques semaines, remarque David Guyenne. Mais plus on avance et plus on constate les difficultés, plus la proportion a tendance à baisser. »
La situation est critique. Les moyens disponibles doivent être rapidement mobilisés, souligne le président de la CCI. « Cela devient très tendu, nous rentrons dans une zone trouble où tout le système calédonien peut s’écrouler, donc tous les flux, qu’ils proviennent des banques, du gouvernement, de l’État, des assurances, de l’activité, sont nécessaires. »

Gérer un dossier de sinistre auprès d’une assurance, que l’on soit particulier ou professionnel, peut s’avérer complexe. Il est possible de faire appel à un expert d’assuré.
L’UFC-Que Choisir le recommande. « Nous conseillons de prendre un expert d’assuré, parce que le langage assureur est quand même un peu spécial », signale Gilles Vernier, président de l’association. La Chambre de commerce et d’industrie souscrit. « L’expert peut équilibrer le rapport entre les assureurs et les assurés. » La CCI a par ailleurs débloqué un fonds « pour aider à gérer les relations avec les compagnies ».
Le rôle d’un tel expert – qui se rémunère soit au forfait, soit avec un pourcentage sur les indemnisations futures – est « de défendre les intérêts de l’assuré », explique Stéphane Champromis, qui exerce la profession sur le territoire. « De faire contrepoids en ne laissant pas un non-professionnel seul face à un expert en assurance », ajoute Franck Defendini, expert en région parisienne venu proposer ses services en Nouvelle-Calédonie.
« SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE »
Le spécialiste assiste le client dans l’élaboration du dossier. « Cela peut être compliqué, notamment pour une entreprise, car il faut réunir de nombreux documents et informations, les factures, lister les marchandises, les stocks, évaluer les pertes d’exploitation, etc. » L’expert d’assuré étudie aussi le contrat en détail, vérifie qu’il soit respecté et, en cas « de désaccord avec l’assurance sur le chiffrage par exemple, est le mieux armé pour la négociation », ajoute Jean-Jacques Perraud, du métier depuis six ans.
L’objectif est simple : que l’assuré soit le mieux indemnisé possible dans le périmètre de son contrat. Le lien va même parfois au-delà. « On ne parle pas que de matériel, c’est aussi un soutien psychologique, raconte Franck Defendini. On essaie d’accompagner au mieux. »
Les besoins, manifestement, existent. « Depuis deux semaines, on est de plus en plus contactés par des gens qui nous font part de tracas ou nous interrogent à propos de l’exclusion de la garantie émeutes », témoigne Stéphane Champromis. La CCI a organisé un Rendez-vous de l’économie sur ce thème le 11 juillet, en présence de représentants du secteur. Et Franck Defendini a réalisé une présentation à la CPME. « Les questions sont très pratiques. Il s’agit de savoir comment ça va se passer, pourquoi les pertes d’exploitation ne sont pas prises en charge quand il n’y a pas de sinistre, par exemple les entreprises du bâtiment dont les carnets de commandes se sont soudainement vidés. Il y a de l’incompréhension et un sentiment d’injustice. »
CHIFFRES
Assurances : 3 000 sinistres déclarés, 2 500 expertises nécessaires, 2 100 réalisées, 380 finalisées (dès le prérapport).
Fonds de solidarité : 10 442 dossiers déposés,
4 682 validés, 845 refusés, près de 1,4 milliard versés.
Chômage partiel : 22 119 salariés concernés, 8 164 dossiers validés.
Chômage total « exactions » : 2 780 salariés concernés.
L’UFC-Que Choisir sollicitée
Les principales demandes adressées à l’association de défense des consommateurs portent sur les crédits, les prêts, les loyers, les banques et les assurances. Gilles Vernier, le président d’UFC-Que Choisir, évoque le cas de banques qui refusent des prêts parce que les assurances ne veulent plus prendre en charge les émeutes dans leur nouveau contrat. Certaines compagnies essaient de réviser ceux en cours en proposant à leurs clients de signer un avenant excluant la garantie émeutes. « L’assuré peut dire non, mais l’assureur peut décider de ne plus l’assurer. » Gilles Vernier compte sur une intervention de l’État. « On ne peut pas laisser des gens avec des mauvaises couvertures, cela pose d’énormes problèmes. »
Anne-Claire Pophillat

