André Vama, président de l’Œil : «Est-ce que l’on veut surveiller l’activité minière comme ça ? »

André Vama est le président de l’Œil, l’Observatoire de l’environnement, créé en 2009 pour assurer la surveillance environnementale des activités industrielles de Vale NC. Son avenir est toutefois incertain. Dans le cadre de son projet de cession à un industriel australien, Vale NC a annoncé ne pas vouloir reconduire son partenariat avec l’Œil dont la dernière convention a pris fin en 2019. Nous avons interrogé André Vama, qui est également président du comité Rhéébù Nùù.

DNC : L’Œil vient de publier le bilan du Grand Sud pour l’année 2018. Pourriez- vous nous dire en quelques mots ce qu’il en ressort ?

André Vama : Il y a pas mal de points qui ressortent, mais la problématique principale concerne les eaux douces. Les travaux scientifiques constatent une empreinte des activités humaines de plus en plus forte sur les eaux douces souterraines et de surface. Cela concerne principalement les bassins versants de la Kwë et le creek de la baie Nord. La Kwë Ouest subit une pression permanente alors que la baie Nord des pressions plus ponctuelles. Les activités minières exercent également une pression importante.

L’évolution des observations scientifiques vous inquiète-t-elle ?

Nous sommes particulièrement préoccupés par la mine. La rivière de la Kwë s’engrave et continue de s’engraver. Il y a un travail important à faire en amont. Le bilan montre des apports sédimentaires et, surtout, des modifications physico-chimiques de l’eau qui traduisent une dégradation, le dossier devra être porté par le comité consultatif coutumier environnemental (CCCE).

Selon vous, les travaux de l’Œil sont-ils suffisamment pris en compte, que ce soit par l’industriel ou par la province Sud, en charge de la surveillance des installations ? C’est un problème. L’Œil récupère des rapports et des données scientifiques et produit une analyse globale. Son rôle est ensuite de transmettre ces documents à la province. L’un des enjeux de l’observatoire est justement de faire des recommandations. Aujourd’hui, on ne peut que faire le constat que ces recommandations sont peu prises en compte au niveau administratif alors qu’elles viennent de scientifiques. Le complexe du Sud est de classe mondiale et le constat est que l’on donne la priorité à l’économie et qu’on laisse un peu de côté l’environnement. On peut prendre l’exemple de la berme. La géomembrane est fissurée. Qu’est-ce qui empêche l’administration d’imposer les réparations à Vale ? Il y a clairement un problème et c’est un exemple parmi d’autres.

Vale NC est à un moment un peu particulier de son histoire avec la procédure de cession qui est en cours. Antonin Beurrier, le PDG, a indiqué vouloir mettre un terme au financement de l’Œil. Comment accueillez-vous cette nouvelle ?

Cet observatoire a été mis en place avec l’installation de Vale dans le Sud. Il a été créé après le pacte pour un développement durable du Grand Sud dans lequel nous avons mis des structures pour assurer le développement durable et le suivi environnemental. L’Œil a été mis en place au niveau de la province, précisément, pour qu’il apporte un regard scientifique. Les membres du CCCE ne sont pas des scientifiques. Comprendre les productions scientifiques nécessite une certaine expertise qu’apporte justement l’observatoire.

Vale NC souhaite pourtant aujourd’hui rediriger le financement qu’il apporte à l’Œil vers le CCCE pour éviter de payer deux fois pour la même chose…

Sur ce point, je veux rappeler que Vale, au départ, souhaitait dissoudre le pacte (dans le cadre de la procédure de cession : NDLR). Aujourd’hui, Vale dit le contraire. Où est-ce que l’on va ? Vale est sorti de la logique de départ et je tiens à le souligner, l’Œil avait une convention avec Vale. Cette convention est arrivée à terme et Vale peut effectivement se retirer mais, avant, il devra respecter sa signature et ses engagements.

De quels engagements parlez-vous ?

Je parle de ses engagements financiers. Au départ, un montant était prévu et, au fur et à mesure, ce montant a été réduit. À l’heure où je vous parle, la subvention de Vale à l’Œil est minime (elle est passée de 30 millions de francs à 44, puis à 64 millions en 2012 pour diminuer ensuite à 52 millions, 40, 30 et enfin 7,5 millions de francs. Une centaine de millions de francs prévus par les conventions n’auraient pas été versés : NDLR). J’ai convoqué l’assemblée générale. Si Vale ne respecte pas ses engagements, pour l’Œil comme pour le pacte, nous irons sur le terrain juridique.

Pour revenir aux transferts des moyens de l’Œil au CCCE, les moyens pourraient être suffisants pour assurer les mêmes travaux…

Un montant de 40 millions a été proposé. L’assemblée générale du CCCE a botté en touche (elle se réunissait le 31 juillet à la tribu de Goro : NDLR). Nous ne sommes pas d’accord. À la signature du pacte, c’était un autre montant. Aujourd’hui, Vale, avec sa taille mondiale n’arrive pas à respecter sa signature. Qu’est-ce que l’on va faire demain avec le junior australien ?

Vale NC pointe également le fait que l’Œil vienne en doublon des services administratifs tels que la Direction
de l’environnement de la province Sud (Denv)* ou encore la Direction de l’industrie, des mines et de l’énergie (Dimenc). Les travaux de l’Œil sont-ils nécessaires ?

Combien de personnes travaillent dans les services administratifs de la Denv ou de la Dimenc ? Cinq, six ? Ces personnes n’ont pas uniquement la charge de surveiller Vale NC, mais toutes les ICPE de la province Sud. Sur l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie, il y a près de 1 000 installations classées. Vous pouvez interroger les gens, la Denv ne vient pas sur le terrain. Les gens des tribus ne les ont jamais vus alors que l’Œil fait des rapports et vient expliquer la situation. Est-ce que c’est comme ça que l’on veut surveiller l’activité minière demain ? Vu les enjeux, la Denv doit être alignée avec le conseil scientifique de l’Œil pour que les choses avancent et pour préserver notre environnement. Que cherche l’industriel pour nos relations futures ? L’Œil, le CCCE et les services administratifs sont complémentaires.

Comment voyez-vous la suite ?

Nous sommes inquiets par rapport au projet du repreneur. Nous avons le sentiment que l’on continue de nous mentir. Nous sommes condamnés à vivre ici, c’est notre terre et la mine est là. C’est nous qui vivons dans les tribus. L’environnement et le social sont fortement impactés, à Goro notamment. Qu’est-ce que Vale dit ? Que fait la province ? Il y a eu un boom et d’importants afflux d’argent. Il y avait double emploi, les enfants étaient livrés à eux-mêmes… On n‘était pas préparé à ça et l’impact social a été important. Quand on dit ça à Vale, quand on dit ça à la province, personne ne bouge. Et on nous dit quoi aujourd’hui ? Qu’il faut changer de stratégie ? Nous allons continuer à nous bagarrer pour que l’environnement et le social soient préservés.

Antonin Beurrier a souligné que le pacte avait été revu et que cette nouvelle version était « vitaminée ». Comment le voyez-vous en tant que responsable coutumier ?

Comment peut-il dire ça alors qu’encore une fois, les engagements pris n’ont pas été respectés ? Quand on signe un bail pour trente ans, on signe un bail pour trente ans. Ce n’est pas nous qui sommes allés chercher l’industriel. C’est lui qui est venu s’installer, qu’il prenne ses responsabilités. Les problèmes que l’on connaît au CCCE, à la Fondation ou encore à Sud reboisement, Vale a sa part de responsabilité. Monsieur Beurrier parle de conflit d’intérêts, mais Vale a laissé faire les choses alors qu’il était prévu qu’il joue un rôle de « police », justement pour éviter ces situations. Rhéébù Nùù a dénoncé cela et demandé à l’industriel d’assumer ses responsabilités. Aujourd’hui, Vale parle de mauvaise gestion, mais y a largement contribué au travers de ses représentants au sein des différentes structures.

Toujours en tant que responsable coutumier, comment comprenez-vous les propos d’Antonin Beurrier qui estime que les coutumiers opposés au projet de cession ne sont pas représentatifs ?

Ces propos nous ramènent vingt ans en arrière avec une multinationale qui créée la division pour mieux régner. Quand nous avons été le voir, nous lui avons présenté un courrier signé par le président de l’aire. Toutes les chefferies étaient représentées. Nous avons signé les accords de Matignon, l’Accord de Nouméa pour engager un rééquilibrage. C’est vrai que le dossier de l’usine du Sud est un dossier politique, mais il y a eu tout ça et nous avons signé un pacte. Nous sommes partenaires et on a encore cette mentalité de division. C’est une posture de dominant/dominé et ce n’est pas bon.

Aujourd’hui, l’enjeu est la survie de l’Œil ?

L’Œil a été monté avec les populations du Sud et s’il a été monté, c’est bien par rapport à Vale, ce n’est pas par rapport à une autre usine. Mais c’est vrai que l’Œil a l’ambition de rayonner dans l’ensemble du pays. Il n’y a clairement pas la place pour deux structures comme celle-là. Les politiques ont une responsabilité sur ce dossier. Nous devons sauvegarder l’Œil et nous ferons tout pour y arriver. S’il faut monter au créneau, nous irons. L’Œil compte 23 membres dans ses rangs. L’année dernière, nous avons fêté les dix ans de l’Œil et tout le monde a salué son travail. L’administration peut obliger les métallurgistes à contribuer à l’Œil, dans l’intérêt des générations futures. Mais il existe aussi d’autres sources de financement comme des taxes sur l’activité minière.

*À noter que la Direction de l’environnement a disparu fin 2019, la province Sud ayant procédé à une fusion de ses directions. Elle fait désormais partie de la Direction du développement durable des territoires qui comprend aussi l’ex-Direction du développement rural. L’ancienne directrice de la Denv vient d’ailleurs de quitter ses fonctions.

M.D. ©Œil