Alexandra Noël : « Il est important d’évaluer notre disponibilité »

La gestion de l’adolescence n’est pas chose aisée pour un jeune et sa famille. Séance de décryptage avec Alexandra Noël, psychologue clinicienne, spécialisée notamment dans cette prise en charge.

DNC : Qu’est-ce qui se joue à cette période de la vie?

Alexandra Noël : C’est une période de bouleversements hormonaux, cérébraux, psychiques, de nature identitaire et de relation à l’autre. Il y a un conflit intérieur avec un besoin d’autonomisation. L’adolescent ne veut plus être enfant, mais il n’est pas encore complètement prêt à être adulte. Et il y a une perte de repères : on ne veut plus s’identifier à ses parents, on est en quête de nouveaux modèles. Cela génère des angoisses inconscientes et un conflit intrapsychique qui peuvent expliquer les comportements à risque, l’impulsivité.

Pourquoi les ados ont souvent une mauvaise estime d’eux-mêmes ?

L’estime de soi se construit par rapport à l’environnement familial, culturel et aux expériences. L’adolescent est en pleine phase de construction, et donc de doute.

La vulnérabilité est directement liée au développement cérébral. L’ado n’est pas suffisamment équipé et il est soumis à des mouvements émotionnels forts qui peuvent remettre en question l’estime de soi. Il doit être renforcé positivement dans ses apprentissages.

Il y a parfois une volonté de se faire du mal. Comment l’explique-t-on ?

C’est un processus propre à l’adolescence de vouloir extérioriser ses angoisses inconscientes. Ceux qui se mutilent disent que la scarification est un soulagement. Cela veut dire que la souffrance psychique est tellement douloureuse qu’elle a besoin, à un moment, de passer par le corps pour s’extérioriser. Ce mode de fonctionnement est addictif. Et c’est à peu près le même avec la consommation de psychoactifs, la boulimie ou l’anorexie. L’idée est de court-circuiter la souffrance pour ne plus penser, se ramener à l’instant présent.

Comment le parent peut-il aider son enfant ?

En favorisant l’échange, même dans des situations conflictuelles. L’image qui me vient, c’est de s’asseoir à ses côtés et de l’écouter, sans penser à sa place. L’ado n’a pas envie qu’on lui donne des conseils, il a juste envie qu’on lui dise « oui je te sens triste », d’être reconnu dans sa vérité car ses émotions sont vraies.

Plus largement, il est important d’évaluer notre disponibilité. Quel temps de qualité, de plaisir, passons-nous ensemble ? Ça peut simplement être le moment du dîner où l’on se raconte les anecdotes de la journée.

Un adolescent a-t-il encore besoin d’un cadre strict ? Où poser les limites (temps d’écran, sorties, respect, etc.) ?

Oui, les limites rassurent. J’aime bien parler de cadre avec flexibilité. Ce qui est important, c’est de transmettre des valeurs fondamentales qui constituent un bon socle de construction et ensuite de rester vigilant sur le respect de ces règles. Sachant que la particularité de l’adolescence est justement de vouloir les transgresser pour se désidentifier des parents. En revanche, s’il n’y a pas de règles, il ne va pas pouvoir se construire.

Quand faut-il consulter ?

Quand le temps passé à un usage ou à un comportement est trop envahissant, qu’il prend le devant sur la capacité à se faire plaisir, à être dans le présent. Le mal-être s’exprime par des ruminations, troubles du sommeil, perte de l’appétit, troubles de l’alimentation, aspects dépressifs, crises d’angoisse régulières, scarifications, addiction aux jeux, etc. Les consultations permettent d’extérioriser par les mots ou d’autres moyens.

En quoi la pratique sportive peut-elle aider ?

Le sport est protecteur des troubles psychiques et du comportement. Il permet une meilleure conscience et estime de soi, une meilleure relation à son corps, transmet des valeurs sociales. De même, le sommeil est un élément central : un manque à ce niveau va aggraver les difficultés.

Faut-il s’enquérir de son entourage ?

Il faut le laisser faire ses propres rencontres, mais on doit s’y intéresser, savoir comment il se sent dans sa classe, son groupe, ce qu’ils aiment faire ensemble. Une nervosité peut être liée à l’environnement social, et cela inclut les réseaux sociaux. Il peut être assujetti à la violence ou au harcèlement. Il faut observer les changements de comportement, d’humeur.

Les plus grandes « erreurs » des parents ?

Un parent transmet son anxiété et ses inquiétudes. Si elles sont légitimes, c’est bien, mais si elles sont le fruit de sa propre insécurité, ça l’est moins. L’excès inverse, l’absence d’attention ou d’affection, va aussi évidemment avoir des conséquences sur la construction identitaire.

Ce n’est pas simple, car un enfant va toucher en nous des domaines que nous n’avons pas forcément explorés. D’ailleurs, les problèmes à cet âge sont souvent des symptômes de difficultés familiales qui n’ont pas été résolues. Mais c’est cela qui est intéressant. Au lieu de se dire qu’il est le problème ou l’adolescence en général, on devrait tous faire ce travail de responsabilisation. C’est un métier à part entière… qui nécessite des remises en question, de la disponibilité mentale.

Propos recueillis par Chloé Maingourd

Photo : Beaucoup d’adolescents ont l’angoisse d’être perdus dans un monde dans lequel ils ne se retrouvent pas notamment dans l’environnement scolaire, explique Alexandra Noël. / © Chloé Maingourd

Représentations sociales
Selon l’étude menée par la province Sud, 60 % des filles sont angoissées par leur avenir, 51 % doutent de leur utilité, 28 % ont envie de se faire du mal. Ces taux sont moins importants chez les garçons
(46 %, 37 %, 14 %). En revanche, 72 % des garçons ne vont pas demander d’aide, contre 62 % des filles. Des résultats qui illustrent l’influence du schéma patriarcal selon la psychologue : des filles soumises au poids des attentes, des garçons qui ne s’autorisent pas d’émotions.
Cadre parental
83 % des jeunes estiment être assujettis à des règles parentales. 87 % se sentent en sécurité dans le cadre familial. 81 % estiment que leur entourage voit quand ils vont mal.