Aircal : « Cette nouvelle crise menace notre activité »

Daniel Hombouy annonce une réunion avec le gouvernement et les collectifs la semaine de la rentrée. / © A.-C.P.

Un mois d’arrêt d’exploitation et près de 180 millions de francs de pertes. C’est ce qu’ont coûté les blocages à Lifou, Maré et l’île des Pins, à Air Calédonie. La compagnie aérienne attend un soutien financier de ses actionnaires, annonce des mesures pour réduire la masse salariale ainsi qu’une évolution de la grille tarifaire, indique Daniel Hombouy, directeur général.

Demain en Nouvelle-Calédonie : Comment les blocages ont-ils affecté Air Calédonie ?

Daniel Hombouy : La compagnie est sortie très fragilisée du Covid. Cette nouvelle crise menace notre poursuite d’activité. Et je pèse mes mots. La conséquence directe, c’est qu’on consomme de la trésorerie qu’on n’arrive pas à reconstituer puisqu’on a moins de rentrées d’argent. Et ces pertes se cumulent avec des charges en forte augmentation (maintenance, pièces détachées, prix du carburant, etc.). On est désormais en-deçà de notre niveau d’alerte, la trésorerie est au plus bas.

Vous avez tenu un conseil d’administration exceptionnel mercredi 11 octobre. Quelles décisions ont été prises ?

Les mesures visent à préserver la trésorerie. Les actionnaires, notamment la Nouvelle-Calédonie et la province des Îles, sont d’accord pour apporter des fonds. Reste à définir leur montant. Ensuite, il faut réduire la masse salariale, qui représente 50 % de nos charges. Les salariés avaient déjà consenti, pendant le Covid (depuis début 2022), à des réductions de salaires. Ils avaient aussi renoncé à leur 13e mois. Là, on va travailler sur les accords, peut-être ne pas renouveler les CDD et les départs, et améliorer la productivité.

Une révision des tarifs est aussi envisagée ?

Oui, c’est le troisième volet d’action, l’augmentation des revenus, qui va passer par une évolution tarifaire. On sait que cela va être très compliqué, surtout que la politique tarifaire de la compagnie est contestée, mais c’est un des leviers pour pérenniser notre activité. On a un déficit important, de l’ordre de 458 millions de francs en 2022, plus les pertes de 180 millions de francs liées au mouvement. En août l’année dernière, un conflit social ne nous avait pas permis d’atteindre nos objectifs passagers. Cela devrait se répéter en 2023. On visait 430 000 passagers, mais on n’y arrivera pas. La situation s’est fragilisée. On a des résultats déficitaires depuis 2020, alors qu’avant, on se rapprochait de l’équilibre.

Notre trésorerie est désormais en-deçà de son niveau d’alerte.

Vous allez solliciter le tribunal du commerce pour vous placez sous une procédure de mandat ad hoc, pourquoi ?

Nous sommes dans une situation critique et nous ne pouvons plus attendre. Un manda- taire judiciaire pourra nous accompagner afin de redresser la compagnie et vérifier si nos pistes de travail sont les bonnes. Il y aura aussi un conseil d’entreprise extraordinaire. Et nous n’excluons pas d’entamer des démarches afin d’obtenir réparation du préjudice subi.

Que pensez-vous de la principale demande des collectifs d’augmenter les remises continuité pays ?

Cette question concerne avant tout la Nouvelle-Calédonie, puisque c’est elle qui finance le dispositif. La contestation porte sur la réduction du nombre de coupons continuité pays. Les bénéficiaires disposent de dix coupons de remise correspondant à dix trajets simples, soit cinq allers-retours. Ils demandent à passer à huit allers-retours. La continuité pays est une remise qui s’applique quel que soit le prix du billet. Elle est de 5 300 francs par coupon pour les Loyauté (soit 10 600 francs de réduction sur un aller-retour), et de 4 1 00 francs pour l’île des Pins (soit 8 200 francs l’aller-retour).

Un tarif unique est également évoqué, comme le prévoyait le protocole signé en 2011. Est-ce envisageable ?

Nous répondons déjà à ces demandes, puisque quand on applique la continuité pays au tarif standard, le plus répandu, un aller-retour pour l’île des Pins coûte environ 10 000 francs et, pour les Loyauté, 15 000, c’est-à-dire le montant sollicité par les auteurs des blocages pour le tarif unique. Et si on prend en compte les tarifs super loisir et loisir, les prix commencent à 3 400 francs pour Kunié et 6 000 pour Lifou et Maré. La gamme tarifaire proposée est nécessaire pour assurer la rentabilité de la compagnie.

La révision de la politique bagages fait partie des principales revendications, qu’en est-il ?

Après le Covid, en 2022, on s’est rendu compte que nous enregistrions trop de bagages par rapport à notre capacité. Nous étions parfois obligés de débarquer des bagages voire des passagers. Nous avons donc interdit les excédents au-delà des 12 kg autorisés, et on a limité à un seul bagage par passager. On invitait les gens à se rapprocher du fret, dont les prix sont inférieurs à ceux des excédents de bagages.

Le collectif a estimé que cela portait trop de contraintes. On a consenti à accepter jusqu’à 3 kg d’excédents et sans restriction de nombre de bagages. Mais l’idée est, à terme, que les gens utilisent le fret et anticipent leur voyage.

L’agence de Wé a été incendiée dans la nuit du jeudi 5 au vendredi 6 octobre, comment cela se passe pour les clients de Lifou ?

Cela a vraiment été un choc pour nous. Maintenant, on réfléchit à une solution. L’agence de Wé était centrale. Quatre agents y travaillaient. Aujourd’hui, on a plus qu’un seul point de vente à Wanaham, au Nord, qui n’est pas dimensionné pour absorber le flux de l’agence de Wé. On s’est rapproché des collectivités, mairie et province, pour voir si on pouvait obtenir un local afin d’accueillir une agence provisoire. On attend une réponse.

Une évolution tarifaire est un des leviers pour pérenniser notre activité.

Il ne s’agit pour l’instant que d’une pause, la menace des blocages plane toujours. Comment sortir de ce conflit ?

Nous avons accordé des concessions. Pour l’île des Pins, par exemple, on a rajouté des vols le jeudi et le samedi. Mais chacun veut des conditions spécifiques pour son aérodrome, ce n’est pas possible. Je suis arrivé à la limite de mes délégations.

Est-ce que ces mouvements découragent les voyageurs de se rendre dans les îles ?

Oui, cela a des conséquences, et c’est notre inquiétude. Dès qu’il y a de l’instabilité, ne serait-ce que des menaces, on voit une baisse de nos ventes par rapport à nos estimations, les gens achètent moins.

Et si les blocages reprennent ?

Sans aide des actionnaires maintenant, je pense qu’on tient jusqu’au 1er semestre 2024. Mais même si on est aidé, s’il y a de nouveaux blocages, on ne pourra pas faire face financièrement. On devra sans doute mettre du personnel au chômage technique et solliciter des mesures comme pendant le Covid.

Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat

 

Les conséquences du conflit

Il y a eu 32 journées d’arrêt d’exploitation sur Maré, Lifou et l’île des Pins, parfois sur les trois destinations en même temps, parfois sur une ou deux. Soit 344 vols programmés qui n’ont pas décollé, et une estimation de 17 000 passagers. Cela représente une perte de 178 millions de francs.

Air Calédonie, qui visait 430 000 passagers en 2023, ne devrait pas atteindre son objectif. La compagnie a accueilli 376 000 voyageurs en 2022, année de reprise de l’activité après le Covid. La meilleure année reste 2019, avec un record de 465 000 passagers.

Aircal compte 350 salariés et quatre actionnaires (Nouvelle-Calédonie : 53 %, province des Îles : 25 %, et province Nord et Sud : 22 %).

La continuité pays

25 000 personnes en ont bénéficié en 2022 (elle est accordée en fonction de critères de résidence). Cela représente un budget d’environ 700 millions de francs, d’après Daniel Hombouy, qui précise que le taux d’utilisation du dispositif est de 50 %, soit cinq coupons sur les dix attribués. Selon le directeur général, il y aurait 30 000 bénéficiaires cette année. La continuité pays, c’était l’équivalent de 8 allers-retours par an et par bénéficiaire en 2012. C’est passé à 5 en 2017 au vu des usages. Les remises continuité pays s’appliquent sur l’ensemble de la gamme tarifaire : promotion, super loisir, loisir, standard et flex.

Air Loyauté : « Cest la première fois quon est bloqués »

« D’habitude, on nous laisse passer pendant les conflits. Là, c’est la première fois qu’on a été bloqués », témoigne Michel Druet, directeur d’Air Loyauté, autorisée cependant à assurer un pont aérien et le transport de malades. La compagnie est « une victime collatérale », qui a vu son trafic réduit à 30 % de son niveau habituel. Fragilisée économiquement, elle se trouve dans une situation « compliquée » et va faire appel – comme cela lui est déjà arrivé – à l’aide de son unique actionnaire, la Sodil. Mais, ce soutien « a aussi des limites ».

En raison de la baisse d’exploitation, décision a été prise de se réorganiser.  Les départs de personnels ne seront pas remplacés » dans la société, qui compte soixante salariés. Un nouveau coup dur après le Covid et les augmentations de coût. Si l’activité de la compagnie devait à nouveau s’arrêter, « on sera obligés d’envisager des procédures de mise en chômage », annonce Michel Druet.