Déjà exsangue, la Nouvelle-Calédonie n’a pas les moyens de répondre à la règle fixée par l’État d’un financement à hauteur de « un pour un ». Le territoire cherche toutes les solutions possibles pour faire face aux conséquences des exactions.
Dans un objectif de « responsabilisation » , l’État financera « un pour un avec les autorités compétentes » les premières aides, c’est-à-dire le fonds de solidarité et le chômage partiel, annonçait Emmanuel Macron à Nouméa, jeudi 13 mai.
L’exécutif et ses représentants, qui ne sont pas sans ignorer la mauvaise situation financière de la Nouvelle-Calédonie, imposent ainsi un principe qu’ils savent ne pouvoir être tenu, le territoire se trouvant dans l’incapacité d’assumer sa part.
Une première aide de 12 milliards de francs a été garantie par Bercy, dont 6 milliards fléchés vers le chômage partiel afin de financer les allocations des mois de mai et juin, alors que le projet de délibération sur le sujet est examiné par la commission permanente du Congrès vendredi 14. Or, rien que sur ce point-là, les besoins s’élèveraient à plus de 13 milliards de francs pour trois mois, d’après les premières estimations. Sans compter les pertes de ressources sociales et fiscales.
INSUFFISANT
Ces montants ne sont pas à la hauteur, estiment les entrepreneurs adhérents du Medef, réunis jeudi 6 juin devant Ducos Factory, ravagé par les flammes, au vu des destructions et alors que l’activité ne reprend que très faiblement, entravée par la situation sécuritaire qui « n’est pas réglée », insiste Mimsy Daly.
Pour la présidente du Medef, « les premières sommes engagées sont très insuffisantes par rapport au désastre économique. On souligne l’effort, mais c’est une goutte d’eau face à nos difficultés ». La Finc corrobore. « À ce stade, les mesures ne répondent pas aux besoins cruciaux et immédiats des entreprises et des salariés », appuie la Fédération des industries, qui intime aux élus locaux de faire preuve de « pragmatisme et d’avoir le courage de demander la mise sous tutelle de l’État ».
Il serait question de plus de 30 milliards de francs à trouver d’ici la fin du mois de juillet. Où ? L’État prévoit la possibilité de revoir sa participation et « fera le nécessaire pour que les financements complets soient là », affirme le haut-commissaire, Louis Le Franc, vendredi 7 juin.
Le lendemain, dans son allocution, Louis Mapou indique avoir écrit au président de la République pour lui demander « que le soutien de l’État garantisse le financement des besoins pour les trois mois à venir en attendant de définir avec plus de précision les besoins en reconstruction ». Et, semble-t-il, réitère son souhait de voir tout ou partie des deux prêtes AFD (28,6 milliards de francs en 2020 en 20,8 en 2022) transformer en subventions.
CHANGEMENT DE MODÈLE
L’exécutif frappe à toutes les portes. Louis Mapou a notamment réuni les diplomates « des pays amis » représentés en Nouvelle-Calédonie. « J’ai sollicité auprès de l’Australie, de l’Indonésie, du Vanuatu, du Japon, de la Nouvelle-Zélande, de la CPS et de l’UE un soutien de leur part à la reconstruction », mentionnant un effort de 20 millions de francs apporté par Wallis-et-Futuna.
Et la Nouvelle-Calédonie n’exclut pas d’emprunter. Son taux d’endettement, à 201 % fin 2022, était évalué à 153 % fin 2023 (et à 56 % hors Covid, soit en-dessous de la limite prudentielle fixée par l’AFD). Parmi les partenaires possibles, l’Agence française de développement, la Caisse des dépôts et consignations…
Le risque, si aucune solution n’est trouvée d’ici la fin du mois ? La cessation de paiement, le niveau de trésorerie étant très bas. Sans compter la dissolution voulue par Emmanuel Macron, qui ne devrait pas arranger les affaires du pays, certains craignant que cela ne retarde le versement des aides.
C’est tout un fonctionnement qui est remis en cause, considère Mimsy Daly, le modèle actuel ne serait plus tenable. « Il va falloir une grosse remise en question. On ne vivra plus comme avant. On avait un système de protection sociale avantageux, une fonction publique développée, est-ce qu’on sera encore en capacité demain de faire face à cela ? On peut en douter. »
D’autant qu’une partie des chefs d’entreprise ne redémarrera pas son activité dans ces conditions, sans garantie, témoigne Laurent Vircondelet, président de la Fédération du commerce. « On n’a plus d’argent, il a été brûlé. La reconstruction ne dépendra que d’une chose, l’accord politique. »
L’État a mis en place un fonds de solidarité (FSE) à destination des TPE et PME, pour lequel la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) est le guichet d’entrée. Le FSE est destiné aux entreprises ayant perdu 25 % de leur chiffre d’affaires en mai et 50 % en juin. L’aide peut s’élever jusqu’à plus d’un million de francs pour les deux mois. Le formulaire est accessible sur le site www.impots.gouv.fr. La CCI accompagne également les sociétés qui rencontrent des difficultés dans leurs démarches auprès des assurances, des banques, ou pour le chômage partiel. Informations sur le site www.cci.nc.
♦ Aides de la province Sud
La Maison bleue « a versé 609 millions de francs à 526 entreprises et patentés », écrit Sonia Backès sur sa page Facebook, ce qui a permis, selon la présidente de l’institution, « de payer le salaire du mois de mai de 5 219 salariés et gérants d’entreprise ». Bruno Le Maire se serait engagé à rembourser la moitié de cette somme.
♦ Des mesures au Congrès
Vendredi 7 juin, la commission permanente du Congrès a adopté plusieurs mesures d’urgence visant notamment à assouplir certaines formalités administratives afin, entre autres, de permettre le prolongement des contrats en cours jusqu’à six mois. Certaines échéances fiscales sont également repoussées. Le second acompte de l’impôt sur le revenu est décalé au 30 septembre. Idem pour les cotisations sociales des employeurs.
Anne-Claire Pophillat