Alors que des exactions se poursuivent et que les habitants ont la tête ailleurs, les élections européennes se dérouleront bien dimanche sur le territoire. Les maires pensent avant tout aux conditions de sécurité.
« Si on arrive à 10 % de participation, ce sera une réussite » sourit amèrement un élu, qui se souvient des 20 % à peine atteints en 2019. Les élections européennes se tiendront bien dimanche 9 juin sur l’ensemble du territoire. Plus de 215 000 électeurs, inscrits sur la liste générale, sont appelés aux urnes pour choisir entre 38 listes candidates à l’élection des représentants au Parlement européen, où 81 sièges sont attribués à la France.
Par le maintien du scrutin, déjà lointain de la Nouvelle-Calédonie par nature, l’État veut démontrer que l’action des forces de l’ordre a rétabli des conditions propices au vote. Cette position n’est pas du tout partagée au sein de la population calédonienne.
Le député Philippe Dunoyer, pourtant parlementaire Renaissance de la mouvance présidentielle, décrivait mardi 4 juin « une situation insurrectionnelle », « un début de guerre civile. Aucune liberté publique essentielle n’est restaurée. Dans cet environnement, il faut organiser des élections ». Conclusion, « c’est l’illustration du décalage entre la perception et la réalité ». L’Union calédonienne alerte, de son côté, « sur le fait que les conditions ne sont pas réunies pour que les éléctions européennes se tiennent normalement ».
Jeanne, qui ne sort de son domicile de Nouméa depuis le début des émeutes que pour faire ses courses, est réellement étonnée. « Ah bon, on vote ? Nous ? Dimanche ? »
PROBLÈME DE CARBURANT
L’annonce d’un retour dans l’isoloir pour le scrutin européen peut légitimement surprendre. Puisqu’en raison du déchaînement de violences depuis lundi 13 mai, l’acheminement de la propagande électorale, ni son impression sur le territoire n’ont pu s’effectuer. Cette présentation officielle des listes et de leur programme n’est consultable que sur le web. Encore faut-il s’y intéresser et faire la démarche.
Les mairies sont en branle-bas de combat. À Dumbéa, la moitié des 26 bureaux de vote habituels sont saccagés, voire détruits pour le centre culturel, et trois à quatre autres ne sont pas sécurisés. L’organisation des élections est de fait « très compliquée », observe le maire Yoann Lecourieux, qui est formel. « Nous ouvrirons dimanche les bureaux de vote que si la sécurité est assurée. »
Des endroits comme le pont des Érudits, Apogoti ou Jacarandas étaient encore, en milieu de semaine, des points instables. Dans ce contexte particulier, une directive du haut-commissariat a invité les municipalités au regroupement des sites de vote. Les 26 de Dumbéa seront centralisés sur deux lieux, les 57 de Nouméa sur six… Leur adresse exacte sera révélée samedi, par voie de presse, par tableaux d’affichage… une nouvelle fois pour des questions de sécurité.
« Il faut être très flexibles », note Alan Boufenèche, directeur de la vie citoyenne de la ville de Nouméa, qui disposera de l’aide d’agents de la police nationale et municipale sur les espaces dédiés au scrutin dominical.
À Hienghène, « un problème de déplacement des personnes se pose. Il n’y a pas de carburant », soulignait mardi 4 juin le maire Bernard Ouillate, qui en plus n’avait « pas encore reçu les enveloppes, ni les bulletins, rien ». Et puis, honnêtement, « les gens ne se sentent pas trop concernés » par l’enjeu politique européen dans cette commune, qui vote quasi exclusivement indépendantiste.
RECOURS ?
Un arrêté a divulgué, en milieu de semaine, les horaires d’ouverture des bureaux de vote : de 7 à 17 heures, soit une plage qui respecte le couvre-feu à 18 heures tout en prenant en compte le temps de dépouillement des voix. Le risque de recours est potentielle- ment élevé, car des électeurs ne pourront très probablement pas se rendre aux urnes dimanche.
Compte tenu du nombre de votants sur le Caillou comparé aux 48,8 millions en France, mais aussi de la très forte abstention attendue, « il est probable que le vote des seuls habitants de Nouvelle-Calédonie ne soit pas décisif pour les élections européennes », a indiqué Romain Rambaud, professeur de droit public à Grenoble, spécialiste du droit électoral, à la radio France Culture.
« S’il y a un recours, on peut être certain que cette action n’entraînera pas l’annulation de l’ensemble des élections européennes. À la marge, elle pourrait avoir un effet sur les derniers sièges, ceux attribués à la plus forte moyenne. » Le haut-commissaire, Louis Le Franc, devait s’exprimer jeudi 6 juin sur la tenue de ce scrutin.
Yann Mainguet