Affaire Steiger : « Il faut que leur moralité soit intacte »

Deux jours après la révélation par Mediapart de la condamnation du colonel Éric Steiger pour des violences conjugales, ce dernier a demandé à être relevé de ses fonctions à la tête de la gendarmerie de Nouvelle-Calédonie en fin de semaine dernière. Mais l’incompréhension demeure : comment cette nomination a-t-elle été possible ?

La Nouvelle-Calédonie se serait bien passée de cette affaire. Le journal Mediapart a révélé le 18 août que le colonel Éric Steiger, promu numéro un de la gendarmerie en Nouvelle-Calédonie en juillet, avait été condamné quelques semaines plus tôt pour violences physiques et psychologiques sur son épouse. Dans la nation d’Emmanuel Macron, qui avait promis une « République exemplaire », ce nouvel écueil a fait grand bruit. En Nouvelle-Calédonie, où les violences faites aux femmes avaient été érigées en « grande cause » territoriale durant la mandature de Thierry Santa, les chiffres étant effrayants, ce fut encore pire. Le 20 août, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a indiqué qu’Éric Steiger avait demandé à être relevé de ses fonctions en Nouvelle-Calédonie. Le ministre a pris acte de cette décision et fait savoir qu’un nouveau commandant serait prochainement désigné.

L’outre-mer, pas une « poubelle »

La parution de l’article a provoqué un tollé, notamment auprès de la classe politique locale. « On ne peut pas occuper ce poste en ayant été condamné pour ce type de faits », a déclaré Isabelle Champmoreau, vice-présidente du gouvernement en charge de la lutte contre les violences conjugales. Pour l’ancien président Thierry Santa, « aucun dépositaire de l’autorité publique ne peut continuer à exercer ses fonctions quand il se rend coupable de tels agissements ». Calédonie ensemble a aussi estimé que cette condamnation disqualifiait Éric Steiger pour exercer ses responsabilités, renvoyant même Gérald Darmanin à ses déclarations sur la nécessaire exemplarité des gendarmes et la priorité donnée au traitement des violences conjugales. La présidente de la province Sud, Sonia Backes, est allée dans le même sens tout en s’interrogeant sur « la capacité de sang-froid indispensable à cette fonction dans la période troublée et sensible dans laquelle se trouve la Nouvelle-Calédonie ». Le FLNKS a condamné avec la plus grande fermeté le choix de l’État de le nommer en connaissance de cause, ajoutant que l’outre-mer n’était pas une « poubelle ».

Que les autorités s’expliquent

Les mots étaient bien plus forts, samedi, lors de la mobilisation en soutien à l’épouse du colonel organisée devant la caserne Meunier, à Nouméa, par le collectif Femmes en colère, l’Union des femmes francophones d’Océanie (UFFO-NC) et la Ligue des droits de l’homme. « Un mec qui bat sa femme à la tête de la gendarmerie, allô quoi ! », disait une jeune femme. « Sachant que l’on compte sur l’amélioration du système d’accueil des femmes victimes en gendarmerie, avoir à la tête de cette structure un auteur de violences, ce n’est pas possible. Il faut que leur moralité soit intacte, a souligné Fara Caillard, présidente du collectif. Nous restons vigilantes et nous veillerons à ce qu’ils ne l’envoient pas dans un autre outre-mer. »

Les associations demandent maintenant que les autorités de l’État et de la gendarmerie « s’expliquent publiquement sur tout le mécanisme juridico-politique » qui a conduit à cette nomination. Sans fonder beaucoup d’espoir, elles redisent : « C’est au sein du puissant système patriarcal qu’il convient de changer l’ordre établi pour améliorer la vie des femmes et enrayer les attaques dirigées vers leur corps et leur esprit ».

Au vu des derniers propos tenus par le ministre de l’Intérieur, qui revenait sur l’affaire dans une interview donnée sur France Info le mardi 24 août, un long chemin reste à parcourir. Si Gérald Darmanin a estimé qu’il « valait mieux » que le colonel Steiger « quitte ses fonctions », il a ajouté « je ne suis pas pour les chasses aux sorcières » et « je déteste les chasses à l’homme ou à la femme ». Il a jugé que le colonel Steiger faisait l’objet « d’une cabale ». Face à ce genre de réaction, la mobilisation du collectif des Femmes en colère samedi prend d’autant plus de sens.

Elles renvoient aussi les politiques locaux à leurs responsabilités. « Avez-vous pris la peine que tout dossier de nomination aux hautes instances décisionnelles de notre pays ne comporte pas de tels antécédents ? »


L’affaire connue de la hiérarchie et des politiques

Dans les faits, le journal d’investigation Mediapart a expliqué que le colonel avait été condamné une première fois en février à six mois de prison avec sursis pour des violences physiques et psychologiques à l’encontre de son épouse entre novembre 2017 et juin 2018. En mai, la cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation en réduisant la sanction à une amende de 6 000 euros, soit environ 700 000 francs, sans inscription au casier judiciaire. La gendarmerie n’a pas lancé d’enquête disciplinaire.

Pire, l’intéressé, qui était numéro 2 de la gendarmerie, a fait l’objet d’une promotion, remplaçant le général Marietti, à la tête de la gendarmerie en Nouvelle-Calédonie depuis 2017. La Direction générale de la Gendarmerie nationale a déclaré à Mediapart que la dernière décision de justice ne faisait pas obstacle à cette nomination, évoquant « un contexte douloureux de séparation de couple après 20 ans de vie commune ». Comme si la séparation était une circonstance atténuante.

L’affaire était donc connue de la hiérarchie. Mais l’était-elle des sphères politiques ? Lundi, Mediapart a publié en intégralité la lettre envoyée par l’épouse du haut gradé en octobre 2020 à Marlène Schiappa, la ministre déléguée à la Citoyenneté, anciennement chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle s’interrogeait : « Comment un homme violent dans sa vie privée […] pourrait-il occuper un tel poste nécessitant une éthique et un comportement irréprochables ? Comment un tel paradoxe pourrait-il se produire, étant donné l’ensemble des projets à l’initiative de la gendarmerie contre les violences conjugales ? » Elle n’a jamais obtenu de réponse.

C.M.