À Paris, une semaine de discussions et d’incertitudes

Les politiques calédoniens réunis à Paris ont un programme ambitieux : d’ici le 3 juin, il s’agit d’évoquer les conséquences du « oui » et du « non » au prochain référendum, la date de ce dernier et de dresser les contours d’un successeur à l’Accord de Nouméa.

C’est le charme des discussions politiques parisiennes à propos de la Nouvelle-Calédonie et de son avenir institutionnel : tant qu’elles ne sont pas terminées, personne ne peut dire où elles mèneront. Officiellement, le cycle des réunions de travail, commencé le 26 mai, ne se fixe même pas d’objectif. On est loin du format Comité des signataires, utilisé précédemment et réuni à intervalles réguliers à l’hôtel Matignon, à Paris, chez le Premier ministre.

Les Comités des signataires disposaient, eux, d’un ordre du jour accessible et public ainsi que d’un compte rendu à l’issue. Jusqu’au 3 juin, c’est le format Leprédour – du nom de la réunion calédonienne transpartisane réunie par le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu, en octobre dernier au large de Bouraké – qui prévaut.

Imaginé et organisé afin d’être plus efficace que les précédentes réunions parisiennes, ce format a déjà échoué à réunir toutes les nuances du spectre politique du Caillou : évoquant « la nécessité de discussions de fond sur une durée indéterminée et pas pendant une après-midi », l’UNI, Union nationale pour l’indépendance, composante incontournable du FLNKS, a renoncé à participer et n’a pas envoyé de représentant.

Tantôt à l’hôtel Matignon, tantôt rue Oudinot au ministère des Outre-mer, les représentants des autres sensibilités élues au Congrès risquent fort de naviguer à vue. Le point de départ des palabres est un document produit par les services de l’État – confidentiel jusqu’à la restitution officielle cette semaine, mais qui a « fuité » le week-end dernier sur les réseaux sociaux.

Les conséquences du « oui » et du « non

Le document est un texte technique d’une quarantaine de pages qui présente l’avantage d’aborder, point par point, les grands enjeux soumis à la controverse entre élus indépendantistes et partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France.

Les points d’achoppement et les sujets abordés (définition de la souveraineté, monnaie, citoyenneté, compétences régaliennes…) sont traités avant tout sous la forme interrogative. Est-ce à dire qu’ils font l’objet, ces jours-ci, de négociations parisiennes entre les politiques calédoniens et l’État ? Non. « À partir du 1er juin, lorsque la restitution du document sur les conséquences du « oui » et du « non » aura eu lieu, on se réserve le droit de fournir le cadre de discussions et des conclusions ou pas », tranche une source au cabinet du ministre des Outre- mer.

Sur les documents programmatiques fournis par les autorités françaises, à partir du 1er juin, il est indiqué « détails à venir », sans plus de précisions. Que sortira-t-il de ce flou ? « Avant tout le dialogue, réunir de façon tripartite les indépendantistes, les partisans de la Nouvelle- Calédonie dans la France et l’État, répond l’entourage du Premier ministre, à Paris. Le dialogue est une garantie de paix. Il est nécessaire et devra se poursuivre ultérieurement : rien ne sera probablement signé à l’issue de ce cycle de discussions et d’échange. On n’imagine pas que tout le monde sera d’accord, mais il faut poser les bases des conséquences intangibles de la fin de l’Accord de Nouméa. »

Imaginer « le monde d’après » l’Accord de Nouméa

C’est toute la difficulté à laquelle seront confrontés les responsables calédoniens, quel que soit leur bord politique : face à des indépendantistes divisés, l’État suit une ligne dure. Son objectif assumé, des mots d’une source anonyme au gouvernement, est d’« imaginer la suite du processus politique qui s’articulera avec une demande d’indépendance ou de poursuite du processus de décolonisation ».  Autrement dit : quel que soit le résultat ou même la tenue d’un troisième référendum, l’Accord de Nouméa arrivera bientôt à son terme et il faut dès maintenant esquisser les contours de l’objet qui en prendra la suite. État associé, statu quo, Kanaky-Nouvelle-Calédonie souveraine et indépendante, tous les scénarios seront abordés par les participants au format Leprédour.

D’une façon plus urgente encore, les responsables politiques réunis à Paris devront s’accorder sur une perspective pour la date du troisième référendum. Aura-t-il lieu avant ou après l’élection présidentielle de mai 2022 ? Ces questions ajoutées aux conséquences du « oui » et du « non » au référendum forment un tableau immense d’interrogations et d’objets de discussions.

« Nous allons nous impliquer, chacun à notre rôle, pour sortir de ce processus un peu binaire qui conduit à poser la même question une troisième fois d’ici la date butoir d’octobre 2022 », affirmait le député (LREM, majorité), Guillaume Vuilletet, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, mardi 25 mai. « Depuis 20 ans, on s’est demandé quelle question il fallait poser et quand la poser, lui a répondu le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu. Je forme un vœu : sortir de ce binaire un peu stérile. »

De toutes ces incertitudes émerge une seule tendance : le bilan de l’Accord de Nouméa, en termes socio-économiques, de rééquilibrage et de perspectives politiques, reste à faire.

C’est dans cet esprit que devraient participer aux discussions parisiennes les ministres de l’Économie et de l’Intérieur. Le président de la République, Emmanuel Macron, a lui aussi fait savoir qu’il se « réserve le droit de venir à la rencontre des responsables politiques calédoniens » à Paris. Là encore, que pourra- t-il apporter au débat ? C’est l’incertitude qui règne.

Elle risque fort de perdurer encore, au moins jusqu’au prochain Comité des signataires dont les services de l’État assurent qu’il aura lieu bientôt « parce que c’est nécessaire », mais sans pouvoir dire s’il se va se dérouler à Nouméa ou bien à Paris.

À Paris, Julien Sartre.