Depuis que l’Élysée a annoncé, le 27 mai, que le chef de l’État allait inviter « les parties prenantes de la Nouvelle- Calédonie à venir travailler à Paris (…) afin de parvenir à un accord partagé sur l’avenir de l’archipel », le petit monde politique hexagonal sensible au dossier calédonien – ils ne sont pas si nombreux que ça – est en ébullition et bruit de mille rumeurs.
Ça s’agite, ça cogite, ça suppute et, en définitive, ça reste encore très vague quant aux intentions des uns et des autres. Même la date, d’abord évoquée à partir de la mi-juin puis autour du 2 juillet, et le format de cette rencontre
– qui y sera convié ? quel ordre du jour et quelle durée ? – restent à caler.
Cette nouvelle séquence parisienne résulte du fait que le troisième déplacement du ministre des Outre-mer, Manuel Valls, après trois mois d’échanges en bilatérale, en plénière, en visioconférence, à Paris et à Nouméa, n’ait pas permis, lors du « conclave » qui s’est tenu à Deva du 5 au 8 mai, d’aboutir à un accord avec l’ensemble des partenaires. Le projet présenté oralement le vendredi 2 mai par Manuel Valls, dit de « souveraineté avec la France », a hérissé les élus des Loyalistes et du Rassemblement qui, immédiatement, ont fait vibrer les téléphones à Paris, à commencer par celui du président de la République.
Ils jouent clairement la carte de l’opposition entre Emmanuel Macron et Manuel Valls pour faire échouer un accord auquel ils étaient opposés dès le départ, au moins depuis que, le 30 mars, dans un premier document de travail remis aux partenaires, le ministre avait évoqué explicitement « un nouveau partage de souveraineté avec la France ».
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Y a-t-il pour autant une réelle opposition entre le président de la République et le ministre des Outre-mer ? Ce dernier a-t-il franchi les lignes rouges tracées par le chef de l’exécutif ? Les deux ont échangé à de multiples reprises avant ce troisième déplacement en Nouvelle-Calédonie. Au fil des discussions qui se sont tenues à Paris puis à Nouméa, deux options restaient sur la table : soit une nouvelle période d’une quinzaine d’années prolongeant, en quelque sorte, le statut hérité de l’accord de Nouméa, mais qui ne mettait pas un terme à l’instabilité institutionnelle, un accord a minima ; soit un accord sur un statut définitif, qui permette une stabilité institutionnelle sur le long terme.
L’un et l’autre sont en accord pour viser une solution pérenne. Pour le ministre des Outre-mer, cela ne peut passer que par un transfert de souveraineté supplémentaire, ce qu’il appelle la « souveraineté avec la France », pour gagner l’aval des indépendantistes. Le chef de l’État veut veiller à ce que le résultat des trois référendums favorables au maintien dans la République française soit bien pris en compte et recommande à son ministre de ne pas mettre sur la table, à ce stade, un document risquant d’enfermer les négociations dans un cadre contraint. Sans doute espérait-il, à ce moment, que cette dernière séquence à Nouméa permettrait de tracer la voie d’un accord qu’il pourrait finaliser lui-même en faisant revenir tout le monde à Paris. Manuel Valls, lui, défend auprès du Président qu’il faut s’appuyer sur un projet d’accord pour pouvoir passer au stade des négociations. « Il voulait un accord, il était persuadé d’obtenir un accord, il prend des libertés et déborde au coloriage », résume un proche du président de la République.
LES DISCUSSIONS SE POURSUIVENT
Plutôt que de s’appesantir sur l’échec de Deva, il convient de souligner les importants acquis engrangés durant ces trois mois d’échanges approfondis auxquels l’ensemble des partenaires politiques a pris part sans discontinuer. Un énorme travail a été amoncelé, partagé par tous, malgré les déclarations tonitruantes entendues depuis. Que ce soit sur la loi fondamentale, sur le « pacte d’union, de protection et d’interdépendance », sur la citoyenneté, la double nationalité, les compétences, la gouvernance et les institutions, mais aussi sur les questions économiques et l’avenir du secteur du nickel, les bases d’un possible accord sont à portée de main.
C’est donc à présent la volonté politique qui va primer. Depuis Deva, les discussions se poursuivent, en toute discrétion, entre partenaires calédoniens et avec les représentants de l’État, pour tenter de surmonter les blocages. Toutefois, le fait qu’à présent le dossier calédonien soit devenu un enjeu de politique nationale, sur lequel les uns et les autres tentent d’imprimer leur marque ou de tracer leurs propres lignes rouges, ne facilite pas la recherche du compromis.
Les déplacements récents en Nouvelle-Calédonie des députés (La France insoumise) Mathilde Panot et Bastien Lachaud, de la présidente des députés du Rassemblement national, Marine Le Pen, ou du député européen (Les Républicains) François-Xavier Bellamy, ainsi que les déclarations du président des députés LR, Laurent Wauquiez, menaçant de remettre en question le soutien de son parti au gouvernement si le « projet Valls » prospérait, ont donné le ton.
Cependant, les prises de position de MM. Bellamy et Wauquiez ne rejoignent pas nécessairement les réflexions engagées par ceux qui, dans les rangs de leur formation, suivent de près le dossier calédonien. Membre de la mission d’information sur la situation en Nouvelle-Calédonie de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, également composée de son président, Davy Rimane, de Nicolas Metzdorf et d’Emmanuel Tjibaou, qui a sillonné le territoire pendant plusieurs jours à la mi-mai et échangé avec de nombreux interlocuteurs, le député (LR) Philippe Gosselin pose un regard nettement plus mesuré et considère que des rapprochements sont possibles.
Du côté des parlementaires, justement, Manuel Valls a été auditionné, le 21 mai, par le groupe de contact du Sénat sur la Nouvelle-Calédonie présidé par Gérard Larcher et, le 5 juin, par son homologue de l’Assemblée nationale présidée par Yaël Braun-Pivet. Dans l’un et l’autre cas, les discussions ont été beaucoup plus attention- nées que certaines déclarations de dirigeants nationaux pourraient laisser penser. On peut cependant déplorer le nombre d’absents à ces auditions, qui montre qu’il y a encore du travail pour parvenir à mobiliser l’en- semble des groupes parlementaires sur le sujet calédonien.
MACRON ET VALLS CONDAMNÉS À S’ENTENDRE
Lundi 2 juin, le président de la République et le ministre des Outre-mer se sont de nouveau entretenus pour préparer la prochaine rencontre à Paris. D’ici là, les échanges discrets vont probablement continuer afin de déterminer si des positions peuvent évoluer, jusqu’à quel point, si des rapprochements peuvent s’opérer, si de nouveaux sujets doivent être mis sur la table. Mais, à un moment ou à un autre, il faudra bien passer à l’épreuve de vérité, de nouveau en format politique.
Un point émerge au cœur des discussions qui sont menées de part et d’autre : celui de la temporalité, de la trajectoire. Au fond, la plupart des partenaires calédoniens sont conscients que la voie du compromis, permettant de concilier la volonté d’accéder à la souveraineté pour les uns et l’ancrage dans la République française pour les autres – quand les deux aspirations ne se conjuguent pas chez certains –, est celle qui devra aboutir, d’une manière ou d’une autre, à un moment ou à un autre. Toute la question est de déterminer, si un accord se dessinait, l’échéancier de sa mise en appli- cation. Est-ce que cela doit intervenir dans l’année qui vient ? Personne ne l’imagine ni même ne le souhaite.
Dans un délai de cinq, dix, quinze, vingt ans, à l’issue d’une période transitoire durant laquelle les prochaines législatures auront pour tâche, d’abord, de travailler à la reconstruction du pays, de refonder un contrat social calédonien et de restaurer la capacité à vivre ensemble, mais aussi de mettre en œuvre l’ensemble des étapes du processus qui doivent conduire à un statut définitif ?
La voie est étroite. Chacun mesure que, en cas de désaccord persistant, tombera le couperet des élections provinciales, au plus tard le 30 novembre, avec un corps électoral inchangé. Certains veulent croire que ce scrutin ferait office de « quatrième référendum » et servirait de « juge de paix » entre les deux projets qui ont été mis sur la table à Deva. Beaucoup redoutent, au contraire, que dans un contexte social explosif, de crise économique et d’insécurité persistantes, cela ne contribue qu’à radicaliser les positions et à exacerber les tensions. C’est pour cela que, de part et d’autre, les liens sont maintenus pour tenter d’aplanir les points de divergence tant qu’il en est temps.
À l’Élysée comme rue Oudinot, on se dit convaincu que des positions peuvent encore bouger. Mais une chose est sûre : si le président de la République et le ministre des Outre-mer veulent parvenir à un résultat, ils devront marcher de pair, offrir un front uni, faire fi des frictions qui ont pu, par le passé, les opposer. En somme, pour éviter un nouvel échec, Emmanuel Macron et Manuel Valls sont condamnés à s’entendre.
À Paris, correspondance.