À bord de La Glorieuse, un chef étoilé de mer

Sur un navire de la Marine nationale, un bon repas nourrit les discussions toute la journée. Un mauvais fait parler pendant plusieurs jours. À bord de La Glorieuse, les débats culinaires durent rarement plus de 24 heures. Son chef cuistot, le second-maître Julien, est un vrai cordon bleu prêt à tout pour satisfaire les fines bouches.

Dommage que les critiques du Guide Michelin ne s’aventurent pas en mer. Ils dénicheraient un nouveau talent en montant à bord de La Glorieuse. Le dernier P400 de la Marine nationale, patrouilleur des Forces armées de Nouvelle-Calédonie qui doit être désarmé en mai, n’a rien d’un restaurant étoilé. La renommée de sa minuscule cuisine dépasse pourtant le monde militaire calédonien.

Son chef, le second-maître Julien, a l’étoffe et la toque des grands. « Il a une véritable passion pour la cuisine, loue son commandant, le capitaine de corvette Matthias Weingart. Quand le navire bouge, que tout le monde est malade, qu’il fait chaud, je suis toujours impressionné de ce qu’il arrive à faire. »

Les casseroles peuvent tomber à la renverse, les grilles du four s’envoler dans le couloir, les ustensiles valser, le Grenoblois de 38 ans fait des miracles dans sa cuisine d’à peine 3 m2. Contre vents et marées, il travaille comme dans les meilleurs établissements à terre. « Il faut tout attacher. Je me mets dans le sens où ça bascule pour suivre le mouvement du bateau. Si j’étais plus petit, ce serait plus gênant », s’amuse le marin d’1,87 m.


Le second-maître Julien est chef cuistot de La Glorieuse depuis 3 ans. / © B.B.

CERISE SUR LE BATEAU

Entre ses doigts, tout se « transforme » et « se sublime ». « J’aime réfléchir à ce qu’on peut faire avec un ingrédient. Je fais mon dressage, je travaille mes produits et j’essaye de faire du gastronomique. » Dans un classique lentilles-saucisses, le prestidigitateur change les saucisses en purée. Avec le canard d’une basique boîte de cassoulet, le perfectionniste imagine des chips. « Quand je fais à manger, je veux que les gens aient des étoiles dans les yeux, explique-t-il. Ce n’est pas toujours le cas, mais je mets tout mon amour dedans. »

Lors des réceptions officielles ou des cocktails avec des autorités étrangères, le bouillonnant cuisinier met les bouchées doubles. Il peut passer des nuits entières à préparer des pains maison fourrés au foie gras. « Au début, j’étais bluffé. Il envoie du lourd !, reconnaît le matelot Korentin, maître d’hôtel sur La Glorieuse en charge du service des officiers. Je suis toujours émerveillé par sa manière d’exprimer sa passion de la cuisine. »


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Foie gras poêlé et Saint-Jacques à la vinaigrette
d’agrumes, julienne de poireaux séchés.

 

Jamais le second-maître Julien ne concocte deux fois la même chose. Inventif, il cherche toujours à titiller les papilles avec ce qu’il a sous la main ou ce qu’il trouve en escale. Son audace ravit autant les palais des hauts gradés que ceux des ambassadeurs étrangers, parfois tentés de le débaucher. « Avoir un bon chef comme lui participe au rayonnement de la Marine et de la gastronomie française », affirme sans détour le capitaine de corvette Matthias Weingart.

Pour le capitaine de vaisseau Guillaume Montanié, commandant de la base navale de Nouméa, le second-maître Julien est « un cuisinier extraordinaire ». La crème des marins qui œuvrent au moral des équipages. « Il faut être un vrai passionné pour faire ce métier dans des conditions dures et dans une cuisine exiguë. Et lui, en plus, il a tout le temps le sourire. »

EXPLOSION DE SAVEURS

Sa gouaille ne le quitte pas parce qu’il fait tout simplement ce qu’il lui plaît : cuisiner. Une envie héritée de sa mère à qui il réclamait des cannellonis pour le goûter. Après sa disparition, l’adolescent a repris le tablier pour continuer de régaler sa famille.

La voie professionnelle restauration et hôtellerie a été une évidence, l’engagement militaire s’est imposé après des expériences dans des étoilés, notamment aux côtés de Cyril Lignac au Georges Blanc (3 étoiles Michelin à Lyon). « Je voulais voyager tout en faisant mon métier. La Marine me l’offrait. »


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Tartare de gambas au kiwi, vinaigrette à la mangue
et croustillant de feuilles de brick rosées.

 

Depuis, le second-maître Julien a dû faire plusieurs fois le tour du monde à bord du sous-marin nucléaire Le Triomphant, a cuisiné pour le préfet de Cherbourg, a servi au restaurant de la base navale de Nouméa, a vécu en Côte d’Ivoire avant de devenir coq de La Glorieuse ces trois dernières années.

Le 15 mai, il va effectuer sa dernière mission sur un autre navire des FANC, le D’Entrecasteaux. Le chef pourra ensuite essayer de réaliser son rêve. Le « but ultime » d’une carrière sur les feux des gazinières : se mettre aux fourneaux du haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie.

Après 20 ans de Marine, cette « prestigieuse » nomination ne serait pas qu’une feuille de plus à son CV. « Ça fait bien, on ne va pas se le cacher, mais c’est surtout valorisant de se retrouver cuisinier d’une autorité. » N’en déplaise aux simples terriens, tous ces fins gourmets qui ne goûteront peut-être jamais ses recettes éphémères. Le second-maître Julien n’envisage pas une seconde d’ouvrir un restaurant. Ses prouesses en cuisine ne leur laissent que l’eau à la bouche.

Brice Bacquet

Photo : En plus d’être féru d’émissions culinaires à la télévision, le second- maître Julien garde des photographies de chacun de ses plats. / © B.B.