250 entreprises perdues depuis janvier

Les coupes budgétaires avaient déjà fortement affaibli l’artisanat d’art, insiste le tourneur sur bois Erik Spinelli. (© Archives G.C.)

Chômage partiel, licenciements… L’affaiblissement de la demande frappe les artisans de plein fouet. La Chambre de métiers de l’artisanat enregistre des fermetures d’entreprises et craint une perte générale de compétences, faute d’aides massives de l’État et de solution politique rapide.

La diminution générale du pouvoir d’achat se fait sentir dans son carnet de commandes. « Dans le métier, on a carrément moins de travail. J’ai reçu quelques coups de fil dernièrement, mais les gens sont frileux, et c’est compréhensible », explique Adrien Petitperrin, plâtrier plaquiste, compagnon du devoir, pour qui les particuliers représentent l’essentiel de la clientèle.

Du travail, il en a toujours, mais encore faut-il pouvoir se rendre sur les chantiers. Habitant du Mont-Dore Sud, l’artisan prend la navette pour Nouméa, dort chez des amis toute la semaine, puis reprend la mer pour rentrer chez lui le week-end. « Les bateaux qui ont été mis en place, le fait d’avoir emmené mon camion à Nouméa sur une barge, c’est super, il faut le dire. Mais poireauter trois heures, puis cinq heures deux lundis de suite pour aller travailler, c’est une galère, ce n’est pas normal, et on ne peut pas s’y faire. On a qu’une hâte, c’est que ça se termine. »

« LES PROBLÈMES NE DATENT PAS D’HIER »

Erik Spinelli, tourneur sur bois, était monté à Koné « pour avoir la tranquillité ». D’un point de vue professionnel, il n’en a jamais eu autant. « Je peux travailler, mais les commandes n’arrivent plus qu’au compte-goutte. Des achats coup de cœur, il n’y en a pratiquement pas. Et des touristes, il n’y en a plus. » Pour gagner sa vie, il est temporairement revenu dans le domaine du bâtiment. « J’ai la chance d’avoir plusieurs cordes à mon arc. Ça m’aide à tenir. Mais globalement, il y a de quoi être en colère. »

« Parmi nos jeunes qui ne savent pas quoi faire, il y a au moins 40 % d’artisans qui s’ignorent. »

Pour les artisans d’art, « les problèmes ne datent pas du 13 mai », insiste Erik Spinelli. « Ça fait 10 ans qu’on taille dans tous les budgets, en particulier ceux de la culture », regrette celui qui, au sein de l’association Tempo, organise des formations qui ont le double mérite d’éveiller la jeunesse à la culture et au travail manuel.

« On reste un pays de mines, alors qu’il y a tellement de choses à faire dans d’autres domaines. Parmi nos jeunes qui ne savent pas quoi faire, il y a au moins 40 % d’artisans qui s’ignorent », estime le tourneur sur bois, qui constate d’ores et déjà une certaine perte de compétence dans son domaine. « On a des vieux qui sont morts sans pouvoir transmettre leur savoir-faire. Et ça risque de continuer. Pour l’instant, tant que les politiques ne veulent pas s’entendre, on est dans l’incertitude la plus totale. On ne voit pas d’avenir. »

DÉVELOPPER L’ÉCONOMIE DE PROXIMITÉ

Pour contrer (un peu) la morosité ambiante, la Chambre de métiers et de l’artisanat (CMA) a organisé, de jeudi 15 à dimanche 18 août à Nouville, le Salon des artisans. « On voulait rassembler un maximum de clients, et ça a marché. On a eu 6 500 visiteurs en quatre jours, les ventes ont été au rendez-vous, donc on est très satisfait », se félicite Elizabeth Rivière, présidente de la CMA, qui reste consciente que ce genre d’initiative conserve une portée limitée.

Depuis le 1er janvier, la Chambre a perdu 250 entreprises sur près de 11 000 ressortissants. « On assiste à une fuite de personnes qui ne voient pas d’avenir en Nouvelle-Calédonie. »

De l’État, elle espère des aides financières d’une ampleur décuplée, afin de « maintenir les compétences ». Des élus calédoniens, elle attend la solution de fond. « Il faut qu’ils se mettent autour d’une table et trouvent une réponse institutionnelle, lance Elizabeth Rivière. On a connu des exactions. Il faut entendre ce qu’il s’est passé. Il faudra réfléchir à une société certainement différente de celle qui a été la nôtre ces 30 dernières années. Le développement social a eu lieu, mais il a manqué de transversalité. On ne peut pas se voiler la face, il faut des solutions pour tous. Et je pense que l’artisanat en fait partie. Le développement économique de proximité, on y travaillait déjà avant le 13 mai, et il faudra continuer dans cette voie. »

Gilles Caprais