Une satire courageuse pour Pierre Gope

Après Ouvéa, Koné, Voh, la nouvelle création de Pierre Gope, Moi… je vote blanc a été présentée la semaine dernière au centre culturel Tjibaou. La pièce porte un regard, sans concession, sur le monde politique, indépendantiste en particulier.

Pierre Gope, dramaturge et écrivain, aime s’intéresser dans son œuvre, on le sait, aux dessous de la coutume, de la religion, de la politique, du monde kanak. À quelques mois du référendum, il s’est dit que le moment était opportun de monter une pièce sur le monde politique, celui-ci étant sous les feux des projecteurs, avec des responsabilités et des enjeux tout particuliers. La pièce Moi… je vote blanc est finalement née sur les planches au mois de mai. Il l’a écrite et mise en scène.

Il s’agit d’une satire plutôt sévère des hommes de pouvoir, inspirée de la politique locale, du mouvement indépendantiste plus précisement. L’organisation du « premier congrès du Front pour l’unité » est le prétexte d’une galerie de portraits de personnages investis à différents niveaux et interprétés par Kesh Bearune, Aman Poani, Mathieu Wachoïma et Laurence Bolé. Ces personnages ne sont généralement pas brillants, mais plutôt fourbes, manipulateurs, cupides, sots et lâches.

Dans leur monde, les retards sont légion (tout comme le cannabis), les violences (notamment contre les femmes) aussi, les intérêts particuliers priment, les idéaux sont malmenés, la cohésion est inexistante et les engagements ne sont pas forcément sincères dans la lutte qui se prépare (le référendum). Le programme du Front tient sur une feuille et dans une ridicule « boîte à outils » !

De fait, la situation est tellement désastreuse qu’elle réveille un mort, et pas n’importe lequel : Yeiwéné Yeiwéné, représentant d’une classe politique d’un autre temps, jugée plus reluisante. Sur scène, ce revenant est totalement désespéré de ce qu’il observe désormais. Mais il n’est pas le seul à s’interroger. La situation est tellement pathétique qu’elle interroge aussi certains militants, paumés, sans véritable leader, qui se demandent s’ils ne vont pas finalement voter blanc…

Illustrer

Sur la forme, on retrouve les saynètes intéressantes, affectionnées par Pierre Gope. Les décors eux, restent simples. Quelques personnages sortent particulièrement du lot dont le fameux « rasta » joué par Aman Poani qui livre une très bonne prestation. Le déroulé de l’histoire semble parfois un peu confus, mais c’est peut-être pour illustrer la « nébuleuse ». La question se pose. On peut ajouter que certaines anecdotes parleront davantage aux initiés de la politique locale… Et que la fin du texte doit a priori subir quelques ajustements…

Sur le fond maintenant, la pièce bouscule, sur les comportements, et illustre très bien le ras-le-bol actuel envers la classe politique. Heureusement, pour alléger son propos, sur ce sujet finalement très sérieux, et la violence parfois des scènes, Pierre Gope choisit d’apporter une bonne dose d’humour.

Sur le personnage du revenant, l’auteur souligne qu’il « n’aurait pas pu choisir quelqu’un d’autre ». Maréen, comme lui, Yeiwéné Yeiwéné était membre du FLNKS, de l’UC et le bras droit de Jean-Marie Tjibaou. « C’était un homme qui ne jouait pas. Un homme de conviction et d’action. » Forcément, il contraste dans cette histoire par ses valeurs, son engagement, avec les hommes qui nous sont présentés.

« Bousculer »

Pierre Gope se défend de juger qui que ce soit, de donner son avis sur ce qu’il faut voter. « C’est un regard, artistique, d’ensemble. Je ne juge personne et ce n’est pas une position. Chacun fait sa lecture ». Mais il ajoute néanmoins que l’objectif est de bousculer les consciences, notamment indépendantistes (et finalement que ce n’est pas plus mal si ça vexe). « Je pense ‘’pays’’. Il y a ce message qui consiste à dire qu’il faut que les gens ne fassent pas que réagir, mais qu’ils agissent. » Puis il commente, « c’est aussi une manière d’illustrer que la politique comme on la pratique n’est pas adaptée par certaines façons à la gestion des choses dans le monde traditionnel » et de comprendre qu’il en ressort forcément des comportements qui interrogent…

On trouve également dans la pièce un commentaire sur l’indépendance économique à laquelle Pierre Gope ne croit pas. « Je me suis positionné pour l’indépendance culturelle, mais sur l’indépendance économique, il est vrai que je pense qu’on est trop jeune. » À la fin de la production, l’auteur revient sur scène pour saluer le public et… la poignée de main. Interrogé sur cette intervention, il indique qu’il y tient parce qu’ « elle constitue, quoi que l’on vote, un espoir, un socle commun sur lequel le pays doit se reposer et qu’elle ne peut pas être perdue de vue. »

Que l’on aime ou pas, après Fin mal barrés (dont le registre est tout autre), il est bon de voir que la parole culturelle se libère sur la politique, surtout quand elle fait mal. On regrette simplement ne pas avoir eu l’occasion d’une discussion en fin de spectacle, comme cela a été le cas hors de Nouméa. La pièce, à notre avis, le mérite.

La troupe va continuer sa tournée. Le vice-rectorat n’a pas accepté qu’elle soit montrée dans les établissements scolaires. L’auteur qui parle de « censure » s’est dit « attristé » estimant qu’elle ne diffamait personne et que l’on pouvait trouver bien pire de nos jours sur internet ou dans les pièces de théâtre apprise dans les écoles. « Pourquoi ne pas laisser les artistes parler à la jeunesse ? Laissons-les faire la part des choses ! Ils sont jeunes et intelligents ! » Le vice rectorat réfute la censure. Il explique que le texte ne correspond ni à un jeune public ni au sens de l’objectivité et de la neutralité de l’école calédonienne, républicaine.

Au final, si l’on concède que la pièce peut être parfois compliquée, elle ne génère pas une seule interprétation.
Les Calédoniens peuvent sortir du spectacle en se disant qu’il faut s’investir pour la cause indépendantiste, pour changer les choses, d’autres peuvent très bien estimer au contraire que ce monde, tel que présenté, ne les intéresse toujours pas, d’autres encore peuvent simplement trouver le coup juste ou trop violent ou encore voir la pièce pour ce qu’elle est par essence : un projet théâtral et artistique… Pas pire effectivement que ce qu’on peut lire ou entendre chaque jour.

C.M. – Photo : ADCK-CCT/E.Dell’Erba

Prochaines dates

Vendredi 3 et samedi 4 août à Gomen

Jeudi 9 août au Sénat coutumier

Mercredi 15 août à Ponérihouen

Vendredi 17 et samedi 18 août au centre culturel du Mont-Dore

Mardi 28 août à La Coulée

Vendredi 31 août à Tiga