Visite présidentielle : le Sénat coutumier veut un « pardon » de l’État et la reconnaissance de l’autorité des chefferies

Alors que le programme d’Emmanuel Macron se dessine progressivement entre la Nouvelle-Calédonie et Paris, les sénateurs coutumiers demandent que le président de la République prononce un « pardon » pour les « crimes commis contre l’humanité » et une pleine reconnaissance de la légitimité des chefferies et de leurs territoires, des préalables indispensables, selon eux, au destin commun.

Les élus indépendantistes de l’Union calédonienne avaient déjà formulé au dernier Comité des signataires leur souhait qu’Emmanuel Macron fasse un « geste » symbolique en direction du peuple kanak, lors d’une visite qui tombe à l’occasion des 30 ans du drame d’Ouvéa, a priori, du 3 au 5 mai.

« Plusieurs options » avaient alors été proposées, sachant qu’une étape était prévue le 5 à Ouvéa. Mais depuis, le collectif de Gossanah s’est opposé à la venue du Président et cette question du déplacement sur l’île reste entière. En revanche, celle du geste attendu ne l’est pas. Et désormais les sénateurs coutumiers demandent officiellement à leur tour ce geste qui permettrait « un nouveau départ », une « nouvelle impulsion» pour l’avenir des Calédoniens et des relations entre la Nouvelle-Calédonie et la France, quelles qu’elles soient.

« Traumatismes »

Se défendant de faire de la politique, les représentants coutumiers s’accordent néanmoins, avec les élus indépendantistes, sur cette idée de « repentance » de l’État à l’instar, avance Cyprien Kawa, de ce que l’Australie a fait pour les Aborigènes ou du repentir national entrepris en Nouvelle-Zélande pour les Maoris.

« Le Président doit prononcer des excuses, pour les crimes contre l’humanité commis entre 1853 et 1925, période la plus violente de la colonisation et intégrer Ouvéa également. Le reste peut être qualifié autrement », détaille Raphaël Mapou. Ce positionnement serait un « bon signal », un passage par la « case départ ». « Quand on met le désordre quelque part, on vient réparer résume Gilbert Tein. Ce n’est pas parce que l’on a fait des routes, un Médipôle que tout va bien ».

« L’État s’est-il interrogé sur les traumatismes qu’il a causés ? », poursuit Raphaël Mapou avant d’évoquer « les liens qui perdurent entre les traumatismes issus de la colonisation, la ségrégation, et les problèmes actuels, les conflits fonciers, la jeunesse marginalisée, la délinquance, les comportements addictifs ».

Reconnaître l’institution coutumière 

Pour les coutumiers, cette parole en faveur du peuple originel, doit être prononcée au Sénat coutumier. Alors que le programme du président de la République n’est pas arrêté, ce serait déjà « la moindre des choses » qu’Emmanuel Macron visite l’institution. « Il n’y a pas d’autre endroit qu’ici. S’ils veulent parler, c’est ici que ça se passe », claque Gilbert Tein.

De fait, estiment-ils, cette visite doit être l’occasion, à l’heure du bilan de l’Accord de Nouméa, de s’interroger sur la place accordée à l’institution et, pour être plus précis, de « s’interroger sur les raisons qui font que le Sénat coutumier n’est pas pris en compte par les autres institutions du pays ».

« Une seule loi du pays depuis 20 ans a été prise en considération (l’office public coutumier) » et « les propositions de textes de loi et les amendements ne sont pratiquement jamais pris en compte ou débattus avec les élus du gouvernement et du Congrès », s’insurge Julien Boanémoi, qui cite en exemple les travaux effectués par le Sénat en faveur l’aménagement des terres coutumières ou encore le plan Marshall pour la société kanak.

Ce manque de reconnaissance de l’autorité coutumière s’illustre encore juge t-ils, par le modèle administratif privilégié ici, un « copier-coller de l’Hexagone » où les communes, « positionnées à l’intérieur des districts », « agissent en parallèle » « sans aucune coordination » comme si le « régime de l’indigénat continuait à sévir ».

Pour toutes ces raisons, au terme du processus de 30 ans, il leur apparaît finalement que si les infrastructures et les services publics « dignes des pays industrialisés » représentent indéniablement la « grande réussite des accords de Matignon et de Nouméa », son grand échec est « la non-prise en compte de la réalité kanak telle qu’elle se présente ».

Concrètement, les sénateurs et le conseil des grands chefs estiment qu’il est temps de « rendre » cette légitimité confisquée et que soit engagé ensuite une refondation de la structuration de la société calédonienne, en termes institutionnel, et ce, quel que soit l’avenir du territoire.

Ils avaient déjà alerté le Premier ministre, Édouard Philippe, sur cette revendication et une délégation va défendre d’ici quelques jours cette position à Paris, mais également ici auprès de tous les groupes politiques.

Sans ces deux éléments – le pardon et la reconnaissance de l’autorité des chefferies – les coutumiers ne voient apparaître aucune possibilité de communauté de destin.


Politique mémorielle

Les sénateurs ont évoqué brièvement le sujet de la politique mémorielle, qui reviendra sur le devant de la scène à l’occasion du 24 septembre, citant en exemple la sépulture d’Ataï ou encore pour les dix guillotinés d’Ouvanou. Ils réclament au Congrès un cadre pour une politique mémorielle. « Nous participons activement aux hommages aux victimes des deux guerres, le bagne a été réhabilité à 150 % et nous n’avons pas le dixième de ces crédits pour une civilisation de plus de 2000 ans. »


« Compréhension » pour le collectif de Gossanah

Un collectif regroupant des familles de victimes, prisonniers politiques et rescapés a tenu a protester fortement contre la visite d’Emmanuel Macron le 5 mai à Ouvéa et sur la tombe des 19. Ils ont dénoncé une « provocation » à l’encontre des familles des victimes et du peuple kanak en général. « Les plaies sont encore à l’intérieur de tout un chacun » a affirmé Macki Wéa sur les ondes. Les membres du collectif ont également fait part de leur mécontenement à l’encontre des membres du comité des signataires et leaders indépendantistes de « prendre encore une fois une décision sans l’avis préalable de la population d’Iaai ».

Les sénateurs disent ne pas avoir été sollicités sur ce sujet mais comprennent parfaitement cette position. « Les gens sont encore meurtris. C’était hier (…) De grands efforts coutumiers ont été effectués pour la réconciliation avec la famille Tjibaou, les gendarmes… mais qu’a fait l’Etat ? Quelles réponses a t-il apporté ? » se sont-ils interrogés.

C.M.