Un rapport accablant sur le parc de la mer de Corail

Le parc naturel de la mer de Corail est un projet de conservation emblématique largement médiatisé par le gouvernement. Le rapport d’un scientifique biologiste marin vient étriller les textes réglementaires qui vont à l’encontre des objectifs de préservation. L’autorisation des croisières de luxe dans des réserves naturelles pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur les populations d’oiseaux marins. Il questionne également sur les relations entre le gouvernement et la compagnie du Ponant.

Le parc naturel de la mer de Corail doit devenir l’emblème de la Nouvelle-Calédonie. C’est du moins le souhait du président du gouvernement qui travaille d’arrache-pied dans ce sens et a même obtenu la palme Ifrecor, à la fin du mois de novembre, qui récompense les politiques menées « en faveur des coraux et de leurs écosystèmes associés », comme le rappelle le site internet du gouvernement. Cette marche forcée pour l’instauration de ce parc géant est-elle une vaste opération de greenwashing ? Pour rappel, le greenwashing ou éco-blanchiment consiste à orienter ses actions marketing et sa communication vers un positionnement écologique.

À la lecture du rapport récemment produit par Philippe Borsa, chercheur en biologie marine à l’IRD, la réponse est assez claire. « Parc naturel de la mer de Corail : une réglementation contraire aux objectifs de préservation », le titre du document laisse peu de place au mystère. Philippe Borsa y propose une analyse critique des arrêtés adoptés par le gouvernement au mois d’août instaurant des réserves et encadrant les activités autorisées.

Le biologiste marin n’est pas le premier à tirer la sonnette d’alarme puisque dès le mois de mai 2017, l’ONG internationale Union internationale pour la conservation de la nature avait publié un avis appelant le gouvernement calédonien à adopter un plan de gestion fixant « des mesures de gestion concrètes » (…) et à « définir de façon claire et normalisée les conditions d’évaluation et d’autorisation des activités à incidence environnementale potentielle ». Les associations de protection de l’environnement dénoncent également depuis des mois le manque de prise en compte des impacts environnementaux de croisières près des récifs pristines, vestiges des récifs vierges qui font partie des derniers au monde.

Une entente conclue à l’avance ?

Il semble que tous ces appels soient restés lettre morte puisque les arrêtés du gouvernement, qui devront être complétés par des arrêtés spécifiques à chaque croisière, comportent de sérieuses lacunes comme le relève le scientifique. Sur la forme tout d’abord, Philippe Borsa analyse la fréquence des mots utilisés dans les textes réglementaires. On trouve ainsi deux fois le mot « baleine » ou encore « tortue », aucune fois les mots « serpents », « cétacés », « poissons » ou « invertébrés ». Le mot « tourisme » et ses déclinaisons sont quant à eux utilisés 79 fois. Le mot « suivi » est employé à 20 reprises sans pour autant le définir. Selon le chercheur, ni les arrêtés ni le plan de gestion ne détaillent le contenu des suivis ni même leurs objectifs. Un manque qui fait écho à l’absence de questionnements autour de l’adéquation « des moyens intellectuels, humains, matériels et financiers qui seront alloués ».

Sur le fond, le rapport pointe tout d’abord l’article 12 de l’arrêté encadrant les activités touristiques professionnelles dans le parc. L’article introduit l’idée que le dérangement doit être minimum. Plusieurs études, notamment réalisées à d’Entrecasteaux ou aux Chesterfields, montrent toutefois que la simple présence humaine a des conséquences délétères sur les populations d’oiseaux marins, particulièrement menacées et fragiles. Des travaux ont montré que pour ne pas déranger plus de 5 % des colonies, les visiteurs ne devraient pas s’approcher à moins de 118 mètres. De la même manière, « des réactions de fuite ont été observé chez 61 % des oiseaux d’une colonie de guillemots lorsqu’un paquebot de croisière passe au large à moins de 850 mètres ». D’autres observations montrent que la présence de bateaux peut également dissuader les oiseaux de pêcher. Toujours sur l’article 12, le rapport insiste sur l’importance de ne pas créer de sentiers ou d’autres équipements touristiques, comme le prévoit le plan de gestion des atolls d’Entrecasteaux. Ces aménagements représentent des menaces et va à l’encontre des recommandations de ne pas s’approcher à moins de 118 mètres.

De manière générale, les articles des arrêtés restent très flous, laissant à la libre appréciation des opérateurs des éléments comme le niveau de pollution sonore et lumineuse ou encore la distance minimale à laquelle les paquebots peuvent mouiller, sans parler des zodiacs permettant l’approche des îlots dont les moteurs sont particulièrement bruyants. Le chercheur recommande qu’avant d’autoriser des croisières, des études précises soient menées pour déterminer une distance minimale en particulier pour les oiseaux les plus sensibles.

« Une dégradation désormais programmées »

Philippe Borsa questionne également, au travers de l’article 20, la capacité des navires autorisés à venir dans le lagon qui ne peut dépasser 200 passagers. Il relève notamment que le Lapérouse, de la compagnie Ponant qui commercialise des billets depuis octobre 2017, a une capacité totale de 374 personnes*. Une croisière dans ces conditions serait donc illégale. Illégale, à moins d’être assurée d’obtenir une dérogation du gouvernement. Le chercheur s’interroge sur les raisons d’avoir retenu 200 passagers et la possibilité que les « intérêts privés de la compagnie Ponant aient éventuellement fait l’objet d’une entente préalable avec le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ».

De la même manière, la permission de laisser 50 personnes sortir du bateau et l’autorisation donnée à des groupes de 12 personnes au maximum de débarquer « ne peuvent avoir été guidées par des considérations de protection des colonies d’oiseaux ». « Il est permis de spéculer, note le chercheur, que ces chiffres aient été soufflés par l’opérateur touristique Ponant aux services du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie », les chiffres pouvant correspondre au nombre maximal de passagers qui souscriront à une excursion. « Loin des considérations de  » protection des espèces patrimoniales, rares, en danger et migratrices « , on pourrait parler de protection des intérêts mercantiles d’un opérateur touristique avec lequel une entente aurait été conclue à l’avance ».

Le prix de la biodiversité

De manière générale, les risques pesant sur les colonies d’oiseaux marins commanderaient d’appliquer le principe de précaution, comme l’a notamment rappelé l’association Action Biosphère. De fait, les arrêtés pris vont à l’encontre de la charte de l’environnement, adossée à la Constitution française. En conclusion, Philippe Borsa estime que « plusieurs arrêtés (…) contredisent l’objectif annoncé de protection des espèces patrimoniales (…). Un déclin inéluctable des espèces les plus fragiles et une dégradation concomitante des écosystèmes des atolls éloignés sont désormais programmés ». Et de souligner que les arrêtés sur Chesterfield et d’Entrecasteaux n’ont pas fait l’objet d’une étude bibliographique sérieuse et ont échappé à l’avis préalable d’un conseil scientifique. Ce dernier devait être installé mercredi, à Paris. Reste à savoir s’il parviendra à faire valoir ces arguments scientifiques dans le cadre des arrêtés spécifiques encadrant les croisières du Ponant dans les réserves calédoniennes ou si le comité sera une simple chambre d’enregistrement, tout comme le comité de gestion du parc.

Selon Martine Cornaille, la présidente d’EPLP qui siège au comité de gestion, ces arrêtés ont été réalisés sur mesure pour la compagnie Ponant. Une information qu’elle tient de la bouche même du président Philippe Germain qui lui expliquait que le gouvernement a dû adopter en urgence les arrêtés suite au lancement de la commercialisation des billets par la compagnie. Un détail qui laisse songeur quant à la gouvernance du parc, régulièrement dénoncée par les deux seules associations environnementales membre du comité. Elles déplorent notamment le fait qu’aux côtés des professionnels tels que les pétroliers ou les représentants du secteur touristique, certaines ONG ferment les yeux en échange d’une oreille bienveillante ou de financements.

Cette gouvernance ou plutôt cette absence de gouvernance pose sérieusement la question des politiques environnementales en Nouvelle-Calédonie. À la lecture de ce rapport librement consultable sur internet (http://hal.ird.fr/ird-01949190/document), ces croisières auront des conséquences pour la faune de ces atolls mais à quel prix ? Philippe Germain annonçait il y a quelques mois que les passagers de luxe pourraient débourser jusqu’à 30 000 francs chacun afin de pouvoir pénétrer ce joyau de la biodiversité mondiale. Le gouvernement estime-t-il donc le prix de la vie des oiseaux marins à 6 millions de francs ? Un appel à manifester est lancé par EPLP, samedi matin, devant le Hilton, à partir de 8 h 30, où loge le directeur du Ponant, actuellement sur le territoire pour réaliser « une croisière exploratoire » et tenter de convaincre les associations réfractaires qui seront reçues vendredi.

M.D.

 


Un faible niveau de protection

Comme le souligne le rapport du chercheur de l’IRD, le classement en réserve naturelle permet à des bateaux d’une capacité allant jsuqu’à 200 personnes de mouiller dans ces réserves, mais aussi les allées et venues d’embarcation à moteur hors-bord, le débarquement de croisiéristes sur des îlots couverts d’oiseaux marins, la pratique de paddle, de planche à voile ou encore d’optimist. Pire, le statut autorise la société Ia Ora de pêcher l’holothurie. Philippe Borsa relève que l’équipage prélève également des bénitiers, des langoustes ainsi que des poussins de fous et de frégates. Le gouvernement justifie notamment cet arrêté par la consultation publique qui a recueilli 50 avis. Certains de ces avis affichaient toutefois clairement une volonté d’une protection plus importante. EPLP a par ailleurs produit une pétition de 4 400 signatures visant à interdire les croisières dans ces atolls.