Un incinérateur qui cristallise les peurs

Un projet d’incinérateur, prévu sur la ZAC Panda, mobilise les Dumbéens. Ils sont nombreux, depuis fin de la semaine dernière, à se rendre à la mairie où se tient l’enquête publique. Devant l’afflux massif, le commissaire-enquêteur a demandé la prolongation de quinze jours et un complément d’expertise. L’incinérateur pose de nombreuses questions, en particulier sur le plan sanitaire.

L’annonce légale était passée plutôt inaperçue, tout comme la réunion d’information organisée à l’initiative de la mairie de Dumbéa. Mais force est de constater que, finalement, le projet d’incinérateur de déchets dangereux suscite bien des questionnements au sein de la population dumbéenne et plus largement calédonienne. Une pétition a par ailleurs été lancée sur le site change.org. Le mardi 3 avril, elle rassemblait déjà plus de 1 200 signatures. L’enquêteur public ne se souvient d’ailleurs pas avoir connu une telle mobilisation pour ce type d’enquête.

Traiter l’ensemble des déchets dangereux de Nouvelle-Calédonie

Le projet consiste à créer un incinérateur ayant vocation à traiter les déchets dangereux, principalement issus du Médipôle (les déchets d’activités de soins à risques infectieux ou Dasri), mais pas seulement. Il est également question de brûler un large éventail de déchets, comme les mâchefers de la SLN, des médicaments, des cadavres d’animaux ou d’autres déchets industriels, y compris des substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. À terme, l’idée est de pouvoir traiter l’ensemble des déchets dangereux produits sur le territoire. Jusqu’à présent, les Dasri, et plus généralement les produits dangereux, étaient exportés, principalement vers la Nouvelle-Zélande où ils sont traités au travers de filières bien structurées.

L’ambition de la société Promed, qui porte le projet, est d’éviter d’exporter près de 1 800 tonnes de déchets et de réaliser des économies de l’ordre d’une quarantaine de millions de francs. Le nouveau site de la société ferait passer sa capacité de traitement de 500 tonnes par an à 2 000 tonnes, mais surtout avec un traitement par incinération. La construction d’un incinérateur pose toutefois de nombreuses questions. La première est sanitaire. En France, la liste des scandales sanitaires liés aux incinérateurs est plutôt longue. L’Ademe estime toutefois qu’il n’existe pas de risque pour les populations avoisinantes en cas de fonctionnement normal.

Et c’est bien là le cœur du problème. Comme le souligne Jean-Louis Douyère, le commissaire-enquêteur, ces installations présentent un haut niveau technologique. Les inquiétudes portent légitimement sur la formation des personnes qui feront fonctionner l’installation. Selon le rapport de présentation du projet, les employés actuellement en poste à Promed seront les futurs opérateurs de l’outil et recevront une formation d’un mois. Un délai qui peut paraître court vu la technicité des équipements prévus. Les dysfonctionnements notamment observés en France qui ont conduit à des intoxications sont le fruit d’une mauvaise maintenance et de mauvaises utilisations de l’incinérateur.

Toujours sur le plan sanitaire, on pouvait entendre dans le bureau du commissaire que le dossier était suffisamment « confus » pour demander une expertise sanitaire. C’est le sens d’une demande que Jean-Louis Douyère a adressé à Philippe Michel, le président de la province Sud, qui est le seul à pouvoir commander ce type d’expertise. Si le rapport réalisé par le bureau d’étude Capse conclut que « la démarche de maîtrise des risques entreprise par Promed permet de ne pas avoir de cibles soumises à des effets létaux potentiels et de limiter les risques liés aux irréversibles », certains éléments techniques du dossier montrent que l’unité d’incinération produira des rejets liquides et aériens tels que de l’arsenic ou encore du cobalt. Des rejets qui, selon les modélisations du bureau d’études, impacteront, pour certains, des zones naturelles présentant un intérêt environnemental, l’Huîtrière de Dumbéa, mais aussi des zones habitées.

La proximité des habitations est d’ailleurs au cœur des inquiétudes. Le rapport fait état d’habitations à une distance d’à peine 500 mètres. Virginie Barreau, élue de l’opposition au conseil municipal de Dumbéa et farouchement opposée au projet, assure que des habitations sont bien plus proches en réalité. Mais de fait, un certain nombre d’entreprises jouxtent le terrain de la future installation industrielle. C’est le cas de Socalog qui stocke notamment des produits alimentaires, mais aussi de l’OPT qui va y développer des activités relativement importantes ou encore de la Chambre de métiers qui dispose de docks dans lesquels travaillent des artisans et susceptibles d’accueillir du public. Contrairement aux employés de Promed, ces salariés ne disposent pas d’équipements de protection particuliers. Selon le dossier technique, le site est soumis aux pluies près de 20 % du temps, un élément important qui empêche les fumées de se disperser et les fait retomber à terre. Au-delà des questions sanitaires, les riverains s’interrogent également quant aux nuisances olfactives. Il existe déjà des incinérateurs pour des animaux de compagnie dont l’un d’entre eux, à proximité de quartiers résidentiels, a fait l’objet de nombreuses plaintes du voisinage pour cette raison. Dans le cadre de ce dossier, aucune étude d’impact n’a pourtant été faite.

En contradiction avec la politique de réduction et de recyclage des déchets

Au-delà de la question des conséquences sanitaires ou environnementales, la construction d’un incinérateur est aujourd’hui en contradiction avec les préconisations de l’Union européenne qui recommande un moratoire sur la construction de nouvelles installations. Cette position s’inscrit dans le cadre de la promotion de la valorisation énergétique des installations. Le 1er janvier 2017, la Commission européenne recommandait pour les États qui ne disposent que peu ou pas de capacité d’incinération de développer les collectes de systèmes séparés et les infrastructures de recyclage. La construction d’incinérateurs va précisément à l’encontre d’une politique de réduction et de recyclage des déchets, comme le préconise paradoxalement la province Sud. Et pour les installations existantes, l’Union préconise d’installer des systèmes de récupération de chaleur des fumées afin de valoriser cette énergie produite ou de réintroduire l’énergie dans le processus. Un système envisagé par Promed, mais finalement abandonné car « la fiabilité technique d’intégrer l’ORC à l’incinérateur et le rendement thermique ne sont pas suffisamment garantis (…) pour que la société Promed engage des coûts d’investissement et d’exploitation ».

La procédure d’autorisation du projet soumis à la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement n’est pas terminée. Le commissaire-enquêteur a demandé un délai de 15 jours supplémentaires afin que chacun puisse faire part de ses observations. Il rendra ensuite son rapport d’observations à la province Sud qui donnera ou non son approbation au projet, sous cette forme ou assortie de recommandations.


La problématique du foncier

Les ZAC coûtent cher à la commune de Dumbéa qui doit faire face à une véritable explosion démographique. Lors du dernier débat budgétaire, l’exécutif municipal soulignait que le gel du fonds intercommunal de péréquation, qui devait permettre d’assumer une partie du déficit de l’aménagement des ZAC, générait un coût supplémentaire de 153 millions de francs. Sauf que l’aménagement ne relève pas de la commune de Dumbéa, mais bien de la province Sud. Si l’on ne peut pas préjuger de ce que sera la décision de l’exécutif provincial, le fait qu’il soit instructeur du dossier, mais aussi le responsable de l’aménagement n’est pas anodin. À l’origine, la ZAC Panda avait uniquement pour vocation d’accueillir des entreprises artisanales et des habitations. La construction de quelques maisons a été lancée rapidement sur les meilleurs lots, mais la province a décidé de changer le plan d’aménagement de la zone (PAZ) en cours de route. En 2011, le plan a été revu afin que la ZAC puisse accueillir des installations industrielles, y compris ICPE, sur une petite partie des terrains. Si on comprend le besoin de trouver un meilleur équilibre financier, la cohabitation entre résidences privées et activité industrielle est souvent compliquée…

M.D.

Tous les documents de l’enquête publique sont téléchargeables sur le site de la province Sud à l’adressesuivante: https://www.province-sud.nc/consultation-publique/installation- classee-pour-protection-lenvironnement-icpe/. Les horaires de réception du public du commissaire-enquêteur à la mairie de Dumbéa y sont également précisés.