Un forum pour mieux garder le feu à l’œil

L’Œil et le WWF organisaient, mardi 21 novembre, un forum sur les dispositifs de surveillance et de suivi des impacts environnementaux. Ce rendez-vous était également l’occasion de regrouper les acteurs afin d’améliorer la coordination de leurs actions. De nombreuses initiatives sont en cours d’expérimentation, mais une chose est sûre, la situation est largement perfectible.

La saison administrative des feux de forêt a été particulièrement catastrophique cette année. A trois semaines de sa fin officielle, la Direction générale de la Sécurité civile et de la gestion des risques a profité de l’organisation du forum pour dresser un bilan. Il est plutôt mauvais pour ne pas dire catastrophique : depuis le 15 septembre, près de 11 258 hectares incendiés ont été répertoriés, un triste record qui ne reflète pourtant qu’une partie de la réalité. Et la question des chiffres est plutôt polémique.

En début de forum, Eric Backes, le directeur de la DGSCGR, a laissé entendre que les pompiers calédoniens avaient un intérêt à ne pas déclarer les surfaces incendiées sur leur commune, comme la loi les y oblige depuis 2012. L’accusation a été accueillie plutôt vertement par des pompiers à bout de souffle après une saison administrative des feux (SAFF) particulièrement éprouvante (lire l’interview de Rémi Gallina sur notre site internet). Les chiffres de la DGSCGR sont une compilation de ceux transmis par les communes via un bulletin quotidien, un acte administratif que bien des communes ont du mal à réaliser.

Guerre des chiffres

Dans les faits, pour cette année cela se traduit, par exemple, par une commune qui a déclaré zéro feu. Un chiffre qui pourrait faire rire si le feu n’était pas un des principaux fléaux environnementaux et économiques touchant la Nouvelle-Calédonie. Pour les pompiers, nous serions plus près de 30 000 hectares brûlés chaque année. Mais au-delà de la polémique, la réalité des chiffres et leur précision sont importantes, notamment pour aider les gestionnaires à mieux définir les moyens de lutte et surtout de prévention.

Sans moyens supplémentaires alloués aux soldats du feu, il paraît peu probable que la situation évolue, d’autant plus qu’une nouvelle directive opérationnelle, publiée en août, vient de rendre obligatoire les bulletins quotidiens tout au long de l’année et plus seulement pendant la SAFF. Si la DGSCGR ne dispose pas des mêmes chiffres que l’Union des pompiers calédoniens, c’est aussi par manque de proximité. La cellule feu de la Sécurité civile passe des appels téléphoniques sans se rendre sur le terrain. Un travail que fait l’UPC, qui lui permet de récupérer les chiffres, mais aussi d’apporter son soutien aux casernes que l’Union essaie de visiter deux à trois fois dans l’année.

Ces crispations autour des chiffres traduisent un certain manque de coordination des acteurs, sans pour autant de remise en cause de la DGSCGR. L’UPC regrette toutefois que cette dernière ne s’appuie pas davantage sur les forces de sécurité civile qui existe en Nouvelle-Calédonie. Mais les acteurs municipaux doivent également être sensibilisés. La Sécurité civile donnait l’exemple de cette commune qui a sollicité récemment de l’aide alors que les flammes menaçaient la mairie. Lorsqu’on a demandé au maire depuis combien de temps le feu s’était déclaré, il a annoncé que l’incendie avait démarré… huit jours auparavant. Et c’est sans parler de l’exemple de l’île des Pins où Hilarion Vendegou, le grand chef, maire de l’île et ancien sénateur, refuse tout bonnement de payer des pompiers.

Une irresponsabilité qui a conduit à passer une convention avec les pompiers de l’aérodrome afin qu’ils puissent intervenir sur les incendies. L’exemple est d’autant plus frappant que la population se mobilise depuis 2012. Une association a été créée et regroupe une soixantaine de personnes qui viennent en aide aux pompiers. Des levées de fonds vont permettre d’acheter des équipements de protection. Cette absence complète de soutien communal est d’autant plus incompréhensible face au nombre croissant de touristes que l’impact des feux sur la réserve en eau potable est réel. Récemment, un des captages était tout simplement inutilisable suite à une pollution au nickel.

D’autres communes font des efforts, à l’instar de Houaïlou, mais force est de constater que le manque de moyens pousse les pompiers à être de simples observateurs d’une commune en feu. Ils sont 13 pour couvrir un territoire de 940 kilomètres carrés et lors des gardes, les pompiers sont deux, voire quatre, au mieux. Et ce sont malheureusement les feux qui ont été à l’origine de la coulée de boue meurtrière qui a frappé la commune il y a tout juste un an. De la même manière, sur de nombreuses autres communes, la priorité n’est pas la forêt. Les interventions des pompiers sont généralement conditionnées par la protection des personnes et des biens. La protection du patrimoine naturel, qui peut d’ailleurs également être un patrimoine culturel, n’est pas la priorité même si les soldats du feu sont de plus en plus sensibilisés à la question.

Protéger les personnes, mais aussi l’environnement

Des travaux réalisés en partenariat avec l’association Endemia et le WWF ont abouti sur des cartes des espèces menacées, permettant aux pompiers d’essayer de les préserver, dans la mesure du possible, lors de leurs interventions. La DGSCGR dispose également d’un outil cartographique informatisé qui donne la possibilité d’afficher différents fonds de cartes en fonction des centres d’intérêts. Il y a, par exemple, les habitations, mais aussi les zones de protection des eaux et la flore menacée qui toutefois faire l’objet d’actualisation régulière. Là encore, une meilleure communication et davantage de partage des données pourraient permettre de faire avancer la situation.

Si ce n’était pas l’objet du forum, plusieurs participants ont rappelé le rôle essentiel de la prévention et de la sensibilisation pour éviter les feux. WWF, qui travaille en partenariat avec les coutumiers de la tribu de Gohapin depuis 2008, a pu mesurer le changement. Après des années de restauration et de sensibilisation, un dispositif de surveillance est réalisé depuis trois ans pour mesurer l’impact environnemental des « petits feux » qui ne sont même pas comptabilisés. En une dizaine d’années, le WWF estime que la surface brûlée chaque année a pu être divisée par quatre. Les observations ont néanmoins montré que sur les trois dernières années, sur les 8 000 hectares de la tribu, près de 600 sont partis en fumée.

Si on laisse généralement les petits feux sans intervenir, leur accumulation et leur répétition ont un impact notable sur les écosystèmes, en particulier en période de sécheresse pendant lesquelles les forêts sont moins résistantes aux incendies. Si la solution peut paraître paradoxale, elle fonctionne. C’est du moins ce qui a pu être observé sur Gohapin. Pour contrer un feu, on peut utiliser un contrefeu. Mais cette pratique demande des connaissances importantes que des vieux possèdent encore, mais qui on tendance à disparaître, estime Hubert Géraux, le représentant du WWF. Pour Thomas Ibanez, auteur d’une thèse sur les écosystèmes calédoniens face aux incendies, l’écobuage n’est pas forcément à proscrire. Au contraire, il estime que la pratique devrait faire l’objet de formation et d’encadrement pendant les périodes à faible risque afin de réduire le carburant, les graminées et autres pailles notamment, qui permet aux incendies de se propager et de prendre l’ampleur.

 


Une vue au sol et dans l’espace

En matière de surveillance, le dispositif des guetteurs, en dehors de la surveillance aérienne, est le plus efficace. Il fait pourtant encore l’objet d’expérimentations. Ces auxiliaires de sécurité civile, âgés de 18 à 25 ans ont pour missions de réaliser de la prévention sur les risques majeurs et de guetter les feux de forêt. Sur les 71 auxiliaires, 43 sont guetteurs et ont été répartis sur 22 communes en fonction des besoins exprimés par les exécutifs communaux. Certaines, comme Lifou ou Maré, ont fait le choix de la prévention, d’autres ont des points hauts d’observation qui permettent d’avoir une vue dégagée et de repérer les feux le plus tôt possible de manière à raccourcir les délais d’intervention. Des analyses commencent à être effectuées de façon à pouvoir superposer des cônes de visibilité et s’assurer ainsi qu’un territoire sera couvert au mieux par les observations. C’est notamment le cas des guetteurs mobiles de la province Sud sur la plaine des Lacs, surveillée dans le cadre de l’inscription à la convention Ramsar.

La télédétection par satellite est également de plus en plus utilisée. L’Œil développe notamment un outil informatique permettant de traiter automatiquement des images satellitaires avec les zones incendiées assez précises. L’outil est utile pour définir les surfaces brûlées, mais aussi l’évolution des sinistres. Seul bémol de cet outil dont les performances s’améliorent régulièrement, il fonctionne mal en cas de couverture nuageuse.

Entre les deux, il existe un dispositif de surveillance aérienne qui associe autant les pilotes civils que militaires. Ils signalent régulièrement à la DGSCGR les foyers qu’ils survolent.

La province Sud a également commencé un travail de définition de périmètre de plan de massif sur des zones à fort potentiel de biodiversité, notamment sur la montagne des Sources. L’idée est de définir des zones à protéger prioritairement en fonction des espèces remarquables ou menacées. Un travail qui prend tout son sens si l’on écoute les discours autour de la richesse de la biodiversité calédonienne qui est pourtant encore relativement peu protégée.


Mettre en œuvre des réserves de sécurité civile

Les communes et les collectivités telles que le gouvernement peuvent désormais mettre en place des réserves de sécurité civile. Il s’agit de personnes mobilisables en cas de catastrophe naturelle ou d’incendie important. Ce dispositif assure une couverture de responsabilité civile pour ces personnes qui viennent en soutien des pompiers. Pour le moment, seule la commune du Mont-Dore s’est engagée à mettre en place une telle réserve.


Un nouvel outil d’alerte

L’Œil va bientôt lancer un nouvel outil d’alerte. Lorsqu’un incendie sera signalé par télédétection, un courriel sera envoyé aux personnes abonnées et concernées par le feu. L’idée est que les personnes soient informées en fonction de la zone géographique, mais aussi de différentes thématiques d’intérêts comme les aires protégées ou encore les périmètres de protection des eaux. De manière plus générale, le forum a montré l’importance de resserrer les liens entre les acteurs. Certains ont, par exemple, découvert que des chercheurs travaillaient sur un outil informatique permettant d’anticiper les évolutions d’un feu. Un outil qui s’avérerait bien pratique pour les sapeurs-pompiers.