Turbulences au CHT

Le Médipôle traverse actuellement une situation délicate dénoncée par les équipes médicales et notamment le nouveau syndicat du service public hospitalier. Un conflit qui n’est pas nouveau et fait ressortir de fortes tensions entre les équipes médicales et la direction. Alors que les équipes s’alarment de la fermeture de services, la direction assure que sa mise en cause est infondée et diffamatoire.

Après avoir ouvert il y a un peu plus de deux ans, le Médipôle traverse aujourd’hui une zone de turbulences. Même une nouvelle zone de turbulences, car des péripéties, le nouvel hôpital public en a déjà rencontré dans sa courte existence. En 2017, une intersyndicale avait été créée et réclamait la démission du directeur du CHT, Dominique Cheveau. À l’époque, les équipes médicales, médecins en tête, dénonçaient des propos diffamatoires, du harcèlement ou encore des maltraitances. Dominique Cheveau avait bien cherché à quitter le CHT, mais sans succès.

Au-delà de la personnalité du directeur, l’intersyndicale réclamait notamment la transparence sur l’enveloppe budgétaire allouée aux effectifs, comme cela avait été voté par le Congrès et des décisions prises de manière unilatérale, contre l’avis de la commission médicale d’établissement. Les médecins s’inquiétaient déjà du fait que la direction retirait des postes alors même que l’activité du Médipôle était amenée à croître de manière importante.

Le mouvement d’aujourd’hui, porté par le jeune syndicat du service hospitalier public, trouve ses racines dans ce premier conflit. C’est du moins l’avis d’un des deux médecins pointés du doigt par la direction. Cette dernière remet notamment en cause la crédibilité de deux médecins, accusés d’être à l’origine du mouvement suite à des sanctions. Reste qu’il est largement soutenu par de nombreux autres salariés du CHT qui reprochent notamment à la direction d’avoir enterré le protocole d’accord signé en septembre 2017 et qui avait mis fin à la grève.

Les spécialités en difficulté

Le communiqué du syndicat dénonce notamment la dégradation de l’offre de soins dans le nouvel hôpital. Les services de dermatologie, d’allergologie ou encore d’urologie ont tout simplement disparu des écrans radars. Si la pneumologie et l’oncologie font toujours partie des services présents sur le site internet, le syndicat assure qu’ils ne fonctionnent plus. L’angiologie a également quitté le navire. La cardiologie n’est pas non plus au mieux. Le sous-effectif chronique implique une grande précarité et une régulière mauvaise prise en charge acceptée. Une situation proche de celle que rencontre l’ophtalmologie.

De manière plus générale, les médecins insistent sur le turn-over très important, illustrant leurs propos avec les nombreux départs en cours. « Le recrutement est défaillant, les conditions de recrutement dépassées, la gestion humaine défaillante, la vision de l’hôpital futur est myope », martèle le syndicat. Un cadre de soins parle même de management médical et paramédical « par la terreur » et la délation. La liste des récriminations est longue, mais on y trouve pêle-mêle le détournement de l’utilisation des fiches d’événements indésirables à des fins de règlement de comptes. La direction rétorque que les patients sont toujours soignés, notamment grâce à la complémentarité avec la clinique privée. Il reste que ce n’était pas le projet initial de l’hôpital qui devait assurer la cancérologie.

Autant de dysfonctionnements qui ont des conséquences bien concrètes pour les équipes médicales et les patients. Comme le rappelle le syndicat, un audit sur les risques psychosociaux, réalisé en mars 2017 auprès des agents du CHT, a montré qu’il existait un risque de suicide de 3 % parmi le personnel. Un risque équivalent à celui de France Télécom qui avait défrayé la chronique en Métropole il y a quelques années.

Pour les patients, les médecins dénoncent la mise en place d’une médecine à deux vitesses. Le « dépeçage » des soins spécialisés au sein du Médipôle engorge les cabinets des spécialistes libéraux et rend d’autant plus difficile l’accès aux soins pour les patients les plus démunis, sans prise en charge Cafat. Une médecine à deux vitesses qui touche également les malades du Nord notamment liée au manque de coordination entre le CHT et le CHN et l’absence d’inter-opérationnalité des dossiers. Pour illustrer les conséquences du manque de soins spécialisés, le syndicat avance une recrudescence importante de cas de lèpre à Bélep et aux Loyauté.

Des accusations diffamatoires ?

La direction a réagi très rapidement après la diffusion du communiqué du syndicat qu’elle estime diffamatoire en regrettant que « des médecins sanctionnés pour des motifs graves critiquent et mettent en péril le bon fonctionnement du centre hospitalier en mettant en cause les compétences et l’organisation de l’ensemble de la communauté hospitalière, dans la prise en charge des patients. La direction et la présidente du CA réaffirment leur vigilance pour le bon fonctionnement et la continuité des soins et mettent en permanence tout en œuvre pour trouver des solutions adaptées ». Si le syndicat se montre très critique, il ne met toutefois pas en cause le professionnalisme des équipes médicales dont la baisse de qualité des soins par le manque de moyens et d’organisation. Le communiqué sera diffusé dans son intégralité sur notre site internet.

Concernant le manque de personnel, la direction souligne que les postes vacants font l’objet de procédures de recrutement actuellement en cours et consultables sur le site internet du CHT. Elle précise que les difficultés de recrutement sont notamment liées à des « tensions » sur le marché des praticiens, trop peu nombreux, ce qui est tout particulièrement le cas des spécialistes. Une interprétation que ne contredit pas le syndicat qui estime toutefois que le statut du personnel hospitalier calédonien obsolète et la mauvaise réputation de l’établissement dissuadent encore davantage les éventuels postulants.

Après les critiques, le SPH fait plusieurs propositions pour améliorer la situation. Il propose en particulier de travailler sur la coordination intra et extra-hospitalière ainsi que sur la continuité des soins, le changement de gouvernance, l’évaluation des pratiques médicales et de la pertinence des politiques publiques et la réforme du statut du personnel hospitalier. Autant de propositions sur la table qui resteront à négocier avec la direction, mais également les responsables politiques, les pistes proposées s’inscrivant pour certaines dans le cadre de la mise en œuvre du plan de santé Do Kamo.


Mettre en œuvre Do Kamo

Le syndicat du service public hospitalier souhaite voir appliquer le plan Do Kamo et plaide pour l’adoption de taxes comportementales sur le sucre, par exemple, mais également l’alcool. Si le gouvernement a décidé d’appliquer un taux de 22 % sur l’alcool, le rendement fiscal tombe dans le budget général et n’est donc pas consacré dans sa globalité à la prévention. La taxation de l’alcool par la TGC est par ailleurs hypocrite dans le sens où la bière locale est taxée à seulement 3 % limitant du même coup l’impact de l’augmentation des prix pour lutter contre les consommations excessives. Dans la même logique, le SPH recommande « d’appuyer à fond les actions de prévention » qui sont aujourd’hui peu nombreuses et peu efficaces.

Il est également souhaité, dans l’esprit du plan Do Kamo, qu’une pharmacopée calédonienne soit annexée à la pharmacopée française et européenne et qu’un minimum de formations sur les spécificités culturelles océaniennes soient dispensées au personnel soignant. Le syndicat demande à ce que davantage de moyens soient alloués à ce volet.


Du sursis pour la clinique Kuindo-Magnin

L’ouverture de la clinique avait été marquée des tensions entre le gouvernement et les actionnaires. Le gouvernement estimait que ces derniers étaient trop gourmands et demandaient des loyers trop élevés nécessitant une revalorisation trop importante des actes pratiqués. Début août, un accord avait pu être trouvé permettant à l’établissement privé réunissant les trois cliniques calédoniennes d’ouvrir normalement en fin d’année 2018. Malgré cet accord et face à de grosses difficultés financières, la clinique Kuindo-Magnin a saisi le tribunal mixte de commerce de Nouméa.

Le 22 janvier, ce dernier a décidé de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure de façon à laisser le temps aux acteurs de trouver une alternative à la mise en cessation de paiement de la clinique. Une nouvelle négociation devra avoir lieu entre le gouvernement et les actionnaires, en particulier sur l’équilibre des loyers et de la revalorisation du prix des actes. La prochaine audience est fixée au 18 février. En attendant, la clinique continue d’accueillir et de soigner normalement ses patients.

M.D.