Sexualité et handicaps : le droit d’aimer

Le Collectif-handicaps de Nouvelle-Calédonie accueille ce mois d’octobre Catherine Agthe Diserens, sexo-pédagogue suisse, spécialisée dans le handicap. Une centaine de personnes, essentiellement des professionnels de santé ou du social, vont recevoir une formation sur cette thématique souvent ignorée, et pourtant essentielle, de la vie affective, intime, des personnes en situation de handicap.

Que le chemin et long et sinueux dans la prise en compte des droits fondamentaux des personnes handicapées. Heureusement, le monde évolue, les mentalités également, et l’on commence à « voir plus loin » que les infirmités ou les maladies, à reconnaître les individus à part entière. On parle désormais du travail, des transports, de l’accessibilité (et il reste évidemment beaucoup à faire) mais il est un sujet dont on parle peu en public ou dans les médias : l’intimité de ces personnes.

Le sujet est tabou, de manière générale d’ailleurs, mais il l’est encore davantage lorsque l’on parle de handicap. « On a longtemps estimé que ces droits ne les regardaient pas, soulève Catherine Aghte Diserens, spécialiste internationalement reconnue. On va parler des soins dentaires mais pas de sexualité. Parce que se laver relève d’un soin. Le reste, du plaisir. » Pourtant, rien n’est moins légitime et il est essentiel, dit-elle, de considérer que nous sommes tous, autant que nous sommes, des êtres sexués, avec parfois des envies, des pulsions, une puberté, des « élans du cœur et du corps ».

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Spécialiste reconnue, Catherine Aghte Diserens intervient depuis 18 ans dans ce domaine. Elle est également formatrice pour adultes et présidente de l’association suisse Sexualité et handicaps pluriels.

«Du cœur au corps »

Dans le cadre de ces formations destinées aux professionnels des soins, thérapeutes, accompagnants, institutions, personnes en situation de handicap, bien sûr, et à leurs parents, Catherine Aghte Diserens évoque la problématique au sens large : les bases et les grands enjeux de la sexualité humaine, les droits sexuels, puis les enjeux pour les personnes handicapées, les différentes barrières qui se posent selon les handicaps, mais également les conditions d’intimité dans les institutions, le respect de la pudeur des personnes placées ou encore les différences culturelles face à la sexualité.

Le sujet est complexe mais « si chaque situation est singulière, dit-elle, il y a des dénominateurs communs à presque tous les handicaps : le corps n’est pas souvent un moyen d’expression et la privation du droit fondamental au plaisir et à l’intimité creuse la solitude, le mal-être ». Certaines personnes ne peuvent pas trouver de plaisir seul ou alors se font mal, certaines ont des difficultés à être au contact des autres, d’autres encore aimeraient trouver l’amour ou de la tendresse mais n’y parviennent pas. Pour beaucoup le désir est réprimé et on est bien souvent davantage dans le domaine de la privation plutôt que de la frustration.

Résultat, cette privation va pouvoir générer un enfermement, une dépression, des attitudes particulières et parfois se retourner contre soi. Mais il arrive aussi, dans certains cas, que cette énergie naturelle, lorsqu’elle est empêchée, soit sublimée autrement par d’autres activités ou par la création. Il arrive aussi qu’il n’y ait pas d’envie du tout ou que les personnes renoncent en le vivant très bien. Mais dans tous les cas, on tend à ce que les individus concernés et leurs familles puissent comprendre les enjeux et obtenir des réponses aux questions qu’ils se posent.

Réponses multiples 

Évidemment, selon le poids du handicap, il sera plus ou moins difficile de trouver des solutions. La question de la sexualité ne va pas concrètement se poser de la même manière pour un autiste ou un paraplégique. « Pour une personne qui ne sent plus rien en dessous de la taille, il va falloir imaginer comment retrouver du plaisir, des sensations autrement, dans le haut du corps, par les massages, par exemple. Parce que tout n’est pas sexuel et tout n’est pas amoureux non plus, loin de là », ajoute Catherine Aghte Diserens. Aux personnes handicapées mentales qui demandent à savoir comment on fait l’amour, on peut montrer des images. Aux handicapés physiques, comme les myopathes, on peut conseiller des gadgets sexuels. À d’autres, peut-être des traitements.

L’idée essentielle, insiste la spécialiste, est qu’il ne faut surtout pas se substituer aux personnes ou devancer leurs envies. Mais « observer où elles en sont et imaginer quelles réponses apporter ». À l’échelle de la société enfin, il faut garder à l’esprit que « les représentations sociales négatives bloquent les possibilités de rencontre et d’expression affective et/ou sexuelle ». Les peurs et les freins de la société contraignent alors les personnes à évacuer la question ou à la développer dans la déception, la honte et la culpabilité. « C’est la société dans son ensemble qui doit continuer à évoluer. Car tout est lié : le regard sur les personnes handicapées, l’accompagnement, l’accessibilité pour pouvoir se déplacer, sortir et se sentir mieux socialement, jusqu’à l’intimité ».

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 Il est important de différencier les handicaps en matière de vie affective et sexuelle.

Des assistants sexuels dans d’autres pays

Depuis quelques années déjà, et au nom du droit à la sexualité pour tous, plusieurs pays comme la Suisse, les Pays-Bas, l’Italie, le Danemark ou encore l’Allemagne ont légalisé le métier d’assistant sexuel pour personnes handicapées. Ces assistants suivent une formation pour apprendre à connaître les corps, différents ou paralysés, à guider leurs gestes ou leur apporter de l’attention si cela n’est pas possible.

Ce « service » est uniquement destiné à ceux qui le demandent et l’objectif est de raviver leur plaisir, sensuel, érotique ou sexuel. En France, cette pratique est assimilée à de la prostitution et fait toujours débat. Mais les prises de position ont cela de positif qu’elles relancent systématiquement les réflexions sur la sexualité des personnes dépendantes.

De nombreuses organismes, dont l’Association des paralysés de France et le Conseil national consultatif des personnes handicapées, travaillent sur le sujet et une première formation a eu lieu France en 2015 par le biais de l’Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (Appas), mise en place par Marcel Nuss, essayiste français, lui même plurihandicapé et qui a tiré un livre de ses expériences Je veux faire l’amour.


À LIRE

Sexualité et handicaps : Entre tout et rien par Catherine Agthe Diserens

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Ce livre a été écrit « de manière personnelle et accessible », à destination du grand public : novices, professionnels, personnes en situation de handicap, familles… Catherine Agthe Diserens met en avant des réflexions et des exemples concrets, autour de la sexualité, du corps, du cœur et de l’esprit, de la personne en situation de handicap. Une sensibilisation large sur le sujet.

À VOIR

Corps dérangeants par Jérome Deya

Le photographe Jérome Deya a voulu montrer avec sa serie « Corps dérengeants » que la sensualité appartient à tout le monde.

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Documentaires : 

Indésirables de Philippe Barassat

Un conte moderne, au parti pris militant clairement assumé, qui dénonce la misère sexuelle de bon nombre de personnes en situation de handicap.

Sexe amour et handicap de Jean-Michel Carré

Atteintes de maladies dégénératives, handicapées moteur ou déficientes intellectuelles, la plupart des personnes en situation de handicap vivent leur condition comme un obstacle au plaisir. Comment assouvir leurs désirs et envisager une relation amoureuse quand, des simples citoyens aux responsables politiques, tous nient leurs besoins vitaux ?

Sexe et handicap le dernier tabou de Marie Pierre Raimbault

Alors qu’en France la sexualité des personnes handicapées reste un sujet tabou, certains revendiquent la reconnaissance du statut d’assistant sexuel.

 

C.Maingourd 

©C.M/DR/Jerome Deya