Premier bilan de la politique agricole en province Sud

Agriculture à La Foa

Il y a un peu plus de deux ans, la province Sud votait la mise en œuvre d’une nouvelle politique agricole ayant pour objectif l’autosuffisance alimentaire. Après un an et demi de mise en œuvre, l’exécutif a souhaité faire un bilan qu’il a présenté à Bourail, le mercredi 18 juillet.

Les enjeux sont colossaux. L’agriculture est tout simplement ce qui nourrit une population. Dans le cas calédonien, cette assertion n’est pas tout à fait juste. Si l’on considère le taux de couverture agricole, la production du territoire permettait tout juste de couvrir 15 % des besoins de la consommation de ses habitants en 2014. Un chiffre relativement faible qui avait conduit à redéfinir les ambitions de la politique agricole de la province Sud. Le nouvel objectif fixé est de tendre vers l’autosuffisance alimentaire. À l’horizon 2025, la production agricole devrait être en mesure de couvrir 85 % des besoins en viande de bœuf, contre 62 % en 2014, 30 % en ce qui concerne le poulet de chair, contre 8 % en 2014 et 75 % en matière de fruits et légumes contre 58 %.

Pour parvenir à enrayer l’atrophie progressive de l’agriculture calédonienne, la province Sud a actionné quatre leviers : le foncier, la structuration des filières, l’optimisation des soutiens publics et l’appui aux investissements. Une politique qui a reçu le soutien du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en la personne de Nicolas Metzdorf qui avait contribué à la mise en œuvre de la politique publique agricole provinciale (PPAP). Ce soutien s’est notamment traduit par le portage de la loi sur les baux ruraux.

Des résultats encourageants, mais un niveau de dépenses élevé

En un peu plus d’un an et demi d’application de la nouvelle politique, la province met en avant l’évolution du taux de couverture qui a gagné à peine 3 % pour atteindre aujourd’hui les 18 %. Pour Philippe Michel, le président de la province Sud, si ce taux reste modeste, il reflète une « progression importante ». Il faut dire que la province Sud n’a pas lésiné sur les moyens pour donner un coup de boost au monde agricole. Selon l’administration, la dépense publique a été multipliée par deux et demi depuis la mise en place de la PPAP.

Cet effort conséquent a produit des effets encore mitigés. Pour les céréales, les résultats sont plutôt positifs. Entre 2013 et 2017, la filière a vu sa production augmenter de 127 %. La Calédonie est désormais quasi-autosuffisante en matière de maïs grain. De nouvelles productions sont en cours de lancement : sorgho, soja et riz dont les premiers grains devraient être écoulés sur le marché dès l’année prochaine. Un boom rendu possible par des investissements lourds pris en charge par la collectivité, la mise en commun de certains moyens de production et l’accompagnement des professionnels sur de nouvelles techniques de production.

En ce qui concerne la production de fruits et la filière bovine, il est encore trop tôt pour mesurer les effets de la nouvelle politique. Il faudra probablement encore attendre trois à cinq ans avant de pouvoir observer les mesures de soutien à ces productions. De la même façon, l’élevage de poulets de chair devrait connaître une petite révolution dans les deux années à venir. La province Sud a changé son fusil d’épaule en ayant recours à des appels à projets.

Encore du travail

Cette nouvelle méthode a permis de trouver des investisseurs pour lancer une nouvelle gamme de poulet, entre le poulet fermier et le poulet importé bas de gamme. L’idée est de produire environ 1 000 tonnes par an de petits poulets de 1,2 kg à un prix raisonnable, substituable au poulet congelé d’import (on importe environ 11 000 tonnes de ces poulets). Cette filière devrait être complètement intégrée en intéressant les producteurs à toutes les étapes de la chaîne, de la production des grains à la transformation en passant par l’abattage (un projet porté par Promosud est en cours sur Boulouparis).

Le premier appel à projets a permis de retenir quatre candidats, ce qui porte le nombre d’éleveurs de la filière à 16. Les premiers lots de ces poulets (environ 250 tonnes) devraient être commercialisés courant 2019. Le principe de l’appel à projets a également été retenu pour la filière fruits, ainsi que pour l’agriculture familiale. Ces produits qui échappent au circuit marchand représentent tout de même près de la moitié de la production marchande. Et c’est le soutien de la province à cette « branche » de l’agriculture via les appels à projets (75 projets agréés en 2017 et 80 déposés en 2018) qui a permis à l’exécutif d’obtenir l’équilibre politique nécessaire à l’adoption de la PPAP.

En matière de structuration des filières, la province Sud a également apporté son soutien à la création de la Coop1. Ayant démarré son activité en juillet 2017, elle doit permettre d’améliorer la planification des productions, de la logistique ainsi que de la prospection commerciale. Cette solution semble prometteuse, mais les producteurs qui ont rejoint la Coop1 sont encore peu nombreux, ce qui limite du même coup sa portée. On notera également que la politique agricole ne prend pas en compte la restauration hors foyer, autrement dit la restauration collective. Ce marché pourrait pourtant constituer un levier de choix, sûr et fiable du point de vue de l’écoulement, pour augmenter les productions dans leur ensemble. Les services devraient commencer à travailler sur ce « troisième » marché.

Si Philippe Michel est plutôt satisfait de la direction qu’emprunte l’agriculture et des premiers résultats de la PPAP, il exprime toutefois quelques inquiétudes vis-à-vis de l’écart qui risque de se creuser encore davantage entre les provinces Nord et Sud. Si les collectivités parviennent à travailler sur quelques dossiers, on touche bien là aux limites de l’exercice. Les différences de politique publique vont renforcer les déséquilibres aussi bien économiques que sociaux entre les provinces et porter préjudice aux politiques de rééquilibrages engagées ces dernières années.


La problématique des légumes

Les chiffres laissent penser que le maraîchage se porte plutôt bien. Entre 2013 et 2017, la production a progressé de près de 35 %. Une progression importante qui s’est paradoxalement accompagnée d’une forte hausse de prix. Le bénéfice pour les ménages les plus modestes est donc plutôt limité. Entre 2013 et 2017, le prix des légumes a progressé de plus de 5 %, d’après les chiffres de l’Isee et en dehors des variations de prix saisonnières qui sont bien plus importantes. Si l’on prend la période 2010-2017, le prix des légumes a littéralement bondi de 17 %. L’interprofession fruit et légumes (Ifel), un peu sur le principe de la Coop1, devait permettre de fluidifier la production et donc limiter les variations de prix. En réalité, ce rapprochement de producteurs n’a jamais vraiment fonctionné. La prévision des productions est encore très difficile et engendre des pénuries et des flambées de prix.


Les grands chantiers

Quelle que soit la production agricole, il faut de l’eau. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le territoire en a manqué ces dernières années, du moins à certaines périodes. La province va réaliser un important aménagement au niveau de la Ouenghi afin d’irriguer 350 hectares. L’investissement de 850 millions de francs, prévu dans le cadre des contrats de développement, nécessitera la pose de 11 kilomètres de conduites et sera en mesure de transporter près de 20 000 mètres cubes d’eau par jour. Ce projet situé sur la région de la Ouaménie s’inscrit dans le cadre du développement de la filière céréalière, mais pourrait également servir la production de fruits et de poulets.

M.D.