« Nous sommes soumis au marché »

La situation de l’industrie du nickel est délicate. Les cours relativement bas sur le marché international font perdre de l’argent à l’ensemble des acteurs calédoniens qui sont peu compétitifs. Petit tour d’horizon du contexte et des perspectives avec Édouard Léoni, docteur en droit et ancien conseiller nickel au gouvernement.

DNC : Pouvez-vous nous décrire la situation dans laquelle se trouve l’industrie du nickel de manière générale ?

Le contexte est le suivant : les cours du nickel se sont effondrés entre 2007 et 2012, avec un approfondissement en 2017. On est passé de cours très élevés, avec un pic exceptionnel qui a duré un an, à 50 000 dollars la tonne, à des niveaux plus raisonnables. En 2012, on a chuté véritablement et aujourd’hui, nous sommes à 10 000 dollars la tonne, voire 9 000 dollars la tonne. Pourquoi en sommes nous là ? Au niveau international, un nouvel acteur est apparu, la Chine. Elle a influencé à la baisse le cours des matières premières. En clair, les Chinois ont acheté des surstocks entre 2000 et 2009 qu’ils ont engrangés dans leurs ports, en particulier auprès de l’Indonésie et des Philippines. C’est ce sur-approvisionnement de nickel qui a ensuite fait chuter les cours. En même temps, l’économie s’est ralentie avec les deux crises, celle des matières premières en 2007, puis celle des actions en 2008.

Au niveau local, le problème réside dans l’absence de stratégie off-shore et in-shore, pour des questions de divergences politiques, ainsi que dans le manque de préparation des finances publiques aux variations des cours. En clair, en 2009, quand le gouvernement a décidé de plafonner le Fonds nickel à deux milliards de francs, on s’est rendu à l’évidence qu’il y avait une absence d’anticipation plus que claire du gouvernement. À l’époque, certains élus considéraient que le nickel était un secteur prioritaire, mais que les finances publiques ne pouvaient pas être concernées par une chute des cours.

DNC : Aujourd’hui, l’ensemble des acteurs calédoniens perdent-ils de l’argent…

La question se pose quand l’IEOM dit que l’on enregistre une croissance des exportations en volume. Oui, c’est vrai, mais à quel prix ? On exporte plus, mais on perd de l’argent. Est-ce que c’est une stratégie de perdre de l’argent ? Non, mais ils préfèrent perdre de l’argent pour conserver un minimum de niveau de vie. S’ils ne vendent pas, ils ferment les portes. Lorsque j’étais au gouvernement, j’ai proposé deux idées. La première était de consolider les comptes des collectivités et de leurs participations dans des sociétés. L’avantage était de pouvoir mesurer le risque financier pour la collectivité en cas de faillite d’une des sociétés, par exemple. La deuxième idée que j’avais avancée était de créer une organisation des pays exportateurs de nickel de façon à parler d’une seule voix face à la Chine. Nous avons participé à une mission technique à Djakarta, en Indonésie, avec un responsable de la Dimenc. Tous les ministres que nous avons rencontrés étaient d’accord. Tous. Le projet n’a malheureusement pas été au bout parce qu’il était porté politiquement par un indépendantiste. Il y a un vrai manque de maturité de nos élus. Aujourd’hui, nous sommes soumis au marché et, plus précisément, au principal acteur qui est la Chine.

J’ai eu une conversation avec Kenny Ives, le directeur du département nickel de Glencore. Il m’a expliqué que les sociétés métallurgiques sont dans une situation de survie. À l’image du marathon, les sociétés sont arrivées au trentième kilomètre qui est connu pour être un mur. Nous sommes dans la situation où tout le monde se regarde pour savoir qui va tomber en premier. En matière de coûts de production, les usines calédoniennes sont vraiment très mal placées, même si elles ont amélioré leur compétitivité ces derniers mois.

DNC : Le risque de fermeture d’une des trois usines est-il crédible ?

En 2016, on parlait déjà de KNS. Mais des trois, la plus faible est Vale NC. C’est celle qui a les coûts de production les plus importants. Il reste à savoir si les chiffres qui sont publiés ici et là sont vrais. Il se dit aussi que la SLN pourrait être en cessation de paiement avant la fin de l’année, que KNS est au bord de la faillite. Il pourrait donc bien y avoir un second plan de sauvetage. En réalité, le premier plan proposé par Manuel Valls avait seulement vocation à soutenir les acteurs jusqu’en 2018. L’État pourrait bien être appelé une nouvelle fois. Mais dans le fond, il faudra qu’un acteur disparaisse et cela pourrait bien être Vale, qui présente les plus mauvais coûts de production, et la SLN a su se diversifier dans le manganèse, ce qui lui permet de perdre moins d’argent. Mais le paradoxe, c’est que le procédé de Vale est intéressant alors que l’usine de Doniambo est obsolète. Il a un temps été envisagé un rapprochement de la SLN et de Vale, notamment en vue d’exploiter le massif de Prony-Pernod. Faut-il s’attendre à de grands bouleversements dans le monde minier ? Il y a un découpage naturel qui place les garniérites dans le Nord et les latérites dans le Sud. Logiquement, on devrait trouver de la pyrométallurgie dans le Nord et de l’hydrométallurgie dans le Sud. Cela fait donc deux usines. Si l’une des trois devait fermer, ce serait logiquement la moins performante, celle de Doniambo. Après, il y a la question sociale, qui est une autre affaire. Pour la petite histoire, il y a quelques années, Pierre Alla me confiait que la SLN avait fait une erreur en ne réalisant pas l’usine du Nord. Maintenant, il faut bien voir que la politique et la mine sont intimement liées. Chaque grand moment politique a été marqué par des accords au niveau de la mine, en 1988, 1998. Reste maintenant à savoir ce qui se passera l’année prochaine.

DNC : Le cours du nickel a très récemment connu un léger rebond, qui correspond à une augmentation de l’activité de l’industrie chinoise. Les perspectives sont meilleures pour les Calédoniens ?

La tendance est malheureusement structurelle. Nous avons connu les mêmes affres dans les années 60. À l’époque, ils ont été nombreux à acheter des camions. Une fois que le cycle s’est retourné, ils ont dû revendre les camions et beaucoup sont retournés dans l’administration. Ce qu’il faudra faire absolument, c’est enfin adopter une stratégie nickel ou encore mettre en place une redevance d’extraction minière. Tous les pays minier au monde en ont une, je dis bien tous, sauf un, la Nouvelle-Calédonie.