Mieux connaître nos poissons d’eau douce

Le service de l’eau de la Davar a publié un guide recensant les différentes espèces de poissons des cours d’eau calédoniens. Un outil pédagogique pour sensibiliser la population sur la richesse des eaux douces et la nécessité de les préserver au travers de la qualité de l’eau. 

On connaît souvent mieux les trésors qu’il y a ailleurs que ceux qui se trouvent sous notre nez. C’est tout aussi valable pour les poissons. Si l’on connaît relativement bien ceux qui peuplent l’océan, les connaissances
que l’on a de ceux qui vivent dans nos rivières sont très parcellaires. C’est tout l’objectif du service de l’eau de la Direction des affaires vétérinaires agricoles et rurales que de faire en sorte que cela change, grâce à ce premier fascicule des espèces de poisson d’eau douce, édité en partenariat avec l’association Mocamana. Un guide qui sera distribué aux institutions et aux acteurs de l’environnement et notamment aux conseils de l’eau de La Foa et de Bourail.

Depuis une dizaine d’années maintenant, le service de l’eau travaille sur différents cours d’eau pour approfondir les connaissances de la faune. Sept rivières ont fait l’objet de campagnes d’inventaires, la Dumbéa, la La Foa, la Voh, la Koné, la Moindou, la Pouembout et la Néra. Ces travaux ont ensuite permis de réaliser des posters indiquant où se trouve chaque espèce de poissons.

124 espèces recensées

Au total, 124 espèces ont été recensées, dont une dizaine d’espèces endémiques et une autre dizaine exotiques envahissantes et introduites. Un recensement qui comprend également quelques poissons d’eau salée qui remontent dans les eaux saumâtres des estuaires, comme les mulets, par exemple, ainsi que des crustacées. Et certaines rivières sont bien plus riches que ce que l’on pourrait croire. La Dumbéa, qui est la plus diversement peuplée, abrite 25 espèces de poissons.

Pour réaliser ce guide, la Davar a eu recours aux pêches électriques via des bureaux d’études spécialisés. L’idée est relativement simple, le pêcheur se promène dans la rivière avec une perche électrifiée et une batterie sur le dos. Lorsque la perche passe à proximité d’un poisson, ce dernier est comme assommé. Il n’y a plus qu’à le récupérer à l’épuisette. En aval, une équipe dresse un filet pour récupérer les poissons qui auraient échappé à la vigilance du pêcheur. Pour les hydrobiologistes, cette technique présente l’avantage d’avoir un impact très limité sur la faune, les pertes étant très faibles. Une fois les opérations d’identification effectuées, les poissons sont remis à l’eau.

En dehors de la Davar, des pêches sont aussi réalisées par les mineurs dans le cadre d’inventaires avant travaux miniers impactant le milieu naturel. Récemment, l’équipe du Muséum d’histoire naturelle de Paris a également réalisé une campagne dans le cadre de la mission la Planète revisitée. La volonté est de mutualiser ces recherches afin de faire des économies. À titre d’exemple, une campagne sur la Dumbéa coûte une dizaine de millions de francs. Mais la mutualisation nécessitera des adaptations méthodologiques et un gros travail sur les archives qui dorment dans les placards. Un logiciel devrait néanmoins prochainement simplifier le travail et permettre d’harmoniser les observations.

Des connaissances encore très parcellaires

Reste que le chemin est encore long pour étoffer un corpus de connaissances encore très réduit. « On connaît encore peu les cycles de reproduction des poissons et leurs migrations, souligne Typhayne Quere du service de l’eau de la Davar. C’est le cas pour quelques grandes espèces, mais de là à parler d’un indice poisson qui pourrait donner des indications sur la dynamique des populations, il y a de la marge et de nouveaux inventaires à effectuer. » De nombreuses études sont toutefois en cours sur les poissons d’eau douce, commanditées notamment par le Centre national de recherche nickel et son environnement (CNRT).

Si l’on ne sait donc pas comment se porte les populations, la dernière campagne de la La Foa, en 2016, n’a pas permis d’observer de poissons endémiques, ce qui était pourtant le cas en 2011. Le manque de connaissances ne permet toutefois pas d’en conclure à une baisse de la population. D’autant plus qu’au manque de connaissances biologiques se conjugue celui sur l’état de santé de la rivière en elle-même. Le service de l’eau analyse de temps en temps la qualité physico-chimique des rivières , mais pas suffisamment pour en avoir une cartographie précise et en déduire des liens avec l’évolution des populations de poissons.

Il y a aussi la notion de continuité biologique. Certaines espèces doivent passer par des processus de migration obligatoires. On a beau avoir une qualité de l’eau parfaite, si un ouvrage bloque le passage, les poissons ne pourront pas se reproduire. De ce point de vue, Valérie Gentien, la directrice du service de l’eau estime que les mentalités ont évolué. Aujourd’hui, lorsqu’un ouvrage est construit sur le domaine fluvial, on fait attention. Mais il faudra également revenir sur les anciens ouvrages qui continuent d’obstruer les cours d’eau.

Tout l’enjeu de ces inventaires et de ce guide est de sensibiliser le grand public, mais aussi et surtout d’apporter un éclairage scientifique indiscutable dans la prise de décision pour autoriser certains aménagements qui auraient un impact sur la biodiversité. Ce n’est pas tout de réaliser des inventaires, encore faut-il s’en servir.


Des bassins connectés

La petitesse des bassins hydrologiques calédoniens fait que la plupart sont connectés. Un atout qui permet de recoloniser des espaces dégradés. C’est le cas du creek de la baie Nord, la rivière proche de l’usine de Vale, dans le Sud, entièrement nettoyée par au moins une centaine de milliers de litres d’acide chlorhydrique, en mai 2014. Après plusieurs mois, l’Œil a observé le retour de la faune dans le cours d’eau. L’observatoire a d’ailleurs lancé une étude sur la circulation des poissons entre les différents cours d’eau afin de mieux apprécier le phénomène.

La Dumbéa est pour le moment la rivière inventoriée la plus riche. Le manque de moyens et l’assouplissement en matière réglementaire envisagée par les pouvoirs publics en raison de la crise du nickel ne devraient pas aider l’acquisition de connaissances des espèces d’eau douce. Les moyens manquent cruellement.

Les pêches électriques sont régulièrement l’occasion d’actions de sensibilisation du grand public et en particulier des scolaires.

Elles ont un impact limité sur les populations étudiées mais nécessitent un dispositif relativement important et doivent être effectuées dans des endroits parfois difficiles d’accès.

La relative bonne qualité des eaux calédoniennes, qui pâtit surtout des retards en matière d’assainissement, permet aux cours d’eau calédoniens d’être assez peuplés. On y trouve des poissons, mais aussi des crustacées et même des hippocampes d’eau douce.

M.D.