L’Océanie fait ses propres recommandations pour la biodiversité

Dans la foulée de la conférence plénière de l’IPBES, organisé à Paris en mai, les scientifiques de l’Océanie se sont retrouvés à Nouméa afin de travailler sur les spécificités du Pacifique. Les experts ont établi une liste de recommandations qui seront présentées lors des grands rendez-vous internationaux en matière de biodiversité. L’objectif est que l’Océanie soit pleinement reconnue.

Après le climat, c’est au tour de la biodiversité de susciter des craintes pour l’avenir. Il faut dire que les chiffres sont plutôt alarmants. Du 29 avril au 4 mai, la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) s’est réunie en conférence plénière afin d’adopter un rapport d’évaluation mondial de la biodiversité. Le monde a notamment pu découvrir avec plus ou moins de stupéfaction que 70 % des terres, 40 % des océans et 50 % des cours étaient altérés. Selon les experts, une espèce animale et végétale sur huit est menacée d’extinction à court terme.

Si ces chiffres sont inquiétants, c’est avant tout parce que l’homme est lui-même fortement dépendant de la biodiversité. Pour ne retenir qu’un exemple, l’appauvrissement de la diversité des cultures agricoles fait courir des risques pour l’alimentation humaine. Les semences industrialisées, largement utilisées par l’agriculture productiviste, fragilisent la qualité et la sécurité alimentaire, mais présentent également des problèmes sanitaires. Les besoins, toujours plus grands, nuisent aussi à la biodiversité en réduisant les surfaces d’habitats naturels.

« Pas de dichotomie entre nature et culture »

Dans la foulée de la conférence de Paris, Jean-Paul Moatti, le directeur de l’IRD, a pris l’initiative de prolonger la réflexion en Océanie en sollicitant la CPS et le gouvernement calédonien. L’IRD, en collaboration avec la CPS, les autres organismes de recherche ainsi que les institutions ont organisé deux jours d’ateliers, regroupant plus d’une centaine d’experts internationaux, les 24 et 25 juin à Nouméa, au lendemain de la onzième conférence de la CPS qui s’est prononcée en faveur d’un investissement massif dans les sciences océaniques.

Une volonté largement reprise par les groupes de travail des ateliers régionaux de l’IPBES. Mais le principal apport de ces travaux porte sur l’identification des spécificités océaniennes en matière de biodiversité. Il est notamment ressorti que l’Océanie présente une homogénéité écologique, sociale et culturelle tout en présentant une grande diversité des écosystèmes, écosystèmes connectés entre eux. « En Occident, quand on parle de nature, on aborde généralement la question sous l’angle de l’utilité. En Océanie, il n’existe pas de dichotomie entre naturel et culture, souligne Claude Payri, chercheuse à l’IRD. Notre objectif est que l’Océanie ait un chapitre à part entière dans le rapport IPBES. »

Aujourd’hui, l’Océanie, qui est un des plus importants hot spots de la biodiversité et pèse 40 millions de personnes, est traité avec la zone Asie-Pacifique qui représente plus de 4 milliards de personnes. Le Pacifique est « l’épicentre de la crise de la biodiversité mais les pays ne sont pas forcément à l’origine, explique Éric Vidal, chercheur à l’IRD.Les pays insulaires doivent se prémunir des menaces extérieures sans en avoir les moyens. Il y a également très peu de scientifiques. Il faut développer une solidarité scientifique pour que la voix océanienne soit davantage entendue. Il faut également prendre en compte les connaissances traditionnelles qui sont importantes. Il y a une très forte intrication entre l’homme et la nature ». Autrement dit, la préservation des modes de vie océaniens est intimement liée à la préservation de la biodiversité et vice-versa.

Porter la voix de l’Océanie dans les grandes instances internationales

« Il est encore possible d’utiliser la biodiversité de manière durable, mais il faudra des changements structurels qui passeront par un nouveau modèle d’agriculture durable et des modifications des services financiers. Les mécanismes d’incitation économique tendent à développer des activités qui sont nuisibles à l’environnement, explique Jean-François Sylvain, le président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité.Le rapport IPBES est un peu anthropocentré pour ne pas dire utilitariste, la biodiversité doit aussi être envisagée au-delà de son utilité. »

Les recommandations, rassemblées dans un ouvrage largement distribué à travers le Pacifique, seront présentées aux États afin qu’ils se les approprient. Ce sera le cas lors de la prochaine conférence du PROE, le programme régional océanien de l’environnement, en septembre prochain ou encore à la dixième Conférence de la nature en Océanie qui se tiendra à Nouméa, en avril 2020. Autant de rendez-vous durant lesquels les chercheurs et les responsables politiques devront faire entendre la voix océanienne.

M.D.

©IRD/E.Vidal