L’infertilité, parlons-en

La procréation est la plus belle chose qui soit au monde, mais elle pose des difficultés à un couple sur six. Et le sujet reste relativement tabou note l’association BAMP qui relaye en Nouvelle-Calédonie la semaine de sensibilisation à l’infertilité.

Marie* et son compagnon ont dû passer par ce que beaucoup de couples concernés définissent comme un « parcours du combattant ». Impossible pour eux d’avoir un enfant à cause d’un déficit de spermatozoïdes chez lui et des trompes bouchées pour elle. « Je me souviens des salles d’attente, de l’angoisse de savoir s’il y aurait des follicules, combien, de quelle grosseur…» raconte Marie. Elle évoque également « les piqûres dans le ventre », « l’espèce de jalousie et d’injustice » ressentie « à chaque nouvelle d’un enfant à venir parmi nos proches », le fait de se sentir « rejetés d’une part de l’humanité », de se sentir « mauvais ou coupables ».

Après avoir failli renoncer à la troisième fécondation in vitro (FIV), cette dernière a finalement fonctionné et voilà sept ans que ces parents chérissent un garçon à Nouméa qui « joue au foot, collectionne des cartes de Pokemon, s’intéresse aux planètes et à la politique ».
Marie juge aujourd’hui que l’on oublie très vite l’épreuve, malgré les difficultés nombreuses et bien réelles. « Une ou deux générations plus tôt, nous n’aurions pas eu d’enfant », se réjouit-elle, avant de remercier « infiniment » cette médecine qui leur a néammoins parfois paru « froide » et « brusque ».

Des raisons variées

Comme eux, de nombreux couples calédoniens se trouvent dans le désarroi après des essais infructueux. Au centre d’assistance médicale à la procréation du Médipôle de Koutio, la petite équipe menée par le Dr Clotilde Dechanet, gynécologue spécialisée dans la médecine de la reproduction, reçoit en consultation environ 1 000 couples par an ayant des difficultés à concevoir.

La procédure initiale est la même pour tous : pour définir les causes, les médecins procèdent d’abord à des examens gynécologiques. Des prises de sang permettent de déterminer la qualité de l’ovulation, de préciser certaines anomalies du fonctionnement ovarien ; une radiographie de l’utérus et des trompes permet de vérifier l’intégrité anatomique (hystérosalpingographie) et un spermogramme permet d’étudier les spermatozoïdes pour connaître leur nombre, leur mobilité, leur aspect, observer leur migration et survie. « À partir de là, précise le Dr Dechanet, on sait qu’environ 25 % des infertilités sont du fait de l’homme, 30 % concernent des problèmes tubaires chez les femmes, 20 % l’ovulation et 30 % des cas restent inexpliqués. »

Plusieurs techniques

Quand une assistance peut-être apportée, l’équipe médicale évalue le délai souhaitable pour la prise en charge, les chances de conception naturelle, le taux de succès escompté et aussi les risques des différents traitements. Un parcours adapté à la situation est ensuite proposé : traitements médicaux (simulation ovarienne), chirurgie (trompes bouchées, fibromes, endométriose, chirurgie urologique), insémination intra utérine avec sperme du conjoint, fécondation in vitro classique (FIV) ou fécondation in vitro avec micro-injection d’un spermatozoïde directement dans l’ovocyte (FIV-ICSI).

Chaque année, pas moins de 200 FIV sont réalisées au laboratoire du centre du Médipôle entre les mains du Dr Émilie Grange, médecin biologiste, spécialisée elle aussi. La fécondation in vitro engendre environ 25 à 30% de grossesses par cycle, c’est-à-dire que plus de deux FIV sur trois se soldent par un échec. L’insémination artificielle engendre, quant à elle, environ 20 à 23 % de grossesses par cycle.

La plupart des tentatives d’assistance médicale à la procréation sont réalisées avec les gamètes du couple (spermatozoïdes, ovocytes) par ces deux techniques et une troisième technique, la congélation des ovocytes, va bientôt être possible notamment pour les femmes qui suivent des traitements pour un cancer et souhaitent conserver toutes leurs chances de concevoir. Lorsque la procréation « intraconjugale » n’est pas possible, on peut alors envisager le don de spermatozoïdes ou le don d’ovocytes (en Métropole).

200 FIV sont réalisées chaque année au centre d’AMP de Koutio par Emilie Grange et Clotilde Dechanet. 

Des Nouméens essentiellement

En Nouvelle-Calédonie, demander de l’aide pour concevoir ne va pas de soi. Le Dr Clotilde Dechanet précise que « les Métropolitaines viennent plus facilement que les Mélanésiennes, mais (que) ces dernières sont de plus en plus nombreuses (environ 30 %). En revanche 91 % de la patientèle est nouméenne ». On apprend ici que les couples d’origine européenne sont davantage touchés par les problèmes masculins, alors que les Mélanésiens le sont plus par les problèmes féminins.

À noter que localement, de nombreuses femmes ont les trompes abîmées après avoir contracté des infections sexuellement transmissibles de type chlamydia qui les empêchent de procréer. Quand les choses ne fonctionnent pas, elles se tournent le plus souvent vers l’adoption ou n’ont pas d’enfant. Pourtant ce problème particulier est « très simple à régler », assure le Dr Dechanet.

Par ailleurs, les patientes attendent généralement entre cinq et sept ans, entre leur désir de grossesse et la FIV, alors qu’il est possible de débuter le processus d’assistance médicale à la procréation « environ cinq mois après le premier rendez-vous ». Il est actuellement recommandé de consulter un médecin après 12 à 18 mois d’essai sans grossesse obtenue.

Briser le tabou

Ici encore davantage, il semble nécessaire d’ouvrir la parole sur l’infertilité. Et c’est justement l’objectif de l’antenne calédonienne du collectif BAMP, une association créée par des patients pour faire entendre les voix des personnes infertiles. En Nouvelle-Calédonie, cette antenne a été initiée par Déborah Guérot. La création du groupe a permis aux patients « de parler entre eux de leurs difficultés, de leurs parcours, de trouver un soutien, tantôt technique, tantôt psychologique ».

Car la réalité n’est pas tendre : on estime que 20 % des couples n’obtiendront pas de grossesse après un parcours comprenant plusieurs cycles de FIV. Pour tous ces gens, et en particulier ceux qui sont isolés, l’association relaye une nouvelle fois la semaine de sensibilisation sur l’infertilité avec une présence dans les médias, une grande table ronde au Médipôle mardi dernier, une rencontre BAMP ce jeudi et un stand informatif au Médipôle, vendredi et samedi.

*Le prénom a été modifié.

L’équipe, passionnée, du centre d’assistance médicale à la procréation parvient à faire naître environ 35 bébés par an. Elle est composée d’une sage-femme, d’un technicien, d’une secrétaire, d’une gynécologue (Clotilde Dechanet) et d’une médecin biologiste (Emilie Grange). Ce jour-là, ils sont avec Deborah Guérot, représentante de l’association BAMP en Nouvelle-Calédonie (deuxième à g.).


Quelques chiffres

 

-Un couple fertile de 25 ans a une probabilité mensuelle d’obtenir une grossesse naturelle de 25 %. Cette probabilité diminue avec l’âge. Elle est de 12 % à 35 ans.

Un couple sur sept est amené à consulter un médecin pour une infertilité supposée. Un couple sur dix suit des traitements pour remédier à son infertilité.

-En France, 25 000 enfants naissent chaque année grâce à l’assistance médicale à la procréation (sur 144 000 tentatives d’AMP) soit 3 % des naissances générales. En Nouvelle Calédonie 0,03 % des enfants nés sur le territoire sont issus de l’AMP.

-L’âge limite de la prise en charge de l’AMP est de 43 ans pour les femmes.

-Non remboursée, une FIV coûte 700 000 F CFP. En Nouvelle-Calédonie, la Cafat et les mutuelles remboursent 90 % du prix de la FIV, 10 % restent à la charge du couple.

80 millions de personnes sont touchées par l’infertilité dans le monde.


Des relais pour la brousse

Les démarches et le suivi d’un traitement peuvent être assez contraignants. Pour aider les couples vivant hors de Nouméa des relais sont mis en place dans les différentes communes du territoire auprès du corps médical.


Le collectif BAMP

Cette association nationale a pour ambition de regrouper les personnes (patients, familles, professionnels de santé) concernées par l’infertilité. Elle accompagne et soutien les couples qui le désirent avant, pendant et après les parcours d’infertilité. Elle œuvre pour améliorer l’Aide médicale à la procréation en France (AMP) et sa perception dans la société. L’infertilité pose par ailleurs des questions médicales, sociales, environnementales, politiques et ethiques sur lesquelles le collectif souhaite intervenir. Elle mène des actions pour que la hausse de l’infertilité soit considérée comme un problème de santé publique et pour une évolution de la loi de bioéthique. En 2016, BAMP a obtenu en France les autorisations d’absence pour les salarié-e-s en parcours d’AMP.

Informations : Facebook : BAMP Nouméa – www.bamp.fr

 

C.Maingourd