L’exercice Croix du Sud boosté par le passage de Macron

1 800 militaires de la région sont réunis en Nouvelle-Calédonie pour l’exercice Croix du Sud, qui débute dimanche en province Nord. Cet exercice international organisé par la France est un rendez-vous majeur dans le Pacifique. Il prend un relief particulier après que le président de la République ait exposé son ambition de créer un axe « Indo-Pacifique » avec ses grands partenaires de la région. Entretien avec le général de division Thierry Marchand, commandant supérieur des Forces armées en Nouvelle-Calédonie.

En quoi cet exercice Croix du Sud 2018 diffère-t-il des autres années ?

D’un côté, Croix du Sud, qui se déroule tous les deux ans, restera assez classique dans son scénario, dans les moyens déployés et dans la présence de nos principaux alliés et amis de la région. Ce rendez-vous reste, avec l’exercice Southern Katipo, organisé un an sur deux en Nouvelle-Zélande, un moment important de la coopération militaire régionale.

Mais il y a effectivement un intérêt plus marqué cette année avec une représentation civile et militaire plus importante qu’habituellement. Notamment la semaine prochaine, avec la venue de la ministre de la Défense australienne, ce qui n’est pas coutumier dans un exercice militaire. Ce n’est pas anodin.

Et vous expliquez cela par le message porté il y a quelques jours par le président de la République ?

Je le mets sur le compte d’une année particulière, marquée, c’est vrai, par la visite du président de la République et aussi peut-être en raison de l’échéance que va connaître la Nouvelle-Calédonie. Mais c’est effectivement surtout le premier point qui a dû jouer : la visite présidentielle et le discours sur l’avenir formulé par le Président.

Il n’était pas question de déployer des moyens supplémentaires cette année pour s’entraîner ou faire une démonstration de force, de moyens ?

Nous n’avons pas déployé cette année des moyens particuliers qui auraient pu envoyer de mauvais messages. Mais il s’avère que le contexte international a permis de mettre un focus sur cet exercice, permettant la venue de certaines personnalités. C’est un exercice qui incarne bien ce que le Président Macron a décrit dans ses discours de Garden Island, à Sydney et du Théâtre de l’Île : une coopération régionale pratique et utile dans laquelle travaillent ensemble les grandes puissances et les plus petits pays.

Quel écho a eu le positionnement du Président auprès de vos partenaires régionaux ?

Nos partenaires s’informent évidemment – sans trop d’inquiétudes – sur la situation calédonienne. Mais le Président a ouvert des perspectives sur un positionnement stratégique de la France dans le Pacifique. C’est une première. Un positionnement stratégique qui se décline bien entendu dans les moyens militaires. C’est bien cela que le Président a montré à Sydney avec la présence des Fanc aux côtés des soldats australiens. Ceci témoigne du fait que nous sommes déjà des partenaires de proximité. Car dans la vie de tous les jours, c’est ici que l’on parle de coopération maritime, de sécurité maritime, que l’on fait des exercices en commun. C’est d’abord avec les Fanc que cette affaire-là s’organise.

Quelles observations portez-vous personnellement sur sa vision et l’axe Indo-Pacifique ?

Je pense que l’on manquait depuis un certain nombre d’années d’une grande perspective de notre politique nationale sur le Pacifique. Notre présence ici, en Polynésie comme à La Réunion, était plus un résultat de l’histoire que le support à un projet prospectif. Aujourd’hui, nous avons un début de réponse : il s’agit de contrer, je cite, « une hégémonie » ou l’influence excessive chinoise par une offre stratégique organisée autour d’un triangle Inde / Australie / France, étendue dans un espace Indo-Pacifique que traditionnellement la France regardait en deux morceaux, l’océan Indien d’un côté et l’océan Pacifique de l’autre. Pour la première fois, on a unifié cet espace pour proposer aux pays de la région une alternative politique à l’antagonisme sino- américain qui effraye beaucoup les pays de la région.

On commence à y voir plus clair dans les rapports de force qui se mettent en place à l’échelle de la planète, après des années plutôt incertaines et confuses. Le monde s’organise de manière plus lisible et si le Président tire cette vision particulière de la France dans le Pacifique, il ne le fait pas par hasard.

Comment pourrait s’articuler cette ambition présidentielle au niveau de l’armée ?

Il faut placer les choses dans le temps. Le président de la République a ouvert des horizons, a rebattu les cartes pour modifier les équilibres. Après, il faut que les appareils, les administrations s’organisent pour suivre le mouvement. Mais tout va prend du temps. Et c’est tout l’intérêt des discussions qui vont suivre : savoir comment on met en œuvre les choses concrètement et à quel rythme on va traduire tout cela. Mais ce qui est clair, c’est que c’est le début d’une histoire intéressante.

Sans présumer du résultat du référendum, si on voulait changer la physionomie
de l’armée ici, on pourrait aussi le faire rapidement…

Oui, on peut imaginer beaucoup de choses. Aujourd’hui, les Fanc sont taillées pour répondre aux missions qui sont les leurs. Si on fait évoluer le champ des missions, il faudra modifier l’économie générale des forces et penser autrement la planification de nos grands rendez- vous. En engageant, par exemple, des moyens venus de métropole comme la Jeanne d’Arc.

Par toute une série d’actions coordonnées, on peut venir densifier cette relation de partenariat entre deux pays qui sont d’accord pour jouer un rôle d’influence et de sécurité à l’échelle de cette région du monde. Mais il faut laisser un peu de temps au temps. Vous avez entendu, comme moi, le Président a dit : « Procédons par étapes »… D’abord le vote, le choix de la forme institutionnelle, puis à partir de là, on réfléchira. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs.

C’est important au quotidien ce genre de discours pour les militaires ?

C’est important de savoir où on va. Les missions que l’on a aujourd’hui sont claires et on les assume pleinement : l’aide aux populations, la souveraineté nationale, toute la coopération régionale également, des actions qui sont déjà très lourdes pour nous.

Nos dispositifs ont été réduits au cours des dernières années partout dans l’outre-mer, on est arrivé à un point bas au-dessous duquel on peut difficilement descendre. Cette perspective permet d’appréhender le futur de manière positive. C’est important pour le moral des troupes et c’est toujours plus agréable de sentir qu’on est dans le sens de l’histoire. Donc nous nous situons dans cette grande ambition. Et Croix du Sud est en quelque sorte un socle, une première étape dans l’incarnation de l’ambition française dans le Pacifique.


Sur le terrain

L’exercice Croix du Sud est organisé tous les deux ans par les Forces armées de Nouvelle-Calédonie. Il suit, les années paires, l’exercice Équateur (qui implique en année impaire, uniquement le poste de commandement), avec cette fois les troupes et les équipements déployés sur le terrain (aériens, terrestres et maritimes). Les deux exercices se complètent et partagent un scénario unique.

Croix du Sud rassemble cette année 1 800 militaires français, australiens, fidjiens, néo- zélandais, tongiens, vanuatais, papous, britanniques (Brunei), américains (Hawaï, Darwin), mais également des Chiliens et des Indonésiens. Il implique un total de six compagnies (parachutistes, infanterie, appui, soutien, génie, intervention, tireurs d’élite et équipes civilo-militaires), 11 navires et 13 aéronefs.

L’exercice vise deux objectifs principaux : entraîner les Fanc à planifier et conduire dans l’urgence une opération multinationale de secours dans le Pacifique Sud et améliorer l’interopérabilité entre les forces participant à l’exercice et leur capacité à se coordonner.

Il se déroulera à compter de dimanche sur le scénario d’une opération de secours à la population dans un pays imaginaire – une zone s’étendant entre Koumac, Poum et Pam – frappé par un tsunami quatre mois plus tôt. L’intervention de la force multinationale est ici rendue nécessaire par la « détresse des sinistrés » confrontés à « l’endommagement de leurs structures » et à « la dégradation de la situation sécuritaire ». Il s’agit de sécuriser les populations, le travail des ONG, d’évacuer également des populations.

« L’exercice Croix du Sud se prépare tout au long de l’année via des conférences de planification et les scénarios sont élaborés pour intégrer les besoins de tous les pays en matière d’entraînement », précise le lieutenant-colonel Fabrice Wucher, chef de cabinet du Comsup. « Ces exercices permettent de nous connaître et d’harmoniser nos procédures même si nous avons pour la plupart un système base sur le modèle dominant, celui de l’Otan. » Le tout est réalisé en anglais.


Partenariats

Si les pays participants sont tous « alliés », les grands pays de la région que sont la France, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont des accords de coopération : l’accord Franz pour les opérations d’intervention en cas de catastrophes naturelles ou encore le Quad (Quadrilateral Defense Coordination Group) qui inclut aussi les États-Unis et est cette fois dédié à la sécurité maritime.

C.M.

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