Les secrets des forêts de la province Nord dévoilés

Pendant quatre ans, des scientifiques issus de plusieurs organismes de recherche ont sillonné les forêts humides de la province Nord. Indispensables à la biodiversité, celles-ci n’avaient quasiment jamais été étudiées jusqu’ici. Leurs travaux font l’objet d’un livre, publié par l’IAC.

Comment fonctionnent les forêts humides de la province Nord et comment les préserver ? Alors qu’à l’origine ces forêts recouvraient probablement l’ensemble de la Grande Terre et sont donc un élément majeur de l’écosystème calédonien, elles ont été beaucoup moins étudiées que les zones de forêts sèches. Un paradoxe qui trouve son origine dans l’histoire du développement du pays, puisque les forêts sèches se situent sur les zones dites ultramafiques, c’est-à-dire où l’on trouve du nickel.

Fruit d’un partenariat avec la province Nord, qui a investi 95,9 millions de francs dans le projet, l’IAC, le Cirad et l’IRD* se sont lancés en 2012 dans une vaste étude visant à mieux connaître les forêts humides. Un travail titanesque : 962 jours sur le terrain, soit environ trois ans, et 7 000 jours cumulés de travail, l’équivalent de 19 ans de recherche !

Un enjeu majeur pour la Calédonie… et la planète

Des travaux à la hauteur des enjeux : « Dans le monde, la déforestation a plus de conséquences sur le changement climatique que l’ensemble des voitures qui circulent sur la planète », lance Philippe Birnbaum, chercheur du Cirad. Et la Nouvelle-Calédonie n’échappe pas à la disparition des forêts : elles ont régressé au point de n’occuper aujourd’hui que 30 % du territoire. Leur conservation et protection sont donc indispensables, encore faut-il les connaître pour pouvoir agir.

Alors, qu’ont conclu les scientifiques au terme de ces quatre années de travail ? Tout d’abord, que nos forêts humides se comportent différemment des autres écosystèmes de ce type de la planète. « Elles sont beaucoup plus denses, indique Vanessa Hequet, botaniste de l’IRD. En Amazonie, sur un hectare, vous trouverez entre 500 et 600 arbres. Ici, on en dénombre 1 000 à 1 500. » Mais, poursuit la chercheuse, « si les arbres sont beaucoup plus nombreux, le nombre d’espèces est relativement pauvre, il y a peu de diversité par parcelles. »
Une pauvreté toute relative, car en revanche, « si vous étudiez une parcelle 500 m plus loin, ce sera une autre espèce qui dominera. »

Ces quatre années de travail ont aussi permis de mettre en lumière une autre caractéristique de nos forêts : on y trouve très peu d’espèces communes, mais une multitude d’espèces rares, ce qui donne un caractère exceptionnel à la richesse globale des forêts humides calédoniennes.

Ces découvertes vont permettre de définir une politique de conservation adéquate. « Faire un grand parc naturel ne serait pas, selon nous, une solution, poursuit Vanessa Hequet. Car il ne préserverait pas l’ensemble de la biodiversité. Il faudra peut-être réfléchir à définir des zones plus petites, mais en différents territoires de la province. »

* IAC (Institut agronomique néo-calédonien), Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et IRD (Institut de recherche pour le développement)

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Jusqu’à dix jours isolés en forêt

Camper dix jours en forêt pour compter des arbres… C’est aussi ça, le métier de chercheur. Car pour caractériser un territoire, les scientifiques appliquent un protocole très strict. Ils délimitent un carré d’un hectare et comptent ensuite l’ensemble des arbres de la parcelle. « On parle d’arbre à partir d’un diamètre de 10 cm », explique Thomas Ibanez, de l’IAC. Il faut dix jours pour tout comptabiliser. » Et si certaines zones avaient été très étudiées, comme le Mont-Panié, d’autres beaucoup plus isolées ont nécessité un long travail dans des endroits reculés. Notamment du côté de Houaïlou et Canala, où les données étaient très pauvres. « On s’est parfois retrouvé à 11 au milieu de nulle part pendant une semaine en autarcie et s’il y a une chose que vous redoutez dans ces cas-là, c’est la pluie », sourit Vanessa Hequet.

La science accessible à tous

Les forêts humides de la province Nord est une synthèse des travaux de recherche effectués pendant quatre ans. Mais sa particularité, c’est que le livre est à la fois technique et accessible à tous. On y trouve des données scientifiques, parfois ardues, mais toujours complétées à chaque chapitre par des encadrés résumant de façon simple les enjeux ainsi qu’« un coin du gestionnaire », donnant des conseils de préservation et un glossaire. Le livre intéressera donc décideurs, étudiants, mais aussi tous les passionnés de science et de nature.