Les déchets, un champ de recherche presque vierge

Plusieurs chercheurs sont actuellement en Nouvelle- Calédonie pour mener une étude comparative sur les déchets. Cette étude, qui envisage les déchets sous l’angle des sciences humaines, propose notamment d’analyser les enjeux de responsabilité et de justice en Nouvelle-Calédonie et au Nunavut, au Canada.

Les ordures sont un enjeu de plus en plus important au niveau mondial. À cause de leur impact sur l’environnement, mais aussi et surtout par rapport aux nouveaux équilibres économiques et sociaux que leur gestion implique. C’est tout l’intérêt de l’étude menée par l’équipe de chercheurs français et canadiens qui travaillent sur « waste and discard studies » ou, en français, « Étudier les déchets en Nouvelle-Calédonie. Insularité, responsabilité, justice environnementale : questions de recherche et aperçus de terrain ». Un travail qui ne porte donc pas véritablement sur les chiffres et l’organisation des filières, mais aurait pourtant été bien utile à la Nouvelle-Calédonie.

Un séminaire organisé mercredi 19 septembre a permis de présenter les objectifs de cette étude et rencontrer les acteurs calédoniens. L’équipe dispose de trois semaines sur le terrain pour collecter les informations nécessaires à ses analyses. La présentation, réalisée par Nathalie Ortar, Laurence Rocher et Romain Garcier, a été l’occasion de replacer la Nouvelle-Calédonie dans un contexte mondial où les déchets sont devenus un véritable enjeu économique que se disputent les grandes entreprises. Romain Garcier, maître de conférence en géographie, a notamment rappelé la part relativement faible des déchets ménagers, c’est-à-dire produits par les citoyens, au regard des déchets nettement plus considérables générés par les industries et notamment extractives et le BTP.

Quelle responsabilité ?

C’est tout particulièrement le cas en Nouvelle- Calédonie où les industries, et en particulier la mine, produisent beaucoup de déchets sans qu’ils soient réellement pris en compte par les politiques publiques. Comme l’ont souligné les chercheurs, il y a actuellement une injonction faite aux ménages à trier les déchets et les recycler, ce qui pourrait laisser penser que les comportements s’améliorent. En réalité, la production d’ordures ne cesse de progresser sans que le recyclage ait un impact réellement significatif et que chaque nouvelle technologie produit des déchets nouveaux. Ce processus de responsabilisation et de culpabilisation des ménages touche également la Nouvelle-Calédonie où les politiques publiques environnementales sont présentées comme extrêmement volontaristes alors que finalement, elles contraignent surtout les particuliers qui représentent une petite partie du problème.

C’est par exemple le cas du schéma de la transition énergétique qui fixe un objectif de production d’énergie renouvelable pour la distribution publique, mais pour la mine. C’est plus ou moins le cas de la loi sur la qualité de l’air, ça l’est tout autant pour les déchets comme l’illustre le projet de loi autour de l’interdiction du plastique. Une forme de « greenwashing » (des politiques publiques qui lavent plus vert que vert) des pouvoirs publics qui cherchent à bénéficier politiquement des grandes problématiques sociales, tout en préservant les intérêts des lobbies les plus efficaces*. Un des participants, expert en déchets pour les grandes entreprises calédoniennes, a expliqué qu’il avait lui-même assisté à des formations en management apprenant aux étudiants des grandes écoles de commerce comment tricher sur l’environnement.

La responsabilité d’un déchet appartient pourtant à celui que le produit. C’est de cette idée de bon sens que sont nés les concepts de pollueur-payeur ou de REP, responsabilité élargie du producteur. Une question qui a fait débat dans la salle lors du séminaire. Des acteurs locaux ont émis des opinions plutôt différentes sur cette question. Pour l’un, l’écotaxe est une manière de siphonner l’argent public engagé dans la structuration des filières, alors que pour l’autre, l’instauration de l’écotaxe en Nouvelle-Calédonie permet aujourd’hui de traiter certains déchets de manière convenable grâce à l’export tout en générant une certaine activité économique (en dehors des déchets d’équipements électriques et électroniques dont l’éco-participation couvrirait 50 % des coûts de traitement).

Mais comme l’a souligné un autre intervenant, la responsabilité élargie du producteur repose surtout sur les épaules du consommateur qui supporte le coût des filières de traitement des déchets, au travers des écotaxes, sans pour autant avoir véritablement le choix de consommer des produits alternatifs nécessitant moins de traitements. C’est particulièrement le cas pour un petit marché peu concurrentiel comme peut l’être le marché calédonien.

Une méconnaissance de nos déchets

Les questions des chercheurs ont également mis en exergue le manque de connaissances autour de la question des déchets. Un manque de connaissances qui est un frein au développement des activités économiques autour de leur gestion et leur traitement. C’est notamment le cas pour la création d’une filière de production de biogaz issu de la fermentation des déchets verts. Une filière qui pourrait être viable, notamment si l’on considère le fait que du biogaz est déjà produit par l’ISD de Gadji, mais est directement brûlé au lieu d’être stocké. Selon la représentante de l’Ademe, une étude pourrait être menée prochainement en partenariat avec l’AFD. L’idée sera de travailler à l’échelle communale pour définir les volumes des gisements des différents déchets. Les résultats sont attendus pour la fin du premier semestre 2019. Un travail qui donne d’autant plus de sens au projet de recyclerie et de ressourcerie porté par la province Sud.

Toujours sur le volet de la connaissance, l’étude propose d’examiner les conséquences du rééquilibrage sur la production des déchets dans les provinces Nord et Îles, au regard, par exemple, de l’évolution des modes de vie et de consommation. Sur les îles, les coûts de transport peuvent représenter jusqu’à 50 % des coûts de traitement. Comme l’a rappelé une des personnes présentes, la province Nord a adopté un schéma de gestion des déchets ménagers en 2012. Un schéma, qui en raison des coûts de collecte liés à l’éclatement géographique des gisements, aurait nécessité le soutien de la province Sud qui a refusé tout net.

Pour un chercheur de l’IRD, spécialiste des questions environnementales, le rééquilibrage est trop souvent regardé par le prisme de la construction d’infrastructures. Il estime que la question de la péréquation pour la gestion des déchets doit être posée. Autrement dit, une fois encore, c’est la problématique des limites de la provincialisation qui se pose. Plus largement, une représentante de la Coopération régionale a indiqué que des réflexions financées par le Fonds européen de développement avaient été engagées autour de centres de traitement qui mutualiseraient les flux des îles du Pacifique afin de s’affranchir des contraintes de taille critique.

* En raison de l’enfouissement des cendres produites par la centrale électriques de Prony Énergies, alimentant notamment l’usine de Vale NC, la durée de vie de l’installation de stockage des déchets a été réduite de plusieurs années. Une situation qui a des conséquences pour les ménages et le coût de traitement de leurs déchets, mais qui en aura d’autres à plus long terme, notamment lorsque les collectivités devront investir dans une nouvelle installation.


Un impôt sur les écotaxes

Une des participantes au séminaire a souligné une petite absurdité qui ne manque pas de sel. Selon elle, Trecodec, éco-organisme qui assure la collecte des écotaxes et la structuration des filières, est soumise à l’impôt sur les sociétés. Toujours selon cette personne, Trecodec s’acquitterait ainsi de 20 à 25 millions de francs par an, ce qui n’est pas le cas des éco-organismes.

M.D.