Les congés coutumiers votés la boule au ventre

Après deux reports, la loi du pays sur les congés pour responsabilités coutumières a été votée, mardi après-midi, par les élus du Congrès. Un vote qui pourrait créer une nouvelle fracture entre pro et anti-indépendance, suite au dépôt d’un amendement par la plateforme loyaliste. Le texte étant différent de celui présenté par le Sénat coutumier, un nouvel aller-retour entre les institutions aura lieu dans les prochains mois, avant son adoption définitive.

Après ce vote, il paraît peu probable que les élus indépendantistes et loyalistes du Congrès prennent leurs congés ensemble. Mardi après-midi, avant le début de l’examen du budget primitif 2018, l’assemblée du boulevard Vauban était réunie pour étudier la loi du pays sur les congés pour responsabilités coutumières. Si le texte a été voté à la quasi- unanimité – les Républicains calédoniens se sont abstenus – il devrait créer quelques remous dans les mois à venir. Et pourtant, après deux renvois, on aurait pu penser qu’un équilibre politique avait été trouvé, d’autant que le premier projet de loi sur la question remonte à 2013 et avait été imaginé il y a encore plus longtemps.

L’idée générale du texte vise à répondre à la question de savoir « comment concilier la modernité et tout ce qu’elle implique avec la préservation de l’organisation sociale traditionnelle kanak », comme le souligne le rapport de Sylvain Pabouty, rapporteur spécial de la loi. Une question que se sont posée les responsables politiques calédoniens dès le début des années 80. En 1982, une ordonnance permettait, en principe, à tout salarié de prendre des congés pour la fête de l’igname nouvelle dans des conditions fixées par le chef du territoire. Des congés pouvaient également être pris pour d’autres événements à caractère coutumier dans une limite de cinq jours et selon des règles fixées par le chef du territoire.

Une vieille idée

Cette ordonnance a été abrogée en 1985, mais la possibilité d’accorder des congés pour ces raisons est toujours reconnue à l’employeur, au travers d’un article de l’accord interprofessionnel territorial de 1984, toujours en vigueur. Certaines entreprises pratiquent de fait ces congés. C’est notamment le cas de KNS, qui prend en compte ces responsabilités dans son organisation depuis cinq ans. Reste que cette possibilité n’est pas véritablement encadrée, ne prévoit pas d’indemnisation et exclut certaines catégories de personnel.

Il est donc apparu nécessaire aux responsables politiques et coutumiers de rédiger une loi autour des congés pour responsabilités coutumières. Une nécessité renforcée par l’inscription de cette mesure dans l’agenda partagé par les partenaires sociaux en 2011. L’idée sera reprise dans les accords économiques et sociaux de juin 2012. Les discussions sur ce texte ont achoppé sur deux points : l’indemnisation des congés et la définition précise de ce que recouvre la notion d’autorités coutumières.

Pour ce qui est de la définition, la solution est de se rapporter à une loi du pays de 2007, qui précise que les autorités coutumières sont les chefs de clan, les chefs de tribu ou grands chefs et les présidents du conseil des chefs de clan. Les grands chefs et les présidents des conseils étant déjà indemnisés, la loi ne concerne donc que les chefs de clan et, plus précisément, quand ils sont salariés du privé, ce qui exclut les coutumiers salariés du public.

Au total, les conseils coutumiers ont recensé 2 322 chefs de clan dont 715 sont salariés du privé et donc potentiellement concernés par la loi du pays. À raison d’une indemnisation de 5 000 francs par jour – pour un maximum de six jours de congé par an – l’impact budgétaire maximum est estimé à 21,4 millions de francs par les services du gouvernement.

Et c’est la prise en charge de cette somme, finalement plutôt modeste, qui cristallise toutes les oppositions. Pour l’Intergroupe, les indemnisations doivent faire l’objet de négociations au sein des entreprises ou des branches. Sans accord, pas d’indemnisation. Mais avant d’arriver au Congrès, le texte était passé par le filtre du Sénat coutumier, qui estimait, au même titre que les indépendantistes, que les indemnisations devaient être prises en charge par la collectivité comme celle des grands chefs et des présidents de conseil.

Pour les sénateurs, cette mesure s’inscrit dans le cadre de l’Accord de Nouméa avec la reconnaissance et la prise en compte dans l’organisation sociale calédonienne de la culture et de l’identité kanak. Dans cette optique, il apparaît naturel que la collectivité prenne en charge les indemnités et c’est sans compter sur le fait que laisser les entreprises négocier risque de défavoriser les salariés des petites et moyennes entreprises, moins en capacité de négocier auprès de structures disposant de moyens plus limités. Cela crée également un risque de discrimination à l’embauche, même si le texte prévoit qu’il ne peut y avoir de discrimination en lien avec les responsabilités coutumières. Mais de fait, les discriminations existent et l’on a bien du mal à lutter contre. Et ce n’est pas un article de loi qui empêchera des discriminations sur la question coutumière, de la même façon que pour les autres discriminations. Le Sénat coutumier fait enfin valoir le rôle important des coutumiers dans l’équilibre social calédonien.

Un symbole balayé par l’Intergroupe

Des arguments qui n’ont pas convaincu l’Intergroupe. Gérard Poadja, élu du Nord de Calédonie ensemble, a déposé un amendement visant à revenir à la rédaction initiale du texte, sans prise en charge par la Nouvelle-Calédonie. Un amendement à l’origine d’un certain malaise au sein du Congrès. Au-delà de la prise en charge, c’est le symbole qui était au cœur de cette loi et de ce point en particulier. Philippe Michel, qui a eu la charge de défendre l’amendement de l’Intergroupe, a d’ailleurs eu bien du mal à trouver des arguments, d’autant plus que le Congrès a mis en place des congés pour les sportifs rémunérés par la collectivité dès 2014 et pour des durées encore plus longues.

Les indépendantistes ne risquent pas d’oublier ce geste de l’Intergroupe et ont dû amèrement regretter d’avoir permis l’élection de Philippe Germain à la présidence du gouvernement. Il y a fort à parier que les groupes indépendantistes seront d’autant moins enclins à apporter leur soutien aux futurs textes du gouvernement sans qu’il y ait d’âpres négociations. Une situation qui ne va pas simplifier le déroulement de cette année charnière et montre à quel point l’Accord de Nouméa et son application ne vont pas de soi, malgré l’approbation de la population.

Étant donné que le texte voté – à contrecœur par les indépendantistes – ne correspond pas à celui validé par le Sénat coutumier, une nouvelle navette devra être effectuée. Le Sénat va étudier le texte et y apporter ses modifications qui devraient porter à nouveau sur les indemnisations. Avant d’être définitivement adopté, le texte reviendra alors sur le bureau du Congrès qui aura le dernier mot. D’ici là, les groupes politiques pourraient « discuter », mais les indépendantistes, par les voix de Jacques Lalié et Louis Mapou, ont invité les loyalistes et en particulier les Kanak de ces groupes politiques à bien réfléchir sur cette question.

M.D.