Les baux ruraux sur les rails

L’année d’expérimentation sur Boulouparis a conduit le gouvernement à élargir les baux ruraux à l’ensemble du territoire. L’idée est d’encourager la mise en valeur des terres agricoles en offrant un avantage fiscal aux producteurs comme aux propriétaires.

L’idée n’est pas neuve. Le bail rural existe en France depuis très longtemps et procure quelques avantages à la fois aux locataires et aux propriétaires. En Nouvelle-Calédonie, les travaux dans le cadre de l’Accord de Nouméa y faisaient référence. L’adoption par le Congrès de ce dispositif, en janvier 2017, va toutefois nettement plus loin que son modèle métropolitain. Les avantages accordés aux deux parties sont assez significatifs.

Sur le plan fiscal, propriétaires comme locataires sont exonérés d’impôts sur les revenus locatifs ou les droits de mutation pour le propriétaire ainsi que sur les revenus agricoles pour l’exploitant. Mais au-delà de ces avantages fiscaux non négligeables, le bail permet d’envisager des investissements bénéfiques au preneur et au bailleur.

L’autre grande nouveauté est que le dispositif fixe un barème pour les loyers, permettant au passage de ralentir la forte inflation qu’a connue le prix des terres agricoles sur les trente dernières années. Selon une étude de l’Adraf* de 2013, la moyenne des prix est passée d’environ 100 000 francs l’hectare au début des années 90 à quelque deux millions de francs en 2010. Une croissance qui a de nombreuses explications et des conséquences sur les prix du foncier à louer, devenu inabordable pour les plus jeunes, dépourvus de patrimoine.

Un outil pour l’autosuffisance

Dans le cadre de l’autosuffisance alimentaire défini comme objectif prioritaire par les pouvoirs publics, les baux ruraux visent à faciliter l’accès au foncier afin de faire progresser l’ensemble des productions agricoles et faire revenir les jeunes dans l’agriculture. Les derniers recensements généraux agricoles présentent un vieillissement inquiétant de la population agricole. En 2012, l’âge moyen des chefs d’exploitation était de 53 ans contre 50 en 2002. Dans la même logique, les différents recensements montrent un déclin de l’emploi dans l’agriculture, en raison d’une plus grande mécanisation, mais pas seulement. Les métiers de l’agriculture n’attirent plus les jeunes. Un actif sur huit était agriculteur en 1989. En 2011 ce rapport était de un pour quarante.

En dehors de l’accès au foncier, le revenu est une des principales explications de ce désamour. Le salaire minimum est inférieur et, plus généralement, le salaire moyen, de plus de 100 000 francs par rapport aux autres grands domaines, comme le souligne l’étude sur les salaires réalisée par l’IDC-NC* en 2015 (190 000 francs contre plus de 220 000 francs).

Une solution partielle

Si les baux ruraux constituent une piste intéressante pour faire progresser la situation, il reste néanmoins de nombreuses questions en suspens, à commencer par celle des retraites. Aujourd’hui encore, pour certains grands propriétaires fonciers, la retraite est assurée par le morcellement et la revente d’une partie des propriétés. Le barème de loyers proposé par le bail permettra difficilement aux propriétaires de vivre uniquement de la location de leurs terres, sauf à posséder des propriétés immenses, ce qui est loin d’être le cas de la majorité.

Cela ne répond pas non plus à la grande problématique de l’agriculture calédonienne qui étouffe, faute de se diversifier. Si l’on se félicite souvent de la qualité de la production, à quel prix sommes-nous dans cette situation ? Au prix d’une agriculture totalement sous perfusion et de politiques agricoles inadaptées depuis des dizaines d’années. La production agricole finale marchande représente un poids de près de 16 milliards de francs en 2016, d’après les chiffres de la Davar, Direction des affaires vétérinaires, alimentaires et rurales. Toujours selon la Davar, l’ensemble des aides représentait un montant de 6,1 milliards de francs.

*Agence de développement rural et d’aménagement foncier *Institut pour le développement des compétences.


Et sur terres coutumières ?

Nicolas Metzdorf, membre du gouvernement en charge de l’agriculture, a indiqué vouloir adopter un dispositif similaire adapté aux terres coutumières. Le Conseil économique social et environnemental a donné un avis réservé sur ce projet face à des obstacles tels que l’absence de cadastre coutumier, par exemple. Le membre du gouvernement a par ailleurs récemment déclaré vouloir accélérer la mise en valeur des terres coutumières. Une déclaration qui fait suite à une augmentation des revendications de manière générale et une revendication sur plus de 4 000 hectares de terres à La Tontouta en particulier.

La réforme foncière, engagée en 1978, a permis de redistribuer un certain nombre de terres aux clans kanak. Aujourd’hui, 27,21 % des terres sont coutumières, 15,84 % relèvent du droit privé et les propriétés publiques représentent quasiment 57 % du foncier. Ces chiffres intègrent les superficies des îles Loyauté, terres entièrement coutumières et qui n’ont jamais été saisies. En excluant les Loyauté, la part de terres coutumières passe à 18 %. Si des dispositifs comme le fonds de garantie ont été imaginé, le développement sur terres coutumières doit surmonter une autre difficulté, celle du dénivelé. Selon un rapport de la fédération des groupements de droit particulier local, 44 % du foncier coutumier affiche un coefficient de pente supérieur à 30 %, difficile dans ces conditions de développer certains types d’activités. Le Sénat coutumier a engagé une réflexion pour réformer les GDPL au travers d’ateliers de travail et d’échanges avec la population.


En chiffres

Le gouvernement lance une campagne de communication autour des baux ruraux afin de les encourager. En Nouvelle-Calédonie, la propriété est au cœur de l’agriculture. 85 % de la production agricole locale est assurée par des propriétaires exploitants contre 20 % en Métropole. En à peine une année, l’expérimentation menée à Boulouparis a permis de conclure 23 baux ruraux pour une surface de 1 600 hectares, essentiellement pour de l’élevage. Le mouvement devrait prendre une toute autre ampleur avec la participation de la Nouvelle-Calédonie qui possède 46,98 % du foncier, soit un peu plus de 860 000 hectares. Le territoire loue déjà près de 30 000 hectares et devrait progressivement proposer des baux ruraux aux agriculteurs qui travaillent sur le domaine public.

M.D.