« Les autorités doivent prendre leurs responsabilités et tirer la sonnette d’alarme »

La saison des feux de forêt 2017 s’annonce particulièrement catastrophique. Le feu parti de la tribu de Bangou, le 19 octobre, en est la parfaite illustration. Alors qu’il reste encore deux mois avant la fin de la saison administrative, nous avons rencontrés Rémi Gallina, le président de l’Union des pompiers calédoniens pour faire le point de la situation.

DNC : Au-delà de la saison administrative des feux de forêt, la Nouvelle-Calédonie est la proie des flammes depuis quelques mois. Dans quel état se trouvent les pompiers alors que la saison doit durer encore près de deux mois ?

Rémi Gallina : Je n’ai pas encre de chiffres à vous donner, mais il semblerait qu’à la mi-saison, le nombre de feu de forêt a déjà largement dépassé le double de l’année passée. Encore une fois, la saison est catastrophique. Le territoire subit une sécherssse exceptionnelle que l’on n’a pas connu depuis 43 ans selon les météorologues. La saison a d’ailleurs commencé bien plus tôt que d’habitude. Certaines communes ont commencé à lutter contre les feux depuis le mois de mai-juin. Autant vous dire que les pompiers sont très éprouvés dans la plupart des casernes. D’ordinaire, les pompiers doivent affronter une saison qui dure deux mois, alors là que là, cela fait déjà 4 à 5 mois. Autre chose, cette année 2017 n’était pas censée être une année marquée par le phénomène El niño mais nous connaissons pourtant une sécheresse exceptionnelle. Comme l’expliquent les climatologues, il n’y aura vraisemblablement plus besoin du phénomène El niño pour que les années soient exceptionnelles. Autrement dit, l’exception devrait devenir la norme.

Le feu de la Tontouta a été particulièrement important. Le WWF pose la question, est-ce normal que douze ans après l’incendie de la Montagne des sources nous connaissions ce type d’incendie ?

Le WWF affirme que le feu parti le 19 octobre est toujours en cours. Ce feu aux conséquences catastrophiques est le même qui continue de ravager la biodiversité en direction de la Koéalagogamba. Le WWF parle de désinformation puisqu’il est question d’un nouveau feu qui aurait brûlé un peu plus de 200 hectares. Il s’agit bien du même feu dont la superficie dépasse les 2 000 hectares. Cette dissimulation de la gravité de la situation traduit d’une certaine façon le manque de moyens. Une insuffisance des moyens aériens mais aussi humains. Il faut que les autorités prennent leurs responsabilités et tirent la sonnette d’alarme. Concernant le feu de la Montagne des sources, à l’époque, la Sécurité civile était encore de la compétence de l’Etat. Face à la gravité de la situation, l’Etat avait sollicité le renfort de plusieurs dizaines de pompiers métropolitains. Aujourd’hui, seul le déclenchement du plan Orsec 3 permettrait de solliciter des renforts similaires. Malgré les surfaces et les feux catastrophiques de la saison 2015, du début de saison 2016 et de cette saison 2017, le niveau 3 du plan Orsec n’a pas été déclenché. Je le redis, rien qu’en province Nord et alors que l’on en est qu’à la mi-saison, les pompiers ont dû faire face à au moins un millier de feux et de départs de feu. En 2017, les sapeurs-pompiers calédoniens sont en train d’assurer une saison catastrophiquement longue et intense, au moins équivalente à deux saisons de feu de forêt en France avec plus de départs et moins de moyens.

Il est régulièrement question de la mutualisation des moyens qui consiste à regrouper les moyens matériels et humains et à en confier la gestion à un organisme supra-communal. Ce type de saison est-il l’occasion de faire avancer le dossier et cela aurait-il permis de mieux affronter la situation ?

La mutualisation permettrait sûrement d’assurer une meilleure répartition des engins disponibles et une organisation sûrement meilleure qu’avec le système communal actuel où chacun fait comme il peut dans son coin. Mais il faut bien voir que cela brûle partout. La mutualisation aurait certainement permis de mieux appréhender la situation mais elle aurait compliqué de toute manière. En termes de moyens, ce qui fait cruellement défaut, ce sont les hommes, en particulier en brousse. Il faudrait des effectifs de sapeurs-pompiers beaucoup plus conséquents de façon à avoir davantage de relèves dans les casernes. Cela ne nécessite pas forcément de budget supplémentaire pour les communes. L’idée est de ne pas faire des volontaires de faux professionnels, qui n’ont par ailleurs pas de retraite par exemple. Il vaut mieux avoir davantage de volontaires qui font moins de gardes, cela permet de disposer d’un vivier plus important qui éviterait de piocher dans des effectifs qui doivent déjà défendre leurs communes. Pour cela, nous comptons sur les associations de maires pour se concerter avec l’UPC et travailler sur une réforme statutaire demandée depuis quelques années maintenant. Il en va de la sécurité des pompiers volontaires mais aussi de la responsabilité des maires.

On entend de plus en plus qu’il faudrait un canadair pendant la saison des feux, qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas à moi de dire ce qu’il faut comme moyen lourd. En revanche, il est nécessaire qu’il y ait davantage de concertation pour définir les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre les feux en Nouvelle-Calédonie. Mais il est certain qu’il faudrait des moyens aériens lourds, de là à dire qu’il faut un canadair, cela doit être discuté. Maîtriser des feux naissants et éviter qu’ils se propagent sur plusieurs milliers d’hectares présente de nombreux avantages. C’est moins de risques pour la vie des pompiers, des hectares d’une biodiversité et d’un endémisme extrêmement riches préservés mais aussi des économies en termes de vacations de pompiers et d’utilisation des engins aériens.

Vous étiez récemment au Congrès national des sapeurs-pompiers de France. Quel était la raison de la présence des pompiers calédoniens ?

L’idée est d’abord de se fédérer autour de nos confrères métropolitains auxquels nous sommes rattachés. Il est important de pouvoir bénéficier de la solidarité et du soutien des pompiers de France comme l’avait apporté le président de la Fédération nationale des sapeurs lors de sa visite sur le territoire au mois de juin. C’est aussi l’occasion de participer à des conférences et des forums pour partager les problématiques auxquelles nous sommes confrontées et de pouvoir proposer des alternatives à nos élus. Nous en profitons pour nous informer sur l’évolution du matériel. C’est aussi l’occasion de faire valoir le travail des sapeurs-pompiers calédoniens qui œuvrent avec beaucoup de courage et dévouement malgré la faiblesse des moyens. Nous avons également eu la chance de rencontrer Gérard Collomb, le ministre de l’intérieur. J’ai pu l’interpeller sur les feux à propos desquels il n’était pas au courant. Nous lui avons demandé à ce la Nouvelle-Calédonie fasse l’objet de plus d’attention et que les statistiques des feux de forêt en France prennent en compte le statistiques calédoniennes. Nous devons d’ailleurs envoyer un rapport au ministre de l’intérieur sur cette question. Mais plus généralement, ce déplacement ne doit pas se voir uniquement sous l’angle politique ou au travers du transfert de compétence. L’enjeu de ce déplacement est de pouvoir préserver la sécurité des 270 000 Calédoniens, qui sont toujours Français, au titre de la solidarité nationale.


Un impact sur l’alimentation en eau potable

En dévastant la végétation, les feux ont un impact important sur les bassins versants. Les sols nus ne peuvent plus absorber l’eau ce qui engendrent de l’érosion, voire des glissements de terrain. La zone en proie aux flammes alimente la Tontouta et donc le captage du Grand tuyau qui est censé assurer la sécurisation de l’alimentation du Grand Nouméa. Pour certaines communes comme le Mont-Dore ou Païta, il s’agit même de la source d’alimentation principale. Les conséquences pour l’adduction en eau potable sont donc potentiellement catastrophiques. D’autres risques sont également envisageables, à l’instar de la pollution que l’on a connu à l’Ile des Pins. Si les études doivent le confirmer, les pollutions pourraient avoir pour origine les feux de forêt.

20 000 hectares

Chaque année, ce sont officiellement près de 20 000 hectares qui partent fumée. Une thèse a cependant montré que la réalité est plus proche des 50 000 hectares.