L’économie calédonienne doit muer

L’économie calédonienne a atteint un point critique et est condamnée à se moderniser sous peine de sombrer. Trois chercheurs du Centre d’analyse économique viennent de publier une note dans laquelle ils décortiquent les faiblesses et les forces du territoire et proposent quelques recommandations pour aider la Nouvelle-Calédonie à réussir sa transition.

Les analyses économiques sur la Nouvelle-Calédonie sont suffisamment rares pour ne pas les manquer. Trois auteurs, Catherine Ris, directrice de l’IUT de Nouvelle-Calédonie et du Larje*, Etienne Wassmer, économiste réputé qui connaît le territoire, ainsi qu’Alain Trannoy, docteur en économie, notamment conseiller scientifique à France Stratégie, se sont penchés sur l’économie calédonienne au travers d’une note « L’économie néo-calédonienne au-delà du nickel ». Pas de grille de lecture révolutionnaire et encore moins de recette miracle. Les trois économistes proposent plutôt une synthèse des travaux récents, dont certains sont les leurs, et des recommandations qui permettraient d’aider la Nouvelle-Calédonie à réussir sa transition économique.

Le constat de base est toujours le même : la fragilité de l’économie qui s’est concentrée, depuis plusieurs dizaines d’années, sur l’industrie du nickel. En l’absence d’une véritable politique, le développement de l’industrie de la mine a généré d’importants déséquilibres. Le nickel a inexorablement absorbé toutes les compétences techniques, au détriment des autres secteurs d’activité moins attractifs. Cercle vicieux, ce manque de main-d’œuvre qualifiée dans les autres secteurs a limité leur développement et l’amélioration de leur compétitivité. Cette aspiration des qualifications ne s’est pas pour autant accompagnée de gain de productivité pour le secteur de la mine.

À quand un fonds souverain ?

Les auteurs en appellent à la création d’un fonds souverain, à l’instar de ce qui existe dans la majorité des pays qui disposent de ressources naturelles importantes. Et cela ne date pas d’hier, le premier a vu le jour en 1953, au Koweït. Les économistes estiment indispensable la création d’un tel fonds en Nouvelle-Calédonie afin de lutter contre le syndrome hollandais (déplacement des emplois vers le secteur attractif et contribution à une augmentation du niveau des prix).

Les économistes précisent que ce fonds pourrait être abondé soit par une taxe sur les extractions, soit sur les exportations, mais aussi par une réallocation d’une partie des transferts de l’État vers ce fonds à la condition que la gestion du dispositif soit totalement indépendante. Une condition essentielle qui explique probablement les atermoiements de la classe politique à mettre en place ce fonds dont il est maintenant question depuis des années. Les auteurs insistent sur cette indépendance qui permet de garantir la construction d’un projet à long terme, peu compatible avec les intérêts de court terme et électoralistes qui caractérisent la vie politique. Un autre des grands chantiers à mettre en œuvre est celui de la compétitivité. La note met en exergue trois principaux freins à l’amélioration de la compétitivité : l’absence d’existence opérationnelle de l’Autorité de la concurrence, le niveau de l’impôt sur les sociétés et le manque de politiques redistributions.

Concernant l’Autorité de la concurrence, les experts devraient bientôt être exaucés, le Congrès devrait commencer les auditions des futurs membres le 6 avril. Si la note propose une baisse de l’impôt sur les sociétés, elle y met certaines conditions. Le taux relativement élevé de l’impôt sur les sociétés de 30 % est justifié par « la rente entretenue par le manque de concurrence ». Pour attirer des entreprises, il faut notamment qu’il soit inférieur aux 28 % de nos voisins néo-zélandais. Au préalable, il faut davantage de concurrence et s’ouvrir à l’international, mais pour supporter cette ouverture, les entreprises doivent être plus compétitives. Le document du centre propose également de compenser la baisse attendue des recettes par une hausse de la fiscalité foncière, plutôt faible en Nouvelle-Calédonie.

Le niveau élevé des inégalités et le manque de politiques redistributives sont un autre sujet d’importance soulevé par la note du CAE. Il est proposé d’élargir l’assiette d’imposition, en particulier aux revenus tirés des placements financiers (les revenus des valeurs mobilières sont imposés à 18 %). La note est plutôt critique vis-à-vis de la réforme de l’IRPP de 2016 qui a consisté à transférer une partie de l’impôt des classes moyennes vers les plus aisées, sans prévoir d’augmentation des recettes, tout en créant de nouvelles niches fiscales, notamment pour les familles aisées les plus impactées par le plafonnement du coefficient familial. Des recettes qui seraient bien utiles pour financer des politiques de type impôt négatif ou complément de revenu sur les bas salaires. Une manière indirecte de donner un coup de pouce à la demande qui représente le principal moteur de l’économie calédonienne. Pour illustrer ce manque de redistribution, la note donne le rapport entre la fiscalité indirecte (fiscalité inéquitable qui frappe proportionnellement davantage les plus petits revenus) et directe (progressive). Il est de 1,5 en Nouvelle-Calédonie pour 1,17 en métropole.

Mais les inégalités et leur reproduction ont d’autres répercussions que celles de freiner la consommation, même si, comme le soulignent les économistes, les données manquent cruellement faute d’études et empêchent de mieux connaître les problèmes. Les retards en termes d’éducation sont toutefois assez bien documentés. Et ces inégalités d’accès à l’éducation et aux études supérieures ethniques et géographiques, qui touchent plus particulièrement les ressortissants des provinces Nord et Îles, entravent la progression de la productivité, du fait du manque de compétences. Selon les experts du CAE, il conviendrait de mettre en place des dispositifs de discrimination positive. Mais au-delà, il est indispensable d’investir dans les infrastructures et l’amélioration de la qualité du personnel. Des investissements qui pourraient, en partie, être financés via le recours à l’emprunt, notent les auteurs.

Si les recommandations sont critiquables, elles ont néanmoins le mérite de proposer de nouvelles pistes et donnent des indications concrètes pour assurer la transition de l’économie calédonienne. Une direction pas vraiment inscrite dans une ligne ultralibérale, qui prône un développement plus durable, moins centré sur la mine, plus ouvert sur l’environnement régional, sans faire disparaître les protections de marché de manière brutale, et caractérisé par une meilleure répartition des richesses. En somme, la note du CAE donne une nouvelle direction pour l’économie calédonienne qui manque encore cruellement de vision à long terme. Il faut toutefois bien voir que cette note s’adresse avant tout à l’État français et explore donc des pistes pas forcément attrayantes pour les Calédoniens, à commencer par la réduction des transferts financiers qui stagnent toutefois depuis près de 20 ans.

*Laboratoire de recherches juridiques et économiques.


Le syndrome français

En plus du syndrome hollandais, les trois économistes estiment que la Nouvelle- Calédonie est également touchée par un syndrome français. Ils mettent ainsi sur la table un des tabous des économies françaises ultramarines, celui de la surrémunération. Pour eux, elle doit être supprimée. La surrémunération a des conséquences inflationnistes, un constat particulièrement problématique dans un territoire comme la Nouvelle- Calédonie qui compte un niveau très élevé d’inégalités et plombe également la compétitivité des exportateurs. L’impact négatif pour les exportateurs se conjugue au fait que le franc CFP est arrimé à l’euro, une monnaie plutôt forte qui n’aide pas davantage les acteurs économiques. Les auteurs proposent de la supprimer de manière progressive, hormis dans les zones défavorisées qu’il est nécessaire de renforcer.