Le Tara jette l’ancre en Nouvelle-Calédonie

Partie de Bretagne pour une expédition scientifique au long cours, la mythique goélette est actuellement en mission dans les eaux calédoniennes. Médusés par la « beauté unique des coraux » des Chesterfield, les scientifiques de Tara Pacific poursuivront leur périple sur les récifs coralliens D’Entrecasteaux, pour y étudier l’impact des déjections d’oiseaux marins, en partenariat avec des chercheurs calédoniens.

Dans la lignée des grandes expéditions scientifiques maritimes du XVIIIe siècle, Tara Pacific accomplit actuellement la plus grande campagne jamais réalisée à cette échelle. Deux ans de mission, 100 000 km d’itinéraires et une centaine de scientifiques accueillis à tour de rôle sur le bateau pour prélever plus de 35 000 échantillons de coraux et d’eau de mer dans le Pacifique. En un an, la goélette a déjà parcouru 50 000 km, traversé quinze pays et récolté 15 000 échantillons au cours de 2 000 plongées. « Il ne s’agit pas simplement d’étudier le corail, précise Serge Planes, directeur de recherche CRNS et directeur scientifique de l’expédition. Notre travail porte sur tous les micro-organismes associés à cet écosystème, afin de comprendre la fragilité du corail face au changement de son environnement. »

Coraux, planctons et poissons forment la complexité de ces récifs coralliens, affectés depuis quelques années par des épisodes de blanchissement à travers le monde. Et les premiers résultats de ce laboratoire flottant ne sont guère encourageants. L’équipe à bord, composée en permanence de sept scientifiques, déplore effectivement un blanchissement des coraux sur l’ensemble du Pacifique. À l’exception de l’archipel de Wallis-et-Futuna, qui est apparu relativement indemne, d’autres récifs ont été touchés à hauteur de 30 à 90 % par ce phénomène, affirme l’équipage du Tara.

Des récifs déjà morts 

L’une des causes avancées : les hausses prolongées de la température de l’eau, qui viennent perturber la symbiose entre l’animal et l’algue qui lui fournit ses nutriments. Au-delà d’un certain seuil, le corail ne peut survivre. « On ne peut plus parler aujourd’hui d’épisodes ponctuels ou cycliques. Nous sommes bien aujourd’hui en présence d’un réchauffement global de l’océan, auquel s’ajoutent des périodes estivales très chaudes et de moins en moins espacées dans l’année », alerte Serge Planes. C’est à Ducie Island, sur l’île de Pâques, puis à Moorea, en Polynésie française, que les scientifiques ont constaté les premiers impacts du réchauffement climatique sur le corail. Selon leurs observations, le phénomène de blanchissement affecte 30 à 50 % des récifs coralliens de certaines îles de l’archipel de Tuamutu, en Polynésie, jusqu’à 70 % aux îles Pitcairn et jusqu’à 90 % aux Samoa. Pire encore, dans les îles micronésiennes de Tuvalu et Kiribati, une partie de ces récifs coralliens était déjà morte au passage du Tara.

Le sanctuaire des Chesterfield

Heureusement, le tableau n’est pas totalement noir. En chemin vers Nouméa, l’expédition a fait escale aux îles Chesterfield, un site « unique en termes de biodiversité et de vivacité du corail», aux dires de l’équipage, qui affirme n’avoir « jamais vu cela sur la vingtaine de sites » visités précédemment. Dans les eaux cristallines de cet archipel situé à 550 km au nord-ouest de la Grande Terre, « aucun événement de blanchissement corallien en cours ou passé n’a été observé, ce qui est extrêmement rare », souligne l’expédition. Un état de santé d’autant plus troublant que les Chesterfield se trouvent à la même latitude qu’une partie des récifs de la Grande Barrière de Corail, très affectée depuis des années par ces épisodes de blanchissement. Mieux comprendre ces phénomènes pour mieux protéger nos coraux, c’est donc l’ambition de cette expédition qui vient appuyer les organismes de recherche locaux. « L’intérêt du bateau est de pouvoir aller dans des zones plus isolées », indique Serge Planes. En Nouvelle-Calédonie, Tara Pacific viendra donc soutenir une campagne menée conjointement par l’IRD (institut de recherche et de développement) et l’UNC (Université de Nouvelle-Calédonie) à D’Entrecasteaux (lire ci- contre).

Mais l’objectif de la Fondation Tara, qui a déjà mené dix expéditions depuis 2003, n’est pas seulement de militer pour la science. « Nous avons aussi d’énormes objectifs éducatifs, déclare Simon Rigal, capitaine du Tara. Nous sommes un vecteur fédérateur pour une réflexion globale sur la gouvernance des océans.» Les scientifiques partent du postulat que c’est en connaissant le milieu corallien que les meilleures stratégies de gestion pourront être prises par les décideurs politiques. Et Nina Julié, l’élue chargée de l’environnement à la province Sud, de leur donner raison. « Nous sommes sensibles à ce que chaque mission scientifique qui se rend en province sud puisse développer derrière un programme de sensibilisation, étant entendu que la sensibilisation participe aussi à la protection. » Des visites étaient proposées à bord de la goélette vendredi pour des élèves de primaire, ainsi que samedi et dimanche pour le grand public.

 L’équipage du Tara accueillera des chercheurs calédoniens pour une mission à D’Entrecasteaux.


Le chiffre : 7 %

La Nouvelle Calédonie accueille 7 % des récifs coralliens de la planète et 70 % des récifs français.

 


Le guano, ami des coraux ?

Du 30 septembre au 14 octobre, le Tara repartira en mer pour rejoindre les récifs d’Entrecasteaux. Cette mission viendra compléter les premiers travaux menés par l’IRD sur l’impact des déjections d’oiseaux marins sur les récifs coralliens. En juin, les chercheurs avaient révélé que les coraux, via le plancton, absorbaient une partie de l’azote issu du guano, une substance fertilisante issue des excréments d’oiseaux marins. Or, l’azote contenu dans le guano permettrait d’enrichir localement les eaux marines. En est-il de même des coraux ? Ces substances ont-elles un impact positif sur les coraux ? C’est ce que cherchera à savoir cette mission sur les atolls de Huon et Surprise, à D’Entrecasteaux, un archipel connu pour « accueillir des centaines de milliers d’oiseaux marins », rappelle Claude Payri, directrice de recherches à l’IRD. De son côté, l’UNC se penchera sur l’impact des métaux lourds et des contaminants organiques tels que les pesticides dans ce milieu préservé, afin de « comparer ces sites a priori vierges avec des sites plus anthropisés comme Wallis-et-Futuna », explique Yves Letourneur, professeur en biologie marine à l’Université.


L’ancien bateau de Jean-Louis Étienne

Avant d’être rebaptisée Tara, la goélette s’appelait Antarctica puis Seamaster. Construit en 1989 pour l’explorateur des pôles, Jean-Louis Etienne, le navire a été racheté en 2003 pour accomplir la première mission de la Fondation Tara. En 2006, une dizaine de scientifiques s’est laissée dériver à son bord, durant deux ans, pour étudier la banquise.

C.Cochin

Photos : Pete West Bioquest Studios / Lauric Thiault / C.Cochin