Le soldat Wabete rentre au pays

L’événement est rare. Le tirailleur kanak Kalepo Wabete retrouvera prochainement les siens après cent ans passés dans un cimetière de l’Aisne. Près de trente années auront été nécessaires pour permettre le rapatriement du corps du Poilu qui trouvait la mort à seulement quelques jours de l’armistice. Les restes de son corps sont attendus à l’occasion des commémorations de la Grande Guerre au mois de novembre.

Les oubliés de la Grande Guerre. Voilà comment une radio française décrivait récemment les tirailleurs indigènes engagés dans le bataillon mixte du Pacifique de la Première Guerre mondiale. Sur le monument de la place Bir Hakeim, leurs noms ne seront ajoutés à la liste des autres soldats calédoniens morts pour la France qu’en 2003. Une conférence organisée au Congrès, à l’occasion du retour du soldat Kalepo Wabete, mort au combat le 25 octobre 1918, soit quelques jours à peine avant la signature de l’armistice, a permis de toucher du doigt cette réalité d’il y a cent ans. Ce tirailleur kanak engagé volontaire, originaire de Tiga, s’est enrôlé à Nouméa, le 21 mai 1916.

Après trente années de combat, la famille a finalement obtenu de l’Etat que le corps de son aïeul revienne en Nouvelle-Calédonie. Après des honneurs militaires à l’occasion des commémorations de l’armistice de la fin de la Grande Guerre, le soldat Kalepo rejoindra finalement sa terre de Tokanod, 99 ans après être tombé au champ d’honneur, lors de la bataille de la reprise de la ferme de Petit-Caumont. Retour sur cette « petite » histoire de la grande Histoire.

Trois à embarquer, deux à rentrer

En juin 1916, ils sont trois jeunes de Tiga à embarquer à bord du Gange qui les mènera dans le Sud de la France pour participer à la Grande Guerre. Deux seulement rentreront au pays, marqués par l’horreur des combats. A l‘époque, Kalepo Wabete a 25 ans. Il travaille comme jardinier à Nouméa et décide de s’engager à la place de son frère qui est sur le point de se marier.

Lorsque l’on parle d’engagé volontaire, il est nécessaire de se remettre dans le contexte de l’époque. Au début 1900, la colonisation et son système ségrégationniste produit encore tous ses effets. Les volontaires sont d’une manière ou d’une autre, négociés avec les chefs instaurés peu avant par l’administration. En plus des auxiliaires du gouverneur, l’Eglise se chargeait de mettre la pression sur ses ouailles afin qu’ils aillent défendre la patrie qui leur avait apporté l’évangile. Dire que les tirailleurs kanak partaient de bon cœur faire la guerre pour défendre la France était donc un tantinet exagéré. C’est davantage sous la pression de l’Eglise et de l’administration que les Kanak se sont rendus au front de la Première Guerre mondiale.

Au mois d’août, le jeune soldat effectue sa première campagne au sein du bataillon mixte du Pacifique dans lequel s’enrôleront 948 Kanak, dont le plus jeune avait tout juste 15 ans. Cette campagne se passe à l’arrière du front pour assurer la logistique. Aux premiers froids, les soldats du Pacifique partent hivernage dans le Sud de la France, l’Etat estimant que les indigènes n’était pas vraiment taillé pour le grand froid. Mais même dans le Sud, de nombreux Kanak décèderont du fait de l’âpreté des conditions de vie ou des maladies. Au total, ils seront 382 à mourir en France pour un pays qui n’était pas le leur. Comme l’ont rappelé les historiens à l’occasion de la conférence organisée au Congrès le jeudi 12 octobre, en 1916, les Kanak étaient soumis au Code de l’indigénat. Il n’était donc pas français. Un code qui perdurât officiellement jusqu’en 1946, mais prendra encore bien des années avant d’être définitivement aboli.

Un rapatriement qui a un coût important

Et si la bataille de plus de trente ans de la famille Wabete a permis de faire revenir son grand-père, il reste de nombreux soldats kanak toujours enterrés en France. Le vieux Kalepo était d’ailleurs entouré de deux grands-pères kanak, l’un de Iaai et l’autre de l’aire Xaracuu. Le principal frein à ces retours, en dehors de l’identification des corps et des sépultures, reste le coût important pour l’Etat qui, s’il n’y met nécessairement de la mauvaise volonté, ne s’empresse pas de faire aboutir les demandes.

Ces trois tirailleurs sont probablement tombés au combat lors de la reprise de la ferme de Petit-Caumont aux Allemands. Si Kalepo a laissé peu de traces dans les archives, l’historienne Sylvette Boyer a toutefois trouvé quelques éléments et notamment une citation à comparaître qui laisse à penser que le tirailleur était un soldat valeureux.

Les restes de Kalepo Wabete seront exhumés le 2 novembre. Il rejoindra ensuite la Calédonie. Après un passage par Nouméa pour les commémorations du 11 novembre, Kalepo sera accueilli à la chefferie de Lössi, dont dépend Tokanod, avant de retrouver la terre où il était né en 1889.